Pablo Picasso
Deux femmes (La confidence) 1934
Source : DantéBéa
***
Ai vu le plein d’emblée
Nul besoin du JE à l’initiale
Pas plus que du MOI
SOI à la rigueur
ÊTRE bien plutôt
Pour faire signe en direction
De l’ineffable en son Dire essentiel
Du toujours cherché
Rarement trouvé
***
Pas d’illusion d’optique cependant
Nulle hallucination
Nul mirage
Qui poseraient à l’horizon des dunes
L’image tremblante
Irréelle
Du palmier que féconde la lumière
***
Non
Seulement la survenue
De la pure Manifestation
Du phénomène en sa vibration
En sa généreuse donation
Cela s’octroie dans la simplicité
Cela dure l’éclair de l’instant
Cela fulgure
Emplit les yeux de buée
Creuse dans l’âme
Son sillon de feu
Bourdonne
Dans la ruche des oreilles
Enfonce son diamant
Dans la chair vive du corps
Allume les nerfs à vif
Attise les nappes de sang
Irrigue les canaux séminaux
Remue l’ombilic
Jusqu’à son grain originel
Electrise la peau
La met en tension
Tam tam tam
Triple jeu
De l’œuvre
Qui devient peau
De Soi
Du Monde
De l’Infini
De tout ce qui advient
Sous les étoiles
Sur la Terre où couve le feu
De l’attente
Parfois du renoncement
Toujours de la confiance
Du jour à venir
***
Dans la salle où coule
L’onde généreuse de la Beauté
Tout est calme
Au repos
Tout attentif
A la mesure de la juste rencontre
De la fusion de l’Autre en Soi
De Soi en l’Autre
Rien n’est plus beau
Que ce geste
De versement
D’offrande réciproque
L’Un sans l’Autre
Serait déchirement
L’Autre sans l’Un
Serait dépossession
Amicalité du Regardé
Et du Regardant
En une intime communion
Coexistence des êtres
En leur Unique
En leur Joie
Ai vu le plein d’emblée
Là au cœur de la matière
Le Vrai en sa destination originelle
En sa multiple métamorphose
Le Juste à la confluence
Des regards
Des existences de papier
Plus réelles que bien des vies
Errantes
Déboussolées
Ivres de ne point ratifier
Leur passage autrement qu’à l’aune
D’une inattention à être
Seulement une vacuité tutoyée
Seulement une approche
Privée d’amers
Comment exister
Dans cette lueur de marécage
Comment ne pas confier son corps
Aux eaux mortes de la lagune
Ai vu le plein d’emblée
Le jour était fécond
Le Vide se donnait
À qui
Voulait bien le prendre
Le Rien s’abouchait
A la moindre rainure
A la plus infime poussière
Tout dans l’air était
Immensément
Vacant
Libre de soi
De se donner
Ou bien
De se retenir
Ai vu le plein d’emblée
Le jeu subtil
Et illisible
Des Confidences
Les regards chavirés
L’Un en l’Autre
Les yeux
Ces brasiers
Ces phares
Ces immenses sémaphores
Qui disent bien plus
Que des mots médusés
Ai vu les yeux parler
Ai vu les yeux jouir
Ai vu les yeux
Prendre possession
Du Monde
Du Mien d’abord
Cet inconnu à moi-même
Cette terre d’exil
Qu’aucun pied ne foule jamais
Qu’aucune conscience ne parvient
À déchiffrer à la hauteur
De son abyssale dimension
***
La clarté était rare
Propice aux confidences
Médiatrice des formes
En devenir
Antichambre des songes
Corridor des fantasmes
L’ŒIL du Peintre
Me regardait de loin
Sans doute depuis le domaine des Morts
Cette obsidienne aiguë
Ce noir brûlé de Génie
Cette puissance de Minotaure
Qui me clouait
A ma propre stupeur
***
Oui j’étais fasciné
Oui j’étais mis à nu
Oui j’étais celui
Regardant
Regardé
Je ne savais plus
Quand le jour se lèverait
La nuit tomberait
Le Plein était insoutenable
L’Ouvert une comète échevelée
La Clairière un cercle
Où dansaient les figures
De l’Enfer
Et pourtant je demeurais
Sur ce siège noir
Face à l’Enigme
Cette Déesse de papier
Elle était l’Art
En son sortilège
Etais-je l’Artiste
Qui implorait la grâce
D’Être
De demeurer
Là sur ce fil du papier
Seul lieu peut-être
Pour accéder
À Soi
Un
Jour