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13 avril 2020 1 13 /04 /avril /2020 09:04
Césures du temps.

Mélancolie.

Œuvre : Dongni Hou.

 

 

 

 

 

   Du titre.

 

   D’emblée, il faut considérer le titre que l’Artiste a donné à sa toile. « Mélancolie », comme si une nécessaire récurrence de la douleur ici proposée devait trouver à s’exprimer dans le mot surajouté afin que la noirceur de l’œuvre atteigne un point de non-retour, comme si l’aporie visible devait se redoubler d’un vocable qui en détermine le sens en tant que chose irréductible. Mélancolie est là dans son caractère irréfragable et rien ne saurait la déloger du lieu qu’elle occupe, à savoir le centre de notre conscience dont elle fera l’objet même de sa réception. Et, du reste, rien ne servirait de tâcher de déloger cette écharde plantée dans notre chair invisible. Essaierai-t-on que le drame poursuivrait à bas bruit son œuvre maléfique : nous clouer au pilori, nous y laisser tels de sombres taciturnes. La noire humeur aurait fait tache d’huile, la veuve noire nous aurait atteints en notre for intérieur et nous ne saurions plus comment nous soustraire au mystère de sa fascination. Car il y a bien activité fascinatoire, la tristesse se métamorphosant, parfois, en une esthétique existentielle. « Bonjour tristesse » disait autrefois Françoise Sagan afin d’exprimer dans les mots du quotidien ce qui, d’ordinaire, ressortit à l’accidentel, au fortuit, à ce qui ne se produit que guidé par la main aveugle du Destin.

  

   De la définition.

 

   L’étymologie de « mélancolie » nous apprend que ce mot dérive du latin  « mélancolia », signifiant : «humeur noire» et «maladie engendrée par la bile noire». Si les mots « humeur » et « bile » font signe vers une affection de la base organique de celui qui est affecté d’un tel trouble, le prédicat « noire » en précise le versant ténébreux qui se déploie dans la texture  des événements existentiels du mélancolique, l’avancée dans une nuit qui ne s’étoile d’aucune autre lueur que celle d’un astre mort. L’espoir a disparu du champ de vision, les projets ne se montrent plus, sauf à rejouer éternellement une séquence de vie antérieure à l’effondrement, deuil, rupture, perte de soi dans les rets étroits de l’irrémédiable. «Humeur noire», « bile noire », ces expressions installant le symptôme dans une irréductible causalité fonctionnelle dont le résultat serait une manière d’aliénation indépassable, de sort jeté, d’ornière originelle dans laquelle inscrire ses pas et nulle part ailleurs.

 

   De la césure temporelle.

 

   Toujours il y a un avant et un après de la station mélancolique. Une faille est soudain apparue dans le déroulement temporel, un accroc dans la toile unie qui était celle de l’antérieur, alors que, maintenant, aucun futur n’est plus disponible, aucune fiction ne s’écrira qu’à l’aune de cette fêlure, de ce retrait dans les mailles floues de ce qui était et ne sera plus. La « progression » du mélancolique fait inévitablement penser à cette étonnante marche sur place dont les Mimes sont les habiles metteurs en scène. Peut-être n’existe-t-il pas de métaphore plus subtile pour dire, en quelques gestes circulaires, l’effectuation d’un « éternel retour du même » s’exonérant d’un avenir, se distrayant des évidences d’un présent pour se donner à être totalement contemporain de l’événement traumatique qui a disposé d’un cheminement, le déposant là même où jamais il n’aurait dû trouver de site, dans cet arrêt, ce suspens, au-dessus de cet abîme qui ne refermera nullement son impudique béance. Alors, tout ne tient plus qu’à la mesure de tensions, d’antinomies, de divisions de part et d’autre desquelles le Sujet devra s’organiser tant bien que mal, numéro d’équilibriste épuisant ne trouvant de « solution » qu’à la pratique d’une constante réitération.

 

   Lecture « mélancolique » de l’œuvre.

 

   C’est avec force que Dongni Hou nous livre ce personnage énigmatique dont nous sentons bien, au premier regard, qu’il est en proie à la plus vive des douleurs. Tout, ici, fonctionne dans le registre de l’opposition, de la polémique, d’une lutte interne dont les discords se donnent à voir sous les plus tragiques espèces d’une violence interne sourdement contenue mais non moins hautement visible pour autant. Bien au contraire, toute peine dissimulée n’en est que plus apparente, plus émouvante, se situant sur les bords d’une rupture, inimaginable déchirure selon les versants abrupts de la vie, de la mort. Fléau de la balance existentielle oscillant entre deux réalités aussi productrices d’angoisse l’une que l’autre. Vivre est une douleur. Mourir en est une autre car, alors, la conscience intentionnelle ne peut plus viser l’objet qui la fascine, cet événement et les entités qui ont concouru à en former l’éblouissante toile d’araignée, éblouissement à cause duquel un mouvement a été interrompu, une mécanique brisée, un puzzle déconstruit aux briques éparses, un chantier dévasté dont on ne reconnaît plus les fondations.

