Cela il le sait jusque dans les fibres les plus secrètes de son corps et il ne s’en plaint pas. Pourquoi se plaindrait-il d’être lui-même, d’appartenir par ses racines à ce peuple de parias, d’intouchables qui viennent de si loin ? Pourquoi renierait-il cette si belle diaspora qui porte en elle, aux quatre coins du monde, un sang semblable au sien, une peau, des yeux, des mains, une manière de se déplacer comme le vent, d’aimer avec violence, de danser autour du feu de bois, au milieu des étincelles qui sont comme des parcelles vives de son esprit, de son être ? Tout cela il l’a accepté depuis la nuit des temps et c’est devenu un second souffle, une haleine, une respiration qui n’aurait plus conscience d’elle-même et existerait dans le genre des feux follets ou des bulles irisées qui habitent la face des lacs.
Tout cela il l’admet à la façon d’une fatalité, d’un destin et souvent même il est heureux à la seule pensée de son existence modeste, en marge, glissant dans la rainure de la vie sans faire plus de bruit que la chute des feuilles sur le sol d’automne. Ce qu’il n’accepte pas, ce sont les regards qui le fuient, les mains qui l’évitent, tous les faux-fuyants, les faux-semblants, les dérobades de ceux de la Cité Autan, les attitudes hautaines des habitants de la Bastide, le peu d’intérêt des employeurs à son égard. Alors le chômage enfonce son coin au centre de sa tête, la faim vrille son ventre, l’angoisse fige ses muscles et les journées sont longues et grises à tourner au centre du cercle des caravanes, sous l’œil invisible de la conscience tsigane. Dans la chute lente et oblique des jours, les heures sont des lames acérées, les minutes des aiguilles chauffées à blanc.