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24 juillet 2023 1 24 /07 /juillet /2023 08:48
Un Instant d’Éternité

Voyage en voiture Iberico...

Vierge de la mer...

Je chantais...

 

Photographie : Hervé Baïs

 

***

 

   Le ciel est gis, désigné telle une chose en fuite d’elle-même. Le ciel est impalpable, tissé de grains serrés, il semblerait qu’hors de lui, rien n’existerait, comme si les Hommes étaient assignés à demeure, placés sous l’immense coupole, sous le dôme infini mais eux, les Hommes, finis, terriblement finis. Et pourtant, le ciel s’appuie, s’amarre au multiple terrestre, l’enclot, le maintient à sa place déterminée. Tout contre le ciel pris d’immensité, une gerbe se lève, bouillonne, s’écume, se disperse selon des millions de gouttes qui, jamais ne paraissent retomber. Le geyser fuse, gagne l’entièreté de l’espace, la lave blanche fait ses explosions, ses milliers de déflagration dont nul ne sait ni l’origine, ni la fin. Tout se lève de soi et se multiplie dans tous les orients imaginables. L’énergie, la puissance sont sans fin et c’est un grondement continu et c’est un genre de tonnerre qui s’amasse en boule et se répercute aux limites mêmes de l’horizon. Nul répit. Nul repos. Un genre de mouvement auto-proclamé toujours en réaménagement de soi. Si bien que regarder est pure fascination. Nul, parmi les Existants, ne pourrait soustraire son regard de l’événement au titre de sa volonté ou d’une quelconque urgence qui se situerait ailleurs. Le sublime est entièrement contenu dans ce jaillissement, au sein même de cette profusion, au plein de cette promesse d’éternelle vitalité.

   Une masse sombre et haute à gauche de l’image. Semblable à la coulisse d’un étrange théâtre diluvien. D’antiques Héros pourraient s’y cacher tenant entre leurs mains le destin des paradoxaux Spectateurs que nous sommes. Cette masse est un mystère. Cette masse est une question. Mais, plus tard, peut-être, sera venu le moment de l’interroger, de deviner ce qui, en elle, se dissimule. Comme s’écoulant d’elle, surgissant d’elle dans une immémoriale parturition, des milliers de rejetons semés des eaux primordiales, amniotiques, encore attachés à leur Génitrice au motif de leur teinte ténébreuse, de la lueur qui les visite, venue du gris du ciel, de la blancheur de l’écume. Les galets sont ronds, parsemés de bulles mémorielles, sans doute d’avant même leur naissance. Le peuple des galets, que la lumière lustre, semble pris d’un lourd sommeil dont nul ne pourrait les tirer.

   Un sommeil de pierre lourde, de longue léthargie, un songe qui se fige et ne livre nullement la lumière noire de ses images, de ses hallucinations internes, simple mythologie à elle-même sa source et son devenir. En réalité un monde forclos qui n’est monde qu’à lui-même, un hiéroglyphe possédant le chiffre secret de ses arcanes pareils à un Ruban de Moebius, le début est la fin, la fin est le début, dont nul Déchiffreur ne viendra à bout. Simples météorites venues d’un ciel de cendre, un feu en elles se dissimule qui ne se souvient de son nom. Et c’est bien parce qu’elles sont muettes, infiniment muettes, qu’elles nous pressent de connaître leur nature, de les déflorer en quelque manière, mais le minéral est dur, le minéral est têtu et nous sommes privés de l’outil qui en désoperculerait la réalité.

   Donc le ciel gris en son insaisissable venue. Donc la gerbe de blanche écume dont le ressourcement infini nous échappe. Donc la falaise de suie réfugiée dans sa nuit. Donc les galets s’abritant sous le dais de leur étonnante lueur. Donc Nous qui visons l’image et lui restons extérieurs, sur le seuil d’une parole qui tarde à venir. Nous demeurons immobiles au bord du rivage et nos mains se révulsent de ne rien posséder que l’énigme, à défaut d’en pouvoir pénétrer les sombres dédales. Pourtant, nous les Attentifs, n’avons jamais de cesse que de pénétrer au sein de la caverne, d’en débusquer les replis ombreux, d’y allumer la lumière de nos yeux à des fins de compréhension. Car ne rien savoir serait bien pire que de trop savoir. La dimension existentielle creuse en nous ce manque à jamais que nous tâchons de combler sans y jamais parvenir.

