C'est de cette manière que les symboles vitaux de l'univers se métamorphosent en guenilles dont on ne reconnaît plus la riche origine. Là, dans la déraison de la mine, tout contre le ventre chaud et fétide de la peur, parmi les exhalaisons soufrées de la dynamite (symbole du pouvoir, de l'argent, de la domination), les éléments se délitent, perdent leur sens de symboles, deviennent simples contingences manipulées selon le bon vouloir des hommes. De lustrale, purificatrice, apaisante qu'elle était, l'eau n'est plus qu'un écoulement putride sortant des plaies de la roche. De son esprit président aux activités métallurgiques, le feu ne conserve plus que son pouvoir de destruction, fiché qu'il est au bout du cordon qui fera exploser les entrailles du limon. De l'air libre, volant dans toutes les directions de l'espace, on ne retire plus que des gaz délétères noircissant les poumons. Quant à l'état de délabrement de la terre, il en a été longuement parlé, l'imagination du lecteur suffira.
Les éléments, l'air, l'eau, le feu, la terre, depuis longtemps on les avait oubliés, depuis longtemps on ne savait même plus leur existence. On était hommes, femmes sur la terre, on déambulait sans trop savoir de quoi on était constitués, sans chercher aucunement à prendre acte de ses propres fondements, sans persévérer dans une connaissance de l'être des choses. Un cheminement à l'aveugle, les mains tendues sur le vide, la tête parmi les étoiles de l'insouciance. On avait gagné le centre des villes, là où la chaude fraternité humaine faisait sa boule d'amitié, son cocon de soie. Le ciel, on ne le regardait plus, rivés qu'on était sur le miroir aux alouettes des rues consuméristes faisant claquer à tous vents les drapeaux de prière de l'immédiate possession. L'air, on le respirait par petites goulées, à la façon dont un jeune chiot lape son lait dans l'écuelle de terre vernissée. Sur les deux orifices anonymes dédiés à la respiration, sur l'éperon étroit du nez on avait assujetti de bien étranges toiles blanches, des masques sur lesquels s'amassait, dans la totale invisibilité, les atomes lourds de la combustion urbaine. On avançait dans le corridor des rues, comme portés par des nappes de napalm, sans même s'apercevoir que le feu couvait, que l'explosion était proche. On faisait d'épileptiques danses de Saint-Guy, se faufilant parmi les écoulements bitumeux des coques d'acier des automobiles aux vitre teintées. Parfois, dans la densité des carrefours, au milieu des trajets de fourmis de la grande marée humaine, éclataient des étoiles rouge carmin, des corps se dissolvaient en de longues diasporas et les roues portaient l'empreinte de ce que des vies avaient été, là, dans la grande termitière, dans l'immense fièvre de l'exister.