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21 décembre 2015 1 21 /12 /décembre /2015 09:46
Le corps en jeu de l’écriture.

Dessin de Claire Morel.

ANATOMIE (où commencent les rêves).

« Les anges accroupis s'étaient attroupés tout autour de mon coeur, saignant, on y butinait sans mesure la liqueur amère de mes songes.
Poignets et chevilles ligotés, retenus par une chaînette d'acier, qui m'empêchait de glisser et de rejoindre au bleu d'aube l'issue des songes.
Un oiseau perché sur ma hanche, éclairé de lampadaires, encourageait les papillons aux suicides.
Il me semblait que les murs amplifiés de miroirs insistaient plus que de coutume pour m'étreindre et me réduire, et ainsi extraire de mon corps épépiné mes substances qui dès lors étaient libres d'aller sans moi.
Tout errait, sauf moi, cloué à ma paille étranglée.
Un poisson dans mon oeil s'asphyxiant, gigotait en vain, s'écaillait et remuait la lumière, troublait les images ...
Je Hurlais, mais restais prisonnie
r du rêve. »

Kenny Ozier-Lafontaine - (Paul Poule).

Prémices - Comment dire la langue du poète dans des mots qui n’en altèrent pas le sens ? Eternel problème de la traduction d’une pensée, du reflet d’un langage singulier. La seule chose qui serait à faire dans le lieu de la poésie : lire souvent, longuement méditer et faire silence. En effet, tout essai de profération sur l’essence poétique ne se résout souvent qu’à écrire moins bien ce qui a été annoncé en langue essentielle. Tel un laborieux travail d’épigone actualisant les propos du maître dans un registre hypostasié, dans une forme en quelque sorte subalterne. Comment, par exemple, aborder les textes d’un Mallarmé que l’on dit volontiers « hermétiques » ? Genre de problème insoluble puisque le soi-disant hermétisme (un autre nom pour la poésie portée à son acmé) est, à part entière, substance du poème, chair vive que ne peut qu’entailler toute entreprise de dévoilement du sens.

Donc, ici, la poésie de Kenny Ozier-Lafontaine (que l’on peut comparer aux tentatives du surréalisme dans son approche particulière du rêve), ne fera nullement l’objet d’un commentaire mot à mot mais développera un discours parallèle essentiellement centré sur le problème du corps, de l’écriture aussi, thèmes développés en filigrane dans le texte ici proposé. Toute saisie d’une œuvre étant nécessairement subjective, c’est de l’intérieur de mon propre ressenti en direction de ce qui s’illustre qu’aura lieu le mouvement le plus pertinent. Un peu comme deux textes parallèles jouant en écho.

Digressions - Libre méditation sur le texte de Kenny Ozier-Lafontaine. Comme une intertextualité voulant approcher ce qui, toujours, se dérobe. Ceci qui est proposé se veut autant réflexion générale sur la situation du poète face à l’écriture qu’abord du texte cité à l’incipit de l’article.

On est poète. On est là dans la chambre où flottent les voiles de l’onirisme. Un œil dans le réel, un autre dans la faille ouverte de l’inconscient. Arrivent les images, fusent les mots qui butinent pareils à un essaim d’abeilles. La terre, sous les pieds, devient extrêmement légère, genre de poussière impalpable disant la fuite du réel, sa perte, sa métamorphose dans une vision si éthérée qu’on croirait n’en plus posséder la clé. Combien est étrange la lumière qui traverse le songe, pareille à une lueur venue de l’empyrée avec ses battements d’ailes, ses bruissements, ses rémiges célestes.

Le corps en jeu de l’écriture.

« Le double rêve du Printemps ».

Giorgio de Chirico.

Source : « double je ».