 

Vivre, c’est respirer, boire,

manger, se reproduire.

Exister c’est entailler

 l’écorce du Monde,

entrer jusqu’à l’aubier,

là où le derme étincelant de

l’arbre dissimule sa vérité.

C’est comprendre.

C’est interpréter.

C’est produire un logos commun

d’où un sens jaillira tel le geyser

et alors la lumière de la clairière

éclairera les sombres taillis

et alors tout se dira selon

les facettes de la Raison,

tout se fera diamant et la clarté

essuyant, trouant l’obscurité,

y creusera sa belle niche,

y ouvrira son sillon étincelant.

  

   Mais projetons-nous toujours au-devant de nous cette intention d’en savoir plus que ce que le réel nous livre en sa matière brute ? Un silex grossier dont il nous est intimé, selon notre nature d’Hommes, de le dégrossir avec un percuteur, d’en détacher les écailles superficielles, puis de le polir tel le biface préhistorique qui ne peut jamais se percevoir qu’au motif des premiers essais de l’anthropos de sortir de l’animalité, d’ouvrir le langage, d’édifier les premiers mots de la connaissance. Toujours le superficiel nous assaille qui nous présente le masque dissimulant le vrai, l’exact, l’authentique. Toujours les apparences, les reflets, les faux-semblants que nous prenons « pour argent comptant » en feignant de croire que cette monnaie est la seule bonne, nous acquittant de notre dette vis-à-vis de ce réel au large de nos yeux, lequel brasille et finit par nous aveugler.

   Alors, ce ciel, cette gerbe d’eau, cette falaise, ces galets, en avons-nous fait autre chose que les éléments de décor d’un paysage marin ? Avons-nous creusé d’un iota ce qui vient à nous afin que, justement informées, les choses nous tiennent un langage plus profond que celui des mondanités, ce bavardage du « ON » qui recouvre le tangible d’un fin glacis qui le rend méconnaissable ? Avons-nous suffisamment aiguisé notre vision pour lui faire traverser les murs des approximations, pour l’introduire au cœur même de la Cité, là où se prennent les décisions ultimes qui décident du futur des Hommes ? Poser cette question est bien évidemment y répondre par la négative. Rarement sommes-nous en travail face aux choses, bien plutôt dans un retrait que nous prenons pour un confort ultime.

    Mais reprenons la belle image ici commentée et tâchons de percer la fine pellicule qui en recouvre la surface. Isolons l’essentiel, à savoir ce surgissement blanc de l’eau, cette surdi-mutité de la pierre. Deux réalités se font face sous la figure d’une polémique, d’une opposition de principe.

 

Le flux de l’eau faisant face

à l’immobile de la pierre.

 

   Ici, à l’évidence, il s’agit de la confrontation de deux Mondes hétérogènes l’un à l’autre. Le Monde Parménidien antinomique du Monde Héraclitéen. La pierre de Parménide, qu’aussi bien nous pourrions ramener à la Sphère unitive à laquelle son logos se réfère, à cette fixité, à cette immobilité de l’Être, point fixe à partir de quoi tout découle. La Monade de Leibniz pourrait aussi bien être convoquée, elle qui, dépourvue de portes et de fenêtres, vit de son autarcie au sein même de son immanence. Et, par contraste avec ce motif, c’est bien évidemment le concept du flux d’Héraclite, ce fleuve toujours recommencé, ce renouvellement à lui-même sa propre ressource qui est à envisager. Mais, sous la métaphore apparente de la Sphère (de la pierre), ainsi que sous celle du Fleuve (cette eau blanche écumeuse), une autre profondeur, une autre strate se révèlent dont tout un chacun postule en soi l’indispensable prémisse.

 

C’est de Temps dont il s’agit

 et rien que de ceci.

