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21 juin 2025 6 21 /06 /juin /2025 08:22
Modernité formelle et latente

 

Portrait de Marie de Médicis

Agnolo Tori

 dit « il Bronzino »

1551

 

***

 

   Ce texte sur la « modernité » n’a pour ambition que d’en réaliser une approche au travers du prisme de l’Art, dans sa dimension formelle, selon trois œuvres :

  

le « Portrait de Marie de Médicis » d’Agnolo Tori ;

le « Portrait de Gertrude Stein » de Pablo Picasso ;

le « Portrait de Mlle. Bordenave » de Kees van Dongen.

 

Ces œuvres s’étalant dans l’Histoire de 1551 à 1905-1906.

 

   De la « modernité », nous donnerons sa définition la plus simple en même temps que la plus canonique, telle que proposée par le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales :

   « Dérivé de moderne. Qualité de ce qui est ou qu'on juge moderne, de ce qui témoigne des transformations, des évolutions de l'époque présente, est caractéristique d'un esprit nouveau, de goûts nouveaux, répond aux désirs, aux attentes du moment. »

  

Ce qui suppose de définir conjointement ce qui est « moderne » :

  

   « Qui est de notre temps, du temps présent ; qui, pour celui qui parle ou écrit, est nouveau, actuel, reflète les modes, les goûts, l'esprit de son époque. »

 

   De ces définitions, nous retiendrons, d’une façon synthétique, les deux notions suivantes :

 

« qu’on juge moderne » et

« reflète les modes »

 

   Bien évidemment, faire porter notre attention sur ces deux éléments signifiants implique, quant au concept de « modernité », son essentielle relativité au motif, aussi bien de l’aléatoire de tout « jugement », que de celui, extrêmement versatile, de la « mode ». Ce qui veut dire, en définitive, que la notion de « modernité » est on ne peut plus subjective, orientée en fonction de nos propres goûts, mais aussi au regard de ce qui, dans la nouveauté de la mode, nous attire.  Cette étude sera donc éminemment subjective. Le thème de la « modernité » se définissant le plus souvent par opposition à l’Antique et au Classique, nul ne s’étonnera du choix du « Portrait de Marie de Médicis », lequel à son époque, témoignait d’une vision renouvelée des paradigmes déjà anciens ayant eu cours au Moyen Âge, notamment au travers des thèmes religieux qui traversaient la presque totalité du domaine de la Peinture et de la Sculpture. Renaissance, à l’évidence, était « modernité » par rapport à la vision Médiévale. 

   Donc l’on prend bien conscience que le champ de la « modernité » ne peut se définir qu’à l’aune des époques antérieures sur les œuvres desquelles, en matière d’Art, elle fait fond, cette modernité. Le « Dieu de l'Artémision » de la période de la Grèce Antique est nécessairement « moderne » si on le projette sur « La Vénus de Laussel » de la Préhistoire et il en est ainsi de toutes les époques qui, tels des emboîtements gigognes, sont toujours antérieures ou postérieures, chronologiquement, aux événements qui ont eu lieu, précédant ou suivant leur propre naissance. Il y a donc une perspective essentiellement génétique (au sens de la genèse) qui anime ce concept de « modernité ». Comme dit précédemment, notre approche se voulant strictement formelle et picturale, nous avons choisi une manière

 

de « modernité zéro » (le « Portrait de Marie de Médicis »)

avec lequel viendront jouer

une « modernité primaire » (le « Portrait de Gertrude Stein »)

et une « modernité secondaire » (le « Portrait de Mlle. Bordenave »),

comme si la réalisation d’Agnolo Tori,

en matière de « modernité »,

constituait le sol

à l’aune duquel,

en matière de modernité,   

évaluer  les représentations picturales,

 d’abord d’un Picasso,

ensuite d’un Van Dongen.

 

De « Modernité zéro »

à « Modernité primaire »

puis à « Modernité secondaire »

Il y a progression,

passage d’une moindre modernité

à une plus grande.

 

    Pour résumer, il y aurait un réel accroissement de sens de la « modernité », depuis Tori jusqu’à Picasso, qu’accomplirait en totalité la toile de Van Dongen. Ce qui est essentiel à préciser, loin des schémas convenus de la pensée, c’est que « modernité » ne rime nullement avec « génialité », qu’une œuvre dite « classique » peut parfois et même souvent rivaliser avec des œuvres postérieures, fussent-elles audacieuses, inventives, étonnamment spontanées. La qualité d’une œuvre, en tout état de cause, nous semble bien plus liée à la valeur intime de son essence, à savoir dévoiler et mettre au jour cette vérité en direction de laquelle l’Art est toujours en quête, si, du moins, il prétend être de l’Art, nullement la première supercherie venue offrant au regard des Curieux une apparence simplement flatteuse.

