Photographie : Blanc-Seing
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Les souches m’avais-tu dit
Leur sourd effondrement
Les racines t’avais-je répondu
Leur infinie croissance
Il en est toujours ainsi
Une chose apparaît
Une chose disparaît
Et le monde est vivant
Que nous pensions mort
*
Ce bord du lac
Cent fois nous en avions fait
Le tour
Devisant de tout
De rien
Il s’en fallait de beaucoup
Que nos âmes fussent tranquilles
Nos corps disponibles
Nous avancions
Le long de notre étrave
Soucieux d’être
Soucieux de ne point
Nous absenter
*
Et pourtant se produisait
Le pur miracle
De notre présence
Qui durait bien au-delà
De nos plus fols espoirs
Nous avions je crois
Accordé nos étranges destins
A la tâche de mourir
La seule liberté me disais-tu
Le seul lieu d’une possible félicité
T’assurais-je
Les jours de brume et de poix
Nous marchions en silence
Le long d’arbres décharnés
Le long de blancs ossuaires
*
Les pierres me disais-tu
Leur admirable longévité
Leur puissance
Je te disais la roche
Devenue poussière
La montagne en sa perte
Ce sable qui courait à l’infini
Poussé par les meutes de vent
*
Parfois nous ne disions rien
Et nos chairs s’allégeaient
Du noroît du doute
Nous ne savions plus trop
Pris dans les mailles
D’une vision altérée
Si j’étais toi
Si tu étais moi
*
Nous étions alors telle la souche
Livrés à la touffeur de la glaise
Nous étions aussi le blanc nuage
Que le ciel gommait
Dans des teintes si légères
Que sûrement nous l’avions inventé
Nous étions tout et rien à la fois
*
Un jour de lassitude
Le souvenir est fiché
Dans ma mémoire
Pareil au clou dans la planche
Tu t’es assise sur le bois usé
Et je crois bien que tu souhaitais
En devenir une possible nervure
*
Ces rides me disais-tu
Ces vergetures
Ces profondes entailles
Ne prédisent-elles l’avenir
La chute infinie dans la ravine
Dernière de l’exister
Cet emmêlement reprenais-tu
Cette mangrove des événements
Ces crabes aux pinces levés
Ces palétuviers qui sonnent
Tels de funestes avertissements
Ces mares de limon
Dont nous ressortons hagards
Où conduisent-elles
Sinon au bout de notre
Propre épreuve
À l’extrémité du temps
Qui est le nôtre
À l’avenance du jour
Qui toujours est notre lieu
Nous n’en saisissons
Que l’ultime figure
Cette eau du lac qui ne reflète
Notre pure esquisse
Qu’à la mieux reprendre
En son onde insondable
*
Nous ne vivions qu’à flotter
Auprès de nos corps
En attente d’une complétude
Qui jamais ne viendrait
Nous en connaissions
Le prix à payer
Longer la rive circulaire
En accomplir mille fois
La révolution
Telles les planètes
Dans l’immense galaxie
Nous étions des étoiles
Tombées du ciel
Mais n’en avions plus
La mémoire
C’est pourquoi
Depuis des temps immémoriaux
Nous cherchons notre être
Ici dans la souche épuisée
Là dans la blanche racine
*
Le mot de nous-mêmes
Qui nous dirait l’instant
De notre unique présence
N’est encore nullement venu
*
Qu’il gire et bourdonne
Tout autour de nos têtes
Là est notre destin le plus lisible
Le livre est à moitié écrit
Qui nous dira la trace
De qui tu es
De qui je suis
*
L’attente déjà
Est notre demeure
Le silence notre parole
Nous voyez-vous au moins
Vous les incrédules
Aux mains tremblantes
Aux visages révulsés d’angoisse
Vous les hérétiques
Nous apercevez-vous
Âmes errantes à la recherche
De leur ciel
Nous voyez-vous
Nous n’avons que ceci
Pour exister
*