  

   Le Temps du Galet se confrontant au Temps de l’Eau. Le Temps du Galet est un temps infiniment accompli, un temps qui, parvenu au bout de son itinéraire s’est réfugié dans l’immobilité silencieuse et occluse du minéral. Plus personne ne peut atteindre ce temps que l’on pourrait qualifier de « fossilisé ». Autrement dit, un temps mort. Autrement dit le temps de l’Éternité. Car, oui, pour être Éternel, le temps a besoin d’avoir fait son deuil de l’exister. Tout comme nous les Hommes, vous les Femmes, qui ne connaîtrons notre Éternité qu’à avoir totalement accompli notre cycle, à nous être figés dans ces secondes suspendues pareilles à des larmes de résine.

   Notre Éternité a le poids douloureux de notre mort. Tant que nous sommes en vie, ballotés par les flots de l’existence, nous ne connaissons que cette précarité, cette brièveté de l’instant en constant renouvellement, réaménagement de soi. Seul le couperet de la Mort réalise le suspens de l’éternel, l’immobilise, cofondant en un seul espace infiniment ponctuel, passé, présent, futur. Nous ne sommes éternels qu’à n’être plus qui-nous-sommes, des Individus parlant, agissant, créant, aimant, mais de simples stalagmites dressées dans le vent glacial d’une irrémédiable solitude. Si l’Instant est multiple, toujours renaissant de ses cendres, tel le Phénix, elle, l’Éternité, est cette pulvérulence que n’anime nulle étincelle. La cendre devenue cendre et nul mouvement qui la déporterait de qui-elle-est. N’est-il pas étonnant, cependant, que le cheminement de notre Vie métaphorise celui du Temps ?

 

Mobiles, infiniment mobiles

nous sommes pareils à l’Instant.

Immobiles, immobiles pour toujours,

nous sommes les gisants sur lesquels

repose, tel un suaire,

le masque impénétrable

 de l’Éternité.

  

   Certes notre propos, loin d’être joyeux, est peint des couleurs les plus sombres de la Métaphysique, mais elle, la Métaphysique, qui postule un Monde autre que celui que nous connaissons est toujours privée de quelque clarté, à l’ombre de cette joie que nous recherchons fiévreusement sans bien trop savoir en quoi elle consiste. Certes nous pouvons regarder les choses de l’exister avec des verres opaques et en tirer quelque rapide félicité. Mais l’accomplissement de Soi, loin d’être constitué d’une addition infinie de petites joies, consiste bien plutôt à chercher, sous leur aimable visage, ce qui s’y loge en creux, cette corruption à l’œuvre, laquelle nous dit que le Même renferme toujours de l’Autre, que tout mouvement dialectique, dont l’Existence est le mode le plus visible, porte en soi son contraire, sa contrariété, sa mesure de négativité.

   Vivant, notre supposé bonheur n’est que la face inversée de nos peines. Force et faiblesse, puissance et repli, tels sont les harmoniques sous lesquels notre devenir s’illustre sous la figure du Destin. N’en pas assumer la charge est s’aliéner. En reconnaître le chemin secret est le seul acte de liberté dont nous pouvons nous assurer dans l’Instant qui précède toute Éternité.

 

   Merci de m’avoir suivi si vous avez cheminé de concert avec ce texte qui, une fois dit la Beauté, une fois dit l’Affliction de notre condition mortelle. Y aurait-il d’autre alternative que celle-ci, elle n’aurait été, en toute rigueur, qu’usurpation de la réalité. L’oscillation est notre Mesure Humaine. Toujours nous dérivons au loin de nous, dans un Temps qui nous précède, un Temps qui nous dépasse. Chaque seconde provient de la précédente que la prochaine suit. Le Temps est-en-nous-hors-de-nous auquel nous correspondons l’Instant d’une brève parenthèse, puis survient ce Temps fixe, irréel, hors d’atteinte qui est l’Autre de-qui-nous-sommes. Toujours nous définissons-nous tels des Attentifs, des Attentifs qui attendent le pli et le dépli duTemps.

 

Le seul Temps qui convienne à l’Instant Présent :

que vienne la Beauté de l’Image.

Notre présence à nous-mêmes

et au Monde est à ce prix !

 

 

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