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10 août 2023 4 10 /08 /août /2023 09:13
Å Soi, abandonnée

Photographie : Judith in den Bosch

 

***

 

   « Abandonnée », le mot simple qui se veut à l’initiale de cette courte narration. Mais, avant d’entrer dans le vif de l’énonciation, il devient nécessaire de créer une tension, sinon d’instaurer une polémique entre deux expressions qui, loin d’être synonymes, diffèrent du tout au tout. Donc mettre en regard « abandonnée de » et « abandonnée à », ceci, bien plus qu’une simple virgule au milieu d’un texte, d’un simple ajout, inverse les postures existentielles au point de les rendre totalement dissemblables, incompatibles. Si je dis, visant Celle qui nous fait face sur cette belle image, « abandonnée de Soi », je veux par-là signifier que « Songeuse » (attribuons-lui ce beau prédicat), dans un simple mouvement réflexif, s’abandonne elle-même, se quitte en un certain sens, s’éloigne de Soi, s’exile de telle manière qu’elle ne sera plus, pour qui-elle-est, qu’une sorte d’Étrangère, une personne étonnamment dédoublée, une partance de Soi dont une cruelle schize fragmentera l’esprit et, peut-être, aussi bien le corps. Deux territoires qu’une frontière divise, deux collines que sépare un vertigineux abîme. Cependant, si je focalise mon regard sur ce sommeil calme, sur ces teintes douces, sur la lumière crépusculaire aux tons chauds, si, du point où je me trouve, j’essaie, en quelque façon, de m’immiscer en qui elle est, alors une vérité vient à ma rencontre qui, immédiatement, me fait substituer « abandonnée à » à « abandonnée de ».

   « Abandonnée à Soi », dont une simple inversion des mots, « Å Soi, abandonnée », vient renforcer l’idée

 

d’un Soi premier,

d’un Soi originaire,

d’un Soi essentiel

 

   que la notion « d’abandon » viendrait rejoindre, sans pour autant en modifier la texture de sens. Loin de signifier « l’abandon » dans son acception habituelle de « rejet », de « renoncement », de « retrait », donc d’une négativité à l’œuvre, « Abandonnée à Soi » veut bien plutôt pointer en direction d’une remise à Soi, d’un recueil en Soi, d’une réunion au plus secret, d’une liaison au plus intime, d’une fusion unitive que rien ne semblerait pouvoir dépasser.

   C’est là, dans ce rassemblement, dans cette belle coïncidence à Soi, dans cette synchronie de Soi à Soi, dans cette jonction du même et du même que le Tout Autre s’efface, que le danger connaît son étiage, que l’angoisse rétrocède, que l’ennui se dilue, afin que soit donné libre cours à cette liberté, à cette joie intérieure, à cette félicité diffuse qui rayonnent, se déploient et poussent au-devant d’elles les gerbes ouvertes de leur manifestation. Nous visons Songeuse dans une sorte d’état de sidération et une fascination nous saisit du-dedans de nous, nous déporte au-delà de-qui-nous-sommes et tels des phalènes pris d’ivresse nous faisons nos mille voltes dans la chambre de quiétude et nous nous allégeons du poids de nos inconsistances, et nous folâtrons avec tant d’insouciance, de neuve vélocité, que rien ne saurait nous ressembler davantage que le vol irisé du délicat colibri, que l’indigo à peine appuyé de la nue, que la frange de lumière qui signe l’arrivée de l’aube dans les yeux plein d’innocence des enfants.

   Alors on ne sait plus vraiment qui l’on est, quelle est la saison qui nous visite, printemps lumineux ou bien automne à la teinte de rouille, on ne sait plus où est l’orient du jour, quel est l’occident de la nuit, si même il y a une limite entre les deux, si le nycthémère n’est une seule et même réalité dont notre esprit épris de calcul aurait décidé de la division, une chose d’un côté, une chose de l’autre, tout comme l’on range des affaires dans des tiroirs différents. On se surprend être Soi tout en haut d’un gradient dont, jamais, nous n’aurions pu tracer l’esquisse, faire se lever la moindre hypothèse. Et ici a lieu ce qu’il ne faut craindre de nommer « La Merveille », nous sommes au plein de notre propre métamorphose, nullement au titre de notre volonté, mais hissés, mais propulsés, mais épanouis au seul motif de notre vision. Là, au foyer, là dans ce qui pourrait n’être que contingent, ordinaire, surgit une image plurimillénaire, un genre de chimère heureuse, la véritable et immédiate Épiphanie de l’Amour en sa mesure quintessentielle.