Là et là encore sont les anges, images plurielles du poète, ils pressent le cœur, ils veulent la sublime ambroisie, la liqueur séminale qui féconde la nuit, la porte dans l’Ouvert du langage, dans le flamboiement du verbe. Se débat le poète, saigne son cœur qui veut dire, qui veut faire surgir la parole, la libérer de l’intime, la soustraire aux puissances occultes du mauvais rêve, celui des cauchemars, de l’abîme qui s’écarte et menace de tout remettre au Rien, de clore chaque chose dans le silence. Les mots sont là, qui battent leur rythme fou, les mots-sagaies qui entaillent la chair, triturent les os, gonflent la peau telle une outre trop pleine. Poignets attachés, chevilles entravées : du rêve il ne faut pas sortir ; dans l’étoffe aérienne du songe il faut demeurer, dans le vol courbe de l’oiseau. L’oiseau, cette effusion de l’âme, ce passage d’un mot à un autre mot, cette liberté d’assembler jusqu’au vertige ce qui était dissocié, ce qui ne se connaissait plus, ce qui n’avait plus de miroir où s’apercevoir.

Le corps en jeu de l’écriture.

René Magritte.

Source : Rêveries en morceaux.

Miroirs, mirages de la vision, flottement spéculaire où le poète en Narcisse voit son image reflétée à l’infini, image du langage qui fait sa stridulation, son chant de Sirène, son murmure d’outre-jour, sa plainte métaphysique, son sifflement de cobra, sa danse démoniaque. Les mots sont ivres, les mots sans foi ni loi qui lancent leurs lianes, jettent leur acide muriatique, instillent leur venin dans l’entaille mortelle de l’esprit livré à ses propres démons. Mots-gemmes, mots-cristaux, mots-d’obsidienne qui se retournent et se métamorphosent en flèches quasi mortelles de la raison. Murs-forteresses, murs-barbacanes, murs-couleuvrines qui crachent la poix fondue du texte du monde et il n’y a plus la place ni pour la virgule, ni pour l’espace, ni pour le point de suspension. Gigue tellurique qui frappe et contraint le contour du corps à s’amenuiser à la taille de l’invisible, seule entité dont le poème soit en quête comme son essence la plus noble, sa signification ultime.

Le corps en jeu de l’écriture.

« Le miroir ».

Paul Delvaux.

Source : Eclaircie après la pluie.

Corps-grenade aux grains secs, le jus s’en est allé, ne reste plus que l’écorce rougeâtre pareille à un gros bubon. Corps-fontaine à la source tarie. Corps-jarre dont les flancs sans distance se sont rejoints. Mots partis au-dehors comme de braves soldats en déroute, armée privée de son chef. Diaspora du peuple des mots, longue errance avant la traversée du désert. Le lac du poète vidé de sa substance, abandonné par le langage, était une aire vide, une mare asséchée où flottait au centre le dernier poisson, la dernière écaille, la lumière terminale. Le jour n’est guère loin qui entaille l’ombre, intime aux hommes l’ordre de se lever, de renoncer aux plis inconscients de leur couche, de sauter dans les ornières vives de la réalité. Brusque verticalité, bascule du dolmen se portant subitement dans la nécessité du menhir. La douleur est vive qui sépare la chair de la nuit de la chair du jour et les premiers mots s’échangent dans l’hébétement, les mots de la banalité ordinaire.

Le corps en jeu de l’écriture.

« Les marches de l’été ».

René Magritte.

Centre Pompidou.

Mais au loin, là-bas, depuis le domaine de l’inaccessible, on hurle et se débat. On dit ne pas pouvoir se soustraire au rêve. On dit son sort de prisonnier. C’est parce que, déjà, le rêve a basculé en-dehors de soi, s’est épanché dans la chevelure dense du réel, s’est mêlé à la prose bourdonnante de l’univers. C’est la face éclairée du poète, celle qui, ne pouvant se soustraire au spectacle de la rue et du commerce des autres se débat et réclame son envers, celui qui, tourné vers l’ineffable, l’invisible, l’innommable poésie, la nuit aux mystérieuses fascinations porte le regard là où, toujours il devrait être, dans la clarté aveuglante de l’absolu. Seul le poète le peut !

Le corps en jeu de l’écriture.

« Portrait de Paul Eluard ».

Salvador Dali.

Source : L’aventure surréaliste.

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