Septembre finissait
Octobre tardait à venir
Dans le ciel
Une dernière lumière
S’attardait
Une manière de gonflement
De sève s’annonçant
Avant que l’ombre
N’arrive
Tu aimais ces couleurs
Qui n’en étaient pas me disais-tu
La terre était ton élément
Comme l’air le mien
Ses sillons t’attiraient
Les mottes luisantes
Que le coutre versait
Jadis
Dans les pages
De Georges Sand
La Mare au Diable
Me disais-tu
Et tes yeux couleur de souci
Étaient en partance
Pour ailleurs
Sans doute
Un Pays sans nom
Une île sans rivage
Une presqu’île qui n’avait nulle fin
Se perdait dans des nappes de brume
On n’en pouvait connaître
L’énigmatique destinée
Le diaphane te parlait
Le langage du discret
L’à peine arrivée de l’heure
Te trouvait en méditation
La plaque de l’étang
Aperçue depuis ta fenêtre
Ses vibrations
Sous la clarté diffuse
Ses irisations parfois
Ce glissement au loin
Vers les montagnes bleues
Ceci suffisait à te porter en un lieu
D’où il semblait que ton retour devînt
Une impossibilité
La matière insaisissable
D’un rêve
Le plus souvent
Dans ta maison
Aux volets à demi tirés
Au milieu de la pénombre
Tu lisais des pages et des pages
Du Grand Meaulnes
Un peu comme si ta vie en dépendait
Tu respirais à peine
Le soulèvement de ta poitrine si discret
On aurait dit le battement d’un cil
Songeais-tu alors
À ces promenades romantiques
Sur un lac de Sologne
Ou bien sondais-tu
Ce que le livre disait
Cet impossible bonheur
Qui jamais
Ne se laisse atteindre
Deux fois
Le dehors m’attirait
Le vent m’appelait
Parfois celui qu’ici on nomme
Le Marin
De mes promenades je revenais
La barbe criblée de brouillard
Les yeux laissant s’égoutter
Une poussière de pluie
Je t’invitais à me suivre
A te vêtir
D’une toile légère
A venir longer ces étangs si beaux
Que l’automne lissait
De sa palme douce
Mais non
A cette immersion
Dans l’espace
Tu préférais
Cet étrange confinement
Sans doute en raison
De ta nature rétive
De l’illisible peine
Qui t’habitait
Pareille à un voile posé
Sur le réel des choses
De longues heures
A sillonner la garrigue
Semée de l’odeur épicée
Des touffes de thym
Parcourue du vert clair
Des genévriers cades
Illuminée par les étoiles mauves
Des aphyllanthes
Et celles roses
Des cistes cotonneux
Souvent la Tramontane se levait
Portant avec elle
Les cris aigus
Des busards cendrés
Tu aurais aimé entendre
J’en suis sûr
Ces appels du ciel
Cette faune libre
Fière
Sûre de son trajet
Ailes largement éployées
Œil perçant forant l’air
De sa belle certitude
Mais rien ne servait de te dire
Le dehors
Alors que ne te tentait que
Le dedans
La disparition aux yeux des autres
Le refuge derrière
Ces murs d’argile
Ils te protégeaient de la foule
Des curieux
Qui déambulaient encore
Dans les rues
Qui bientôt seraient désertes
Tu me disais souvent
Mais quand donc le silence
La paix enfin revenue
Le creuset d’une joie
Dans le fortin du corps
Parfois le matin
Lors de la première lumière
Ta silhouette
Que de rares passants
Pouvaient dérober
À ta naturelle pudeur
Ils n’emportaient de toi
Que
Cette allure ambiguë
Cette volte-face
Cette fuite encadrée
De blanc et de bleu
Tes couleurs fétiches
Tu les disais précieuses
Dans leur pâleur même
Leur effacement
Leur souple présence
Que l’ombre recouvrait
En même temps que tu t’y confiais
Avec une certaine délectation
Toi personnage des coulisses
Toi actrice
D’une scène sans voyeurs
Toi ligne éphémère
Dans le déclin
De ce qui se montre
Ton destin était ceci
La transparence
L’absence d’épaisseur
Le retrait en toi si discret
Qu’on n’en percevait jamais que
Le début
Ou bien
La fin
Autrement dit jamais la nature vive
Jamais la faille par laquelle te rejoindre
L’ouverture à la vacance de ton être
Tu étais cet indescriptible signe
Sur une antique tablette d’argile
Une simple et éphémère lueur
Sur le col d’une amphore
Un espace entre deux mots
Ce vide médian
Cette respiration
Du vide et du plein
Des Taoïstes
Ces blancs
Ces interstices
Ces lumières
Dont se vêt la peinture
D’un Cézanne
Afin qu’apparaisse
Comme en sustentation
Comme par miracle
Tout l’esprit que la Sainte-Victoire
Porte en elle
Qu’elle ne diffuse qu’aux yeux
De ceux qui les ouvrent
Et les emplissent
Des beautés du monde
Etait-ce ceci que
Tu cherchais
En toi
Rien qu’en toi
Dans la meute de solitude
Qui t’entourait
Dans la perte
A toi consommée
De cette réalité
Auprès de laquelle
Les Nombreux
Se ruaient
La prenant sans doute
En tant que la révélation suprême
Dont l’existence faisait l’inestimable don
Mais combien je m’aperçois
Que mes questions sont inutiles
Pour ne pas dire oiseuses
Comment te définir
Toi l’Etrangère
Puisque
A moi-même
Je suis
L’Etranger
Auquel je n’ai même pas accès
Cette image
Que le miroir me donne
Alors que le réel me l’ôte
Puisque jamais je ne serai
L’Observateur
De Qui-je-suis
Cette feuille d’automne
Qui déjà flétrit
Et s’absente
Des nervures
S’y dessinent
Qui signent
La perte de toute chose
Le non-retour
Du temps
Le non-retour
De l’être