    Au travers d’un rapprochement qui sortira de leur dimension diachronique-historique les trois œuvres citées, les ramenant sur un plan strictement synchronique, afin que, mises en perspective, nous puissions nous apercevoir en quoi ces toiles se réfèrent, de près ou de loin, au statut de la modernité. C’est donc leur aspect, leur paraître, et corrélativement le retentissement qu’ils impriment dans l’âme du Regardeur qui seront les motifs premiers selon lesquels attribuer à la modernité la valeur qui lui revient en propre. C’est ceci seulement, les formes relatives à la nouveauté du geste de peindre qui seront prises en considération, nullement un jugement quant à la qualité esthétique des portraits.

 

Modernité formelle et latente

« Modernité zéro » (le « Portrait de Marie de Médicis »)

 

      L’intitulant « Modernité zéro », vous voulons la laisser libre de toute dette vis-à-vis, précisément, de cette « modernité » dont personne, aujourd’hui, ne semble vouloir faire l’économie. Marie de Médicis, du moins son portrait, repose en soi dans la plus limpide des sérénités. Elle est telle qu’elle est en son essence, autonome, monde en lui-même sa propre origine et sa propre fin. Elle est intemporelle et ne saurait se confier à quelque extase temporelle que ce soit. Ni regret qui l’inclinerait au passé, ni désir qui la projetterait vers quelque futur teinté des lumières d’une possible Arcadie. « Telle qu’en elle-même l’éternité la change », pour parodier les belles paroles du Poète Mallarmé. La pureté de son visage de faïence, la clarté de son regard, la délicatesse de son teint la destinent à n’être Soi-qu’en-soi-pour-Soi. Ni refuge dans un académisme classique déjà lointain, pas plus qu’allégeance à un paradigme moderne. Nullement : Soi au centre de Soi. C’est en tout cas ce que nous souhaitons, ce « degré zéro » dont les autres peintures ne seront, en quelque manière, que les déclinaisons.

 

« Modernité primaire » (le « Portrait de Gertrude Stein »)

 

   Si, dès ici, nous parlons de « primaire » c’est simplement en vue de faire apparaître le début d’une liaison à la modernité, genre de prolégomène à un acte différent de peindre. Mais la tentative, paradoxale lorsque l’on connaît l’entière détermination d’un Picasso, c’est que sa brosse, en matière d’innovation picturale, n’a fait qu’effleurer la toile, une touche « à fleurets mouchetés » si l’on peut dire. Å l’encontre d’Agnolo Tori qui faisait fi du temps et des influences antérieures, Picasso demeure fidèle au classicisme, rejoignant, par cette toile, par exemple, « La femme de l’Acrobate » de la Période Bleue.

 

Modernité formelle et latente

   Identique souci du réalisme du visage, de ses proportions, de la douceur de la peinture, de la justesse du regard, de l’ovale en lequel la toile se donne en tant que forme. Mais si un « résidu » de classicisme perdure, cependant se laissent deviner les premiers traits qui indiquent le souci de modernité. Gertrude Stein, en son portrait, laisse transparaître, certes dans la discrétion, encore dans la retenue, suggestion bien plutôt qu’affirmation (en ceci ce traitement est « primaire »), laisse transparaître donc l’influente naissance de l’Art Nègre et de la sculpture ibérique, Picasso est tout juste de retour de Gosol, petit village des Pyrénées espagnoles où il a observé nombre d’œuvres. Comment, dès lors, ne nullement penser à des prémisses qui, un an plus tard, en 1907, seront les préludes aux célèbres « Demoiselles d’Avignon », paradigme, s’il en est, du basculement de l’Art dans la période dite « Moderne ». Que l’on se réfère au « Buste de femme ou de marin », (étude pour "Les Demoiselles d'Avignon").

Modernité formelle et latente

   Déjà se laissent appréhender les motifs essentiels selon lesquels la modernité affirmera ses droits et ses pouvoirs : tracé incisif de l’ovale du visage, lequel trouve son écho doublement réverbéré par celui des yeux qui, désormais, prendront une importance figurale majeure. Et, bien évidemment, le regard ci-inclus se donnera en tant que cette vision noire, deux billes d’obsidienne tellement semblables au regard du Maître, cet infatigable génie à la vision panoptique, polyphonique, véritable « conversion du regard » pour reprendre les termes de la phénoménologie, cet autre versant de la modernité en œuvre dans les travées de la Philosophie. La représentation princeps du couple yeux-arête nasale, devient l’un des signes majeurs de la nouvelle rhétorique dont le point d’orgue culminera dans « Les Demoiselles d’Avignon », (détail ci-dessous).