 

   Les objets de la césure.

 

  L’habileté de l’œuvre est de nous projeter au cœur de la fournaise en quelques propositions plastiques aussi économes qu’efficaces. Un lexique simple mais d’une terrible évidence.

 * Le noir joue avec le blanc en mode dialectique d’une étonnante vigueur. Le fond est cette pellicule de ténèbres dont Mélancolique paraît surgir à la manière d’une forme s’arrachant au Néant tout en maintenant avec lui d’indissolubles liens. Le corps lui-même est ce mixte des deux notes fondamentales, cet illisible gris semé d’ondulations plus foncées, ces stigmates qui disent en coups de brosse affirmés la persistance de l’ombre, le combat de la lumière qui se fraie quelques évanescents layons parmi la complexité d’un parcours semé d’embûches.

 * Vêture-dévêture renforcent encore le sentiment de dépossession, de dénuement. Non seulement Mélancolique semble sommairement habillé mais ce qui le protège des atteintes de l’extérieur est en voie d’éparpillement, de dissolution et l’on éprouve cette pénible impression d’impuissance face à ceux, celles dont les vêtements ne les isolent même plus des morsures du froid, mais aussi des entailles du regard des autres.

 * Chair-vêture placent en exergue de l’image cette étrange relation, ce cruel abîme dont l’homme prend conscience avec effroi : sa propre corruption et disparition corporelle alors qu’une simple chemise tissée dans l’ordinaire lui survivra à la façon d’une fabrication indestructible. Collision de la mortalité avec l’éternité ou ce qui lui ressemble dans l’ordre des choses habituellement rencontrées dans l’exercice de la quotidienneté.  

 * De dos-de face. Ici est peut-être l’amplitude maximale de ce qui est à penser en tant que désarroi. Ce démuni, cet individu aux mains vides, cette âme vacante a perdu ce qui signe son identité, ce visage par lequel figurer au monde avec la dignité qui seule convient à la présence humaine.  Nous « faisant face » de dos, - cet oxymore sans pitié -, par voie de conséquence il perd ses attributs essentiels. Il perd ses mimiques. Il perd son langage. Il perd sa singularité, sa signature formelle parmi la foule des errants et des anonymes. Il devient ce quidam, ce rôdeur en quête de lui-même, ce mortel privé de repères qui ne semble toiser que son passé, le présent lui étant ôté, le futur n’étant qu’une lointaine nébuleuse que son regard ne rencontrera nullement. Il est cloué sur ce fond qui apparaît dans le genre d’un sans-fond au sens où plus rien ne fonderait son être, le laissant divaguer dans les complexités d’un indéchiffrable chaos, d’une absence d’ordonnancement des polarités qui, ordinairement, contribuent à en livrer l’intelligible figure.

 

   Conditions de l’aliénation.

 

   Comment ne pas évoquer ici le sort de ces esclaves, populations de Noirs exploités dans les plantations par des Blancs si peu respectueux de la dignité humaine. En mode contrasté, comme si une instance diabolique naissait du réel lui-même, Vérité-Blanche assumant ses imprescriptibles Valeurs, ôtant toute possibilité de se faire entendre  à ceux, celles dont la peau Noire signerait une inéluctable négritude leur enjoignant à terme, non seulement de se soumettre, mais de disparaître. La loi du colon foulant au pied la factualité nécessairement accidentelle de ceux, celles qui ne sauraient entretenir avec leurs Maîtres que des liens de subordination. Viol d’une altérité considérée en tant qu’essence inaccomplie, destin vide et stérile dont il serait toujours temps de faire l’économie.

   Pour autant, établir un parallèle entre Esclave et Mélancolique doit simplement s’effectuer sous les auspices d’une analogie formelle, d’une relation d’image. Si l’esclave est humilié, réduit au rang de chose par son oppresseur, le mélancolique quant à lui, ne l’est que par la force de son propre destin, ce qui revient à penser qu’une sortie d’une telle condition devient possible en raison d’une liberté sous-jacente, mise entre parenthèse, en puissance mais pour l’instant privée de passage à l’acte. Un jour, peut-être, la survenue d’un soudain événement renversant l’ordre des choses et alors la lumière remplaçant la ténèbre, le Mélancolique réaménagera un temps de possible joie ou, tout au moins de neuve sérénité. Oui, de sérénité. Il y a tant à attendre de cela même qui paraîtra !

  

 

 

 

 

 

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