« Fleur de sel »
Salin de Gruissan
Photographie : Hervé Baïs
***
Et vois-tu cette encre du ciel
Un oiseau y a tracé son signe
Un mystère sans doute
Une fuite dans le bleu
Une distance de soi
Tout vol est ceci
Une séparation
Le début d’un songe
Un regard derrière l’horizon
Un monde se dit
Dans l’avenue du jour
Un monde s’évanouit
Que nous connaissions trop
*
Comment tirer une ivresse
Du journal aux caractères usés
Comment voir le visage familier
Sous d’autres facettes
Que celles d’un présent
Infiniment réitéré
Grand est le danger
De toujours lire
La même lettre
De clouer le paysage
Derrière son globe
De verre
De fixer la colline
Dans sa courbe infinie
De ne voir que le même couloir
Qui ne débouche sur rien
*
Parfois je vais aux étangs
Cette métaphore liquide
Qui dit le temps
En son immobile
Longuement je regarde
La pellicule d’eau
Longtemps elle se referme
Sur son infinie densité
Mais pourquoi donc
Cette mer si menue
Ne dit-elle rien
Dont je pourrais faire
Mon profit
*
Et ce ciel si haut
Ses balafres marines
Ses irréelles coulures
Elles glissent à mon insu
Emportant avec elles
Quelque chose du monde
Dont je n’aurai plus
La jouissance
Ainsi nous quittent les choses
Ces efflorescences sans nom
Dont nous aurions voulu
La parole
Dont nous aurions souhaité
L’étincelle
*
Es-tu toi aussi
Ma lointaine confidente
Livrée au supplice du vent
Ecartelée à la flamme solaire
Dispersée dans ton corps
Lorsque s’y introduit
La palme du doute
Que s’y agitent
Les flots de l’angoisse
*
Nul repos ici qui ferait
Sa douce onction
Son juste murmure
Nulle attention
A notre cruelle dérive
Nous sommes des enfants
Livrés au caprice de l’heure
Nous tentons de remonter la clé
Qui fait tourner l’horloge
Et nos doigts gourds
En perdent vite la mesure
*
Parfois les aiguilles
Demeurent pareilles
A une glace figée
Sur quelque mare
Et nous sommes
Au désarroi
De nous sentir Ici
Ou bien Là
Insectes rivés
À la planche de liège
Lucanes au corps luisant
Que ne traverse
Ni la pluie des secondes
Ni l’étrave de l’heure
*
Ca qu’il faudrait
En es-tu au moins consciente
Nous asseoir
Sur le rivage
Mains posées
Sur les bouquets
De salicorne
Ecarter les touffes
Des roseaux
Dépasser la haie rose des flamants
Les noeuds noirs des anguilles
Connaître dans l’immédiat de la vision
Ces monticules blancs étincelants
Ces dunes de sel
Qui se reflètent dans l’eau
Tels des mirages
Oui des mirages
Et nous serions alors
Immensément libres
*
Nous planerions infiniment
Parfois sous nos ailes
L’eau serait rose
Une manière de sang dilué
Peut-être la couleur de tes joues
Qu’aviverait une nouvelle passion
Alors nous serions loin des hommes
Qu’abrite la haute tour
Que dissimulent les forets de toits
Quelques goélands friseraient l’eau
De leur carlingue de plumes
Nous ne saurions plus
Notre propre venue au monde
Battus par les vents
Usés de soleil
Cinglés d