« Endormie »
Œuvre : André Maynet
***
On est là au seuil de l’Amour
On est là au seuil de la Mort
L’Amour-La Mort
Quelle différence sinon l’ombre
D’une même Tragédie
A peine le devoir d’Amour
A-t-il commencé
A peine la tâche de la Mort
A-t-elle été entreprise
Tout sombre dans un même deuil
Celui du renoncement à être
Celui d’une perte infinie
Du Monde
Du Temps
De Soi
*
C’est un crépuscule
Pareil à celui des dieux
La lumière est si faible
Qui visite la chambre
Sur le lit défait
Parmi l’écume des draps
Le corps luxueux
D’une Belle Endormie
Cet emmêlement de lignes
Cette fusion des songes
Ce rêve encore à portée de main
Du moins le croit-on
Cette chair opalescente
Qui s’abandonne à l’insu de soi
Du moins le pense-t-on
Cette absence qu’habite encore
Le doux palpitement de la vie
L’attente du rien peut-être
L’attente
*
Le Vieux Eguchi a posé
Son corps fripé
Tout près de l’Endormie
La clarté traverse à peine
Le mur de papier
Une couleur de thé
Flotte alentour
Une odeur de bergamote
Effleure la pièce
Grand est le recueillement
Qui dit le précieux
De l’événement
Immense le silence
Qui traverse les corps
Immobiles
Sacrificiels
Perdus
Celui de la Belle
Non encore venu à éclosion
Celui du Vieux
Perclus de tristesse
Usé par la trame du temps
*
Au loin les notes cuivrées
D’un shamisen
Sans doute une Geisha
Enchante-t-elle son Prétendant
Le kimono est de soie rouge
Ondoiement du Désir
Le visage de porcelaine
Insigne de l’art
Les cheveux de jais
Les mains si fines
Innocence
Et caresse
En un même mouvement
Une brume dans le matin qui vient
*
Dans la pièce réservée
Aux Noces
De l’Amour
Et de la Mort
Le silence grésille
Pareil à un insecte pris
Dans le feu d’une lampe
Tout est presque éteint
Étrange scène de théâtre
Où se joue le dernier acte
D’un drame
Là est l’impossible mesure
Du temps
Là est la perte de soi
Dans la demeure vide
*
Il n’y a plus de lieu
Où habiter vraiment
Seulement une même déchirure
Qui traverse les êtres
De sa lame incandescente
Ne pas être arrivée à l’amour
En être déjà sorti
Et tout est déjà accompli
Et tout est déjà abîme
Faille par où surgit
La dette d’exister
*
RIEN ne se passe
Dans la chambre
RIEN ne passe
Sauf le scalpel de l’heure
Qui lance ses entailles
Sauf le destin des hommes
Qui ponce le réel
Avec assiduité
Le reconduit à
Une nullité essentielle
Perditions en miroir
Reflets en écho
De ceci qui n’a point lieu
Du Poème qui meurt
Dans la cendre de l’aube
*
Encore une nuit aura été franchie
Etrange gué où le corps encore à flot
Connaît la morsure
De son dernier voyage
Ne pas être arrivés au Foyer
Où accueille Hestia l’avenante Hôtesse
En être déjà éloignés
Deux irrémédiables contrées
Il n’y aura de halte
Que définitive
*
Vieux Eguchi
Belle Endormie
Un seul et unique voyage
La ténèbre est ouverte
Qui attend
Depuis
Toujours
Ici les signes de sanguine
Ont trouvé leur écueil
Tenter d’aller au-delà
Serait pure folie
Demeurons
Encore
*
Approche le but
Avec son rire amer
Il se pose sur les corps
Et leur donne l’ultime baiser
Par lequel ils auront été
Homme
Femme
Dans l’intervalle
A peine une imperceptible
Musique
Une plainte sur le bord étrange
Du jour
*