 

Modernité formelle et latente

Ici, bien plus que de l’évolution d’un style, d’un simple parti-pris représentatif, d’une métamorphose somme toute « logique », c’est un véritable séisme qui traverse la chair vive de l’Art, sonnant en quelque sorte le tocsin des mouvements qui l’ont précédé, que l’on songe aux avancées significatives de l’Impressionnisme, aux ornementations singulières de l’Art Nouveau, aux audaces du Fauvisme, aux séditions de l’Expressionnisme. Si « Modernité » il y a, elle a trouvé en ce tableau des « Demoiselles » véritable parangon des Temps Modernes, sa figure consommée, indépassable. Nous attribuons le prédicat de « Modernité primaire », au « Portrait de Gertrude Stein », relativement au « zéro » de l’initiale ébauche dont le « Portrait de Marie de Médicis », se faisait l’incontestable et incontournable fondement.

 

« Modernité secondaire » (le « Portrait de Mlle. Bordenave »)

  

   Afin de consoner avec les « Demoiselles », donc de coïncider avec la Modernité en sa valeur la plus exemplaire, nous observerons ce portrait réalisé par Kees Van Dongen en 1905.

 

Modernité formelle et latente

   L’appartenance de Van Dongen au mouvement des « Fauves » et la mention que nous avons faite précédemment du dépassement de cette école par la Modernité des « Demoiselles » apparaîtra sans doute contradictoire au motif que nous lui attribuons cette « Modernité secondaire » que nous avons jugée indépassable. Mais nous pensons cette « contradiction » seulement apparente en termes de mise en relation des écoles, nullement si l’on considère ce qui en elle, cette peinture, bouleverse les codes établis sur le plan formel. Å ce titre, Fauvisme, Expressionnisme, « Demoiselles », peuvent revendiquer, chacun à leur manière, le qualificatif de « Moderne ». Ayant déterminé notre argumentation à partir du traitement du portrait, l’appel à cette œuvre du Peintre Hollandais, nous paraît tout à fait légitime et c’est bien dans la perspective des correspondances croisées et, notamment, des différences intrinsèques des trois œuvres choisies, que, par contraste, le caractère moderne s’affirmera plus ou moins, selon le traitement spécifique de la peinture et de sa manière de refléter le réel. Si une transition peut s’effectuer sans dommages visibles quant à la forme picturale du « Portrait de Marie de Médicis » d’Agnolo Tori au « Portrait de Gertrude Stein » de Pablo Picasso, il est loin d’en aller de même en ce qui concerne la mise en relation de ces deux premiers portraits avec celui de Van Dongen qui tranche de manière décisive avec ses « précurseurs ». Des deux premiers au troisième, il y a basculement, tellurisme, ligne de faille, un Continent Nouveau émerge par rapport à ceux qui, nécessairement, maintenant, se donnent pour Anciens.

Modernité formelle et latente

   Le lexique chromatique est totalement bouleversé. La forme générale le cède à l’empire de la couleur, laquelle ne semble avoir nulle limite quant au motif de son expansion. Ce qui, dans les deux autres portraits, relevait encore d’un possible réel, devient, chez Van Dongen, un irréel purement indomptable comme si le pouvoir de se manifester, bien loin d’appartenir à la juridiction du Peintre, sourdait de l’œuvre elle-même, douée d’une véritable dimension auto-réalisatrice. Et le déferlement de la couleur n’est pas la seule ligne directrice du portrait dont la figuration prend ses distances par rapport à la convention : les yeux, considérablement agrandis, sont les comètes d’où semble irradier la totalité de la personnalité du Modèle ; l’arête du nez en son affirmation colorée semble nous dire la profondeur des fragrances dont Mademoiselle Bordenave est l’unique et heureuse Destinataire ; la vive coloration des pommettes se donne en tant que signe patent d’une intense volupté ; la fraise Grenadine de la bouche est l’annonce même du paroxysme du désir.