   Autrement dit du hors-mesure, de l’Être-pur, de l’Essence-manifeste se donne à nous, comme la pluie se donne à la fleur, l’abeille au nectar, l’hirondelle au ciel. Tout ceci est pur prodige naissant de Soi, nullement d’un Soi abstrait philosophique, non d’un Soi-concret, archi-visible, archi-préhensible, quasi-naturel, quasi-révélé, une offrande nous est faite, une oblativité déplie ses faveurs, un secret se désopercule et vient fleurir tout contre le miroir étincelant de notre âme. C’est une manière de grâce infinie. C’est une sorte de révélation plénière. C’est la toile de l’impossible qui se déchire et nous délivre la myriade des possibles.

 

C’est la donation illimitée

d’une Corne d’Abondance.

C’est l’entrée au Jardin des Délices.

C’est la douce halte au milieu de la

 pastorale d’un fabuleux Jardin d’Arcadie.

 

   Nous sommes pris du charme naturel des Bergers, des faveurs d’une eau de source, de la multitude ouverte des paysages aux noms enchanteurs, de la luxuriance des frondaisons, de la générosité des arbres, de l’onction de la sève, ce miel dont jamais la course ne trouve de fin. Un ressourcement à lui-même son propre destin.

   Dans la chambre du recueil, dans la chambre de lumière donatrice de joie, dans la chambre de délicate quiétude, Songeuse est tout à elle dans le pli intime de Soi. Rien ne déborde. Rien ne fait saillie. Rien ne se dit au-dehors. Tout est là infiniment UNI, ce mot si dépouillé que sa forme porte immédiatement à la signification dont il est la visible figure. Å l’angle de la pièce, un discret bouquet de glaïeuls, veille sur le repos de l’Endormie. Sa fragrance est si apaisée, à peine une brume naissant des pétales. Tout baigne dans une luminosité précaire mais si rassurante à la fois. Comme un matin neuf se penchant sur la margelle accueillante d’un Monde enfin reconduit à une paix native. Le mur, le tapis, la vêture, un seul et même tissage harmonieux, la touche si délicate d’une élégance qui se dit du bout des lèvres, murmure tel celui de la source. Å Soi, abandonnée est entièrement à elle, lovée au plein du Songe qui est Songe de Soi, comment pourrait-il en être autrement ?  Hors le Songe est l’Étranger, l’Étrange, ce qui, venant du mystérieux et illisible Cosmos, pourrait à tout instant se transformer en une altérité menaçante, une flèche au curare se planterait au sein de la chair qui prononcerait le dernier mot de Celle qui picorait la Vie sans en vouloir trouer le derme.

 

Une paix voulait une paix.

Un repos voulait un repos.

Un silence voulait un silence.

  

   Nous, les Regardeurs, sommes toujours les Retirés, les Discrets, les Fécondés et cette image, nous la voudrions éternelle, immuable, logée quelque part en Nous en un site inatteignable, à l’abri des regards et des mouvements, des décisions hâtives et des décrets irréfléchis. Nous nous éprouvons tels des mots d’ultime venue, des mots qui accomplissent en sa forme la plus exacte Celle qui nous est confiée l’espace d’un clin d’œil, Elle, cette Phrase si belle dont nous souhaiterions qu’elle s’offrît à nous sur le mode de la Poésie, du Chant, du Récitatif sacré, de l’Hymne universel, de la Musique des Sphères, des merveilleux Signe du Zodiaque festonnant la Terre de leurs constellations étoilées.

   Oui, nous voudrions être porteurs, dans le registre astrologique symbolique, des seules valeurs bénéfiques, ornées de plénitude, tissées de positivité en acte. Nous sommes tellement éprouvés par cette massive négativité qui envahit l’horizon de ce Siècle Nouveau qui menace de s’obscurcir, de se voiler, jusqu’à n’être plus, un jour peut-être, qu’une mémoire usée, un point flou se confondant dans le vertige des galaxies, la béance d’un Trou Noir et nulle autre chose qui pourrait encore témoigner d’une beauté, d’une générosité, d’une aptitude à être au-delà des dérélictions de tous ordres.

