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16 septembre 2015 3 16 /09 /septembre /2015 07:35
Dans le saisissement de soi.

Saisir, mais quoi ?

Adèle Nègre.

C’était replié, là, au fond de l’abysse. C’était tapi. Cela guettait. Cela souffrait de guetter. Parfois un jet d’encre, une dissolution de soi dans le tumulte de l’eau. Cela faisait ses dendrites noires en étoiles, en cheveux fous, ses bâtonnets d’axones à la teinte de bitume, cela faisait son feu de Bengale à la lumière éteinte. Cela vivait d’être oublié, ici, dans le monde secret, dans la faille où s’invaginait le mystère de la présence. Présence dont l’écho était l’absence se répercutant sur les parois lisses d’un sens à connaître qui ne venait pas, qui s’étiolait à mesure de son essai de profération. Ce qu’il restait à faire, ceci : plier ses tentacules en pelote, réduire ses ventouses à la taille d’un renoncement, lisser le globe de ses yeux et l’absorber du-dedans, le retourner dans le sein de la calotte obtuse, en tirer une longue cécité.

Je suis dans l’antre de l’ego, reclus. Je suis dans la geôle bienfaisante qui ne veut rien connaître des lacs et des montagnes, des paysages grandioses, de la vanité des hommes, de l’amour aux griffes vénéneuses. « Saisir, mais quoi ? », voilà l’antienne qui habite ma tête de poulpe, coule dans l’encéphale visqueux des questions inopportunes. Voilà qui me cloue dans ma forteresse lente et m’y laisse à demeure, désemparé de ne rien savoir de ce qui est, de ce qui vit, respire et se projette dans le corridor de l’avenir. Il fait si lourd dans la fosse abyssale et l’eau glauque cerne mes orifices d’une effroyable touffeur. Comme plongé dans le liquide putride d’une mangrove et les crabes déglutissant mes fragments avec la délectation propre aux jouisseurs et autres hédonistes. Mais que ne décillent-ils leurs yeux ? Que ne se décident-ils à voir toute la fantasmagorie qui habite l’univers, la folle gigue qui s’agite à la face des choses afin de mieux tromper, afin de mieux réduire à néant ? Combien pourtant il serait facile de sortir de sa caverne, de regarder le peuple des Errants et de les haranguer à la manière d’un Zarathoustra, leur enseignant la disparition de l’homme, la farce immémoriale qui inonde la songerie creuse des croyants et des naïfs. Vous vivez un rêve, vous dormez debout, ô vous armée pléthorique des hallucinés et des thaumaturges.

Voici. Depuis la draperie sombre de ma nuit, depuis l’obscur qui presse mes tempes et dissout ma volonté, une main a surgi dans l’étonnement de ce qu’elle est. Un battoir ouvert avec ses cinq sarments qui s’égouttent piteusement vers le sol de poussière. La main, la pince de crabe s’est essayée à saisir cela qui passait à sa portée. Une goutte d’eau, l’esquisse d’un nuage, le remous du vent emportant la feuille d’automne. Tout ceci qui est réel et joue sa partition à mieux nous confondre, à nous installer dans une duperie sans limite. Mais l’homme, mais la femme ? Ne serait-ce qu’un cheveu, l’extrémité d’un index, le frémissement d’une parole, le souffle chaud d’une haleine. Ceci aurait suffi. Ceci m’aurait installé dans l’être. Mais non, il n’y avait que le vent, la courbe anonyme du ciel, le silence faisant ses boules de gomme. Rien d’autre que moi, le poulpe distrait de soi au point de s’oublier et le temps qui partait à reculons par la bonde sans fin de l’aporie. Juste un glougloutement, une symphonie d’évier, une torsade, un vortex suceur : « Saisir, mais quoi ? » « Saisir, mais quoi ? » « Saisir, mais quoi ? ». Il fait si froid au fond de l’océan quand les tentacules brassent la vacuité éternelle de l’eau. Si froid !

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Published by Blanc Seing - dans NEO-FANTASTIQUE

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