   Si la modernité peut se définir en ceci qu’elle pousse le visible à une manière d’exténuation, le porte tout au bout de son être, là où l’Époque l’attend, là où les Spectateurs la revendiquent, alors on peut sans risque énoncer que, seul parmi les portraits, celui de Van Dongen rassemble la totalité des prédicats signifiants. C’est en ceci que nous le désignons sous l’expression de « modernité secondaire », manière de cime, de sommet indépassables. Et non seulement cette oeuvre se détache, telle l’Étoile Polaire dans la vastitude du ciel, mais ce ciel, elle le fait chatoyer d’une puissance illimitée dont il nous plaît de penser qu’elle rejoint, au moins en sa force expressive, cette « Femme nue », étude pour « Les Demoiselles d’Avignon », audace pour audace. Encore une fois, c’est moins l’aspect strictement formel de la peinture qui mérite d’y être lu, que la commotion de l’Art dont elle annonce le brusque surgissement.

Modernité formelle et latente

   Il y a, selon nous, une correspondance terme à terme des motifs figuraux de la modernité. L’étrange facture de la visibilité du triangle yeux-nez-bouche, dans les deux toiles, fait signe en direction d’une lecture profondément renouvelée de l’acte de peindre : un Nouveau Monde se présente avec le vocabulaire Pourpre des joues, avec les hachures qui en signalent l’étrange présence chez le Maître du Cubisme. Pour Picasso, ce génial inventeur d’une pure modernité, un intervalle d’un an aura suffi pour que le basculement ait lieu, d’une facture somme toute classique déclinée dans le « Portrait de Gertrude Stein », vers cette étude des « Demoiselles d’Avignon », saut décisif dans l’ère d’une nouvelle et inouïe représentation. 

   Et le choc est si violent que se laissent lire en lui, comme en creux, non seulement le geste de la modernité picturale, mais d’une manière plus générale et plus inquiétante, le paraphe aporétique de cette modernité en tant que révolution d’une civilisation en sa totalité. On a changé de régime existentiel. On est passé d’une sorte de Romantisme latent, d’une visée Impressionniste du Monde à sa brusque interprétation Expressionniste avec la violence de ses couleurs, avec sa « fièvre révolutionnaire et tragique », telle que décrite dans l’un des articles du Magazine « Beaux-Arts », comme si l’Époque Moderne ne se pouvait lire qu’à l’aune d’une négativité à l’œuvre, cette dernière gommant les mérites et les vertus des Civilisations antécédentes, les reconduisant en une manière d’abîme sans fond.

   N’apercevoir, dans les œuvres précédemment abordées, singulièrement « Le Portrait de Mademoiselle Bordenave », que l’une des déclinaisons formelles de l’Art en son cheminement historique, consisterait à ne donner site qu’à une faible partie de l’aventure Humaine en ce XX° siècle riche en ruptures, en fractures de toutes sortes.

Modernité formelle et latente

Max Pechstein, Fille couchée, 1910

   

   Sur un plan strictement métaphorique, riche d’enseignements cependant, nous pourrions représenter la Société présente (XX°, XXI° siècles), pareille à cette « Fille couchée » telle que proposée par le Peintre Max Pechstein : effondrement, affalement de la Silhouette Humaine qui paraît vaincue par quelque maladie incurable. Elle, la « Terrassée », gît sur un lit de flammes, comme si son corps tutoyant l’Enfer était sur le point d’être phagocyté au titre d’une vive et définitive crémation. Les bras sont ballants en signe de renoncement, le chandail est rayé, telle une biffure lacérant les membres, les annulant en quelque sorte. La jupe est noire ainsi que les bottes qui en sont le naturel prolongement : mesure d’un deuil déjà bien entamé, plus qu’à demi consommé. « Exténuation », tel pourrait être le prédicat s’appliquant à une proche disparition. Et maintenant, il ne nous reste plus qu’à faire l’inventaire des signes les plus évidents de la Modernité et de les reporter à l’œuvre de Van Dongen, mais aussi, aux œuvres qui lui succèdent dans le sillage des « Demoiselles d’Avignon » mesure d’un trauma affectant violemment le cheminement de l’Humain en son ensemble.

   Reprenant, un par un les points saillants qui se donnent en tant qu’essence de la Modernité, nous en rechercherons la trace dans les deux œuvres-phare que nous avons déterminées comme motifs majeurs d’un nouveau regard porté sur les choses, à savoir le « Portrait de Mlle. Bordenave », et, à sa suite, « Femme nue – Étude pour ‘’Les demoiselles d’Avignon’’ ».

Modernité formelle et latente

   Modernité en tant qu’accentuation du phénomène de la Subjectivité et centration sur la Conscience.

    Ces Portraits, au titre même de leur singularité ne peuvent être que des décisions d’une intime Subjectivité. Nulle objectivité ne saurait leur être attribuée, sauf à la situer au plein de la Conscience de ces deux Artistes au foyer d’un imaginaire sans partage.