   Ce que nous voudrions, Nous les Témoins de celle que nous avons nommée « Å Soi abandonnée », ce que nous souhaiterions, écrire une nouvelle page du Monde

 

avec BÉLIER et le réveil de la Nature,

avec BALANCE et le souci de l’équilibre,

avec TAUREAU, une sensualité ouverte

aux plaisirs infinis des choses,

avec SCORPION à la belle résistance,

à l’indéfectible résilience,

avec GÉMEAUX, le sens des contacts,

le goût du jeu, celui des idées

avec lesquelles jongler,

celui du vol libre de l’esprit,

 celui de l’intelligence manifeste,

productrice de joie,

avec SAGITTAIRE inclinant aux mouvements,

 au libre exercice des instincts nomades,

 au surgissement instantané

des réflexes vifs, spontanés,

avec CANCER, le doucement retiré en Soi,

l’hypersensible, l’isolé du Monde,

mais aussi celui qui manifeste

la ténacité, la volonté d’enchaîner

chaque pas au précédent, de le relier au suivant

et d’avancer ainsi vers l’étoile de son Destin,

avec CAPRICORNE, le patient, le persévérant,

le prudent, celui qui réalise,

manifeste le sens du devoir,

avec LION, lui qui règne au cœur de l’été,

qui exulte, répand tout autour de lui la joie de vivre,

déploie sa belle crinière solaire sous tous les horizons,

avec VERSEAU, lui le solidaire, le fraternel,

détaché des choses matérielles,

celui qui se dépasse, pratique l’altruisme,

développe l’arche de la générosité,

avec VIERGE, la moissonneuse,

celle qui réalise les choses avec minutie,

 la sérieuse, la consciencieuse,

avec POISSON qui symbolise le psychisme,

lequel communique avec le Divin,

lui de nature réceptive, impressionnable,

celui qui balaie un large horizon,

depuis le Zéro jusqu’à l’Infini.

 

   Cette longue énumération des Signes du Zodiaque avec leurs caractéristiques essentielles, ne se donne nullement en tant qu’inutile bavardage. Cette litanie a pour simple fonction d’ouvrir une constellation de sens en laquelle enchâsser Songeuse, l’Endormie afin de lui donner corps et chair, afin de la porter au-devant de nous telle cette Eau de Jouvence à laquelle nous abreuvant, nous nous installerons nous-mêmes en une manière de Mythologie qui nous affectera place et détermination au sein de ce divers qui pullule, dans le vortex au sein duquel nous risquerions fort de nous noyer si nous n’avions recours à la puissance imaginative, à son inépuisable ressource. Il nous suffit de regarder les choses avec bienveillance à leur égard, il nous suffit de traverser la pellicule qui les sépare de nous, d’entrer dans cette « Cité Interdite » qui, par le pur miracle de l’esprit, devient cette Citadelle Heureuse en laquelle nous réaliser en totalité et nous fondre dans l’univers des choses présentes.

   Ainsi, Songeuse qui n’était qu’une simple vapeur, se condense, se cristallise et devient cette belle gemme, cette belle parure dont nous pourrons combler notre habituel manque, lui donnant les provendes dont, depuis toujours, il est en attente. Ainsi, Endormie, nous la tirerons de son apparente léthargie, cette toile impénétrable, ce verre dépoli et nous en ferons cette transparence, cette limpidité, cette translucidité auxquelles puiser l’essentiel de qui-nous-sommes, le précieux de qui-elle-est.

   Maintenant, enfin, après ce parcours qui a tout de l’initiatique, nous pouvons l’approcher et essayer d’en décrire la forme en voie de venue à l’Être, à savoir cette singularité qui est sienne mais, qui, toujours, se mesure à l’aune de l’Universel. Par souci de cohérence, par référence aux significations symboliques du Zodiaque, nous lui attribuerons quelques uns des prédicats majeurs cités pour les divers Signes, par exemple Taureaux, Gémeaux, Cancer, l’inscrivant ainsi dans une manière de cycle cosmique qui la dépasse tout en la portant à sa propre complétion, à ce qui signera les limites en lesquelles elle figurera en tant que Songeuse-L’Endormie.

   Donc, reprenant certains prédicats des Figures évoquées précédemment, nous dresserons son portrait avec le souci, sinon d’une réelle exactitude, du moins avec l’intention de nous la rendre présente avec le maximum d’intensité, d’amplitude.

   Sensualité ouverte, celle qui se dégage de cette impression de liberté, de ce laisser-aller, de cette sérénité qui nous fait l’offrande d’un corps généreux, sans doute en attente d’une caresse, d’une attention tout amoureuse, mais dans la confiance en Soi, mais dans l’attente de la libre venue de ce qui aura à se produire, mais dans l’oubli de Soi et la disposition à l’Autre sans quoi le Monde ne serait qu’un immense désert avec les feuilles aiguës de ses cactus et ses raquettes d’épines.

   Vol libre de l’esprit, comment pourrait-il en être autrement ? Être Songeuse c’est voguer d’une rive à l’autre du Temps, c’est parcourir la vastitude de l’Espace avec la même audace qu’a l’albatros cinglant les meutes d’air et de brume à la vitesse et avec la puissance du Noroît, cette liberté en acte.  

   Instincts nomades et l’on saisit vite l’instinctuel du rêve, ce qui est rivé à la posture irréversible des éternels Archétypes, et l’on prend acte de ce nomadisme qui est la force vive du songe, sa raison d’être en quelque sorte, une image a-t-elle tout juste eu le temps de paraître qu’une autre surgit par magie comme d’un bain alchimique, perpétuelle métamorphose de Soi et des Autres dans le dédale nuitamment parcouru d’un labyrinthe qui se recompose d’instant en instant et nous égare de qui-nous-sommes et c’est peut-être là le prodige de l’inconscient à l’œuvre, de ses mouvements abyssaux, de ses fluences infinies, de ses voltes en constant réaménagement.

   Doucement retirée en Soi. C’est peut-être là le point d’orgue, l’acmé atteinte sur l’échelle des tons, le point d’équilibre des harmoniques par où un Être se donne en ce qu’il est, qui est toujours intime, inviolable, nullement destituable, un foyer se lève qui rayonne et se projette à l’Infini.

   Joie de vivre. Ceci ne veut pas dire débordement de Soi, exultation sans limites, envahissement de ce qui est proche ou même lointain. Joie de vivre est ce sentiment totalement, essentiellement intérieur, logé au plus secret, une braise dans la nuit sur laquelle le Soi souffle en des moments d’exception, en des instants d’incandescence, là où plus rien ne compte que ce feu qui couve sous la cendre et n’en est que plus précieux. Jamais plus de joie vraie que celle éprouvée au creux de Soi, dans les oubliettes de Soi, dans le pli de Soi, cette eau de source qui chante en sourdine, d’abord pour Soi, ce Point Nodal à partir de quoi tout fait essor, tout prend élan, tout trouve le site de son propre envol. L’on voit bien ici, si l’on veut bien s’y rendre attentif, que la Joie se dissimule, qu’elle fait parfois ses luisances, ses irisations sur la soie de la peau et c’est un grand bonheur pour les Regardants que de voir la félicité faire ses boucles discrètes à fleur de peau, comme une claire eau de source indique, par ses bulles, le lieu secret dont elle provient qui est le luxe même de son origine.

   Large horizon. Certes l’espace de la pièce est circonscrit. Certes Songeuse fait une tache à peine étendue sur son tapis de laine. Certes nous la voyons comme nous verrions une figure méditative enclose entre les parois de sa mince cellule, espace monastique sans réel élan. Mais, toujours notre vision nous trompe en une première approximation de son jet. Notre vision bute sur le cadre même de l’image qui est le cadre qui cerne de près Endormie. Mais rassurons-nous cependant. Cette manière de douce sérénité en laquelle baigne notre Icône, n’est nullement un lieu de privation de liberté, une prison ou bien un sombre cachot. C’est notre vue subjective qui fausse tout, gauchit tout. Nous sommes vraiment bien trop extérieurs à la scène pour en prendre une vision qui serait panoptique, élargie aux confins mêmes du cosmos.

   Elle-qui-dort, Elle-qui-repose est, en elle-même un cosmos au regard même de ce qui l’environne, qui s’oppose en tous points à l’image de quelque chaos antédiluvien qui ferait ici sa résurgence. Rien n’est plus ouvert que cet horizon où nous pouvons supputer que Songeuse se livre à la féérie du Rêve Éveillé, cette puissance en nous illimitée au gré de laquelle nous pouvons reconstruire toute altérité, la plus proche comme la plus éloignée, selon le mode de nos affinités les plus chères, selon les décrets de notre propre fantaisie, selon même les caprices qui, ici et là, fleurissent dans le monde halluciné de notre tête.

   Elle, Songeuse-L’Endormie, tantôt nous la voulons abandonnée à Elle, tantôt attentive à qui-nous-sommes, aux vœux les plus chers que nous pourrions formuler à son endroit. Mais ceci est un secret à enfouir sous les strates les plus mystérieuses de notre conscience. Oui, un mystère est toujours levé dont la résolution est en attente. En attente !

 

Å soi abandonnée, nous la désirons conforme

aux désirs qui hantent notre chair,

bleuissent notre peau du gel

d’une longue impatience.

Le Temps, en nous, imprime ce suspens

qui nous fait Être mais aussi bien Non-Être.

Qu’advienne le Temps de la Joie.

A son accueil nous sommes ouverts,

infiniment ouverts.

 

 

 

 

 

 

 

 

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