   Modernité en tant qu’athéisme.

   Depuis Nietzsche et son fameux « Dieu est mort », chacun sait que la foi ne fait plus recette, que l’espoir d’un Paradis s’est métamorphosé en un constant désespoir, lequel fait le lit du nihilisme. Observant ces deux toiles, il nous faut bien convenir que les Sujets qui y figurent, fort éloignés de la religiosité des icônes byzantines en serait, en quelque sorte, l’incarnation inversée comme si, hors d’eux, les Sujets, rien n’existait que le Rien et le Vide. En réalité l’Homme est devenu sa propre icône, le lieu de sa liturgie intime, le point focal de sa croyance qui n’est que croyance en sa propre existence, blasphème majeur s’il en est. Dieu est mort, l’Homme est vivant.

   Modernité en tant que mise en exergue de la Finitude et perte corrélative du Sens.

   Sans doute conséquence de la réalité antécédente (la mort de Dieu), l’Homme est sans espoir d’une possible éternité : tout s’éteint avec lui. Or, reconnaître la radicalité de la Finitude ne se peut qu’à l’aune d’une lucidité, dont les regards exacerbés des Sujets semble constituer l’évident symbole. Voir sa Finitude en face suppose le phénomène exorbitant de la mydriase.

   Modernité en tant que violence, esprit de révolte, déchirement de l’Individu.

   Par rapport à la nature des représentations sollicitées au cours des siècles, douce perfection des Modèles Antiques, aspect religieux apaisé du Moyen-Âge, sérénité Renaissante et de l’Âge Classique, songe Romantique, exactitude Réaliste ; ces motifs fauves, expressionnistes, ces graphismes appuyés des « Demoiselles », tous ces traits concourent à détourer le paysage d’une violence manifeste.

   Modernité en tant que problème de la Liberté.

   Ici, à l’évidence, dans ces réalisations dotées d’une réelle autonomie, le problème de la liberté se pose selon deux manières opposées. Liberté totale de l’acte de dessiner, de peindre, d’incliner l’œuvre selon ses propres déterminations. Donc Liberté positive, que vient aussitôt contrecarrer une Liberté négative (si l’on peut oser cet oxymore !), incluse en cette dernière : affirmation haute et décidée d’un Destin qui n’aura pour seule échappatoire possible que le refuge en cette Finitude qui, d’un seul et unique élan, clôt le geste pictural, clôt l’aventure de l’Homme sur Terre.

 

    Ici, au terme de cet article, se laisse clairement percevoir la nécessaire unité du réel où rien n’est séparé, où tout s’assemble en un identique lieu existentiel. C’est notre incapacité à synthétiser la totalité de l’étant qui nous conduit à adopter une vue analytique qui place d’un côté les figures de l’Art, de l’autre les destinées Humaines, de l’autre encore les événements de l’Histoire, les manifestations de la Nature ou bien de l’Esprit. En fait tout se tient et les constants et inévitables soubresauts de l’Histoire dans sa marche en avant sont ceux-là même des Individus que nous sommes, mais aussi bien pointent en direction des métamorphoses de la Culture, de l’évolution des mœurs, de la nouveauté des us et coutumes, des « modes » successives dont l’Art est la belle et irremplaçable mise en images. Dans notre siècle où le virtuel règne sans partage, la Civilisation est comme prise de vitesse, succombant, en quelque manière, aux mutations qui l’animent et la justifient, comme si une ivresse du Monde devenait le seul mode, pour les Hommes Égarés, de crier au ciel l’immense désespoir de leur finitude, ce déchirement qui les traverse, les partage, plaçant ici tel fragment de leur corps, là tel fragment de leur esprit, genre d’allusion au « súmbolon » des Anciens Grecs, dont il convient de donner la définition éclairante du Dictionnaire :

  

   « Signe de reconnaissance. (À l’origine) Objet coupé en deux, dont deux hôtes conservaient chacun une moitié ; ces deux parties rapprochées servaient à faire reconnaître les porteurs et à prouver les relations d'hospitalité contractées antérieurement. »

 

   Il se pourrait bien que nos Temps prétendument « Modernes » ne fassent de nous que d’étranges tessons de poterie épars sur un lieu sans mémoire, sans archéologie, à l’identité si floue qu’elle ne pourrait trouver à s’inscrire ni dans l’Antique, ni dans le Renaissant, ni dans le Symbolisme, pas plus que dans l’Impressionnisme ou le Fauvisme, une perte de Soi à l’orée des Temps Futurs, avec, pour toile de fond le seul Noroît du Néant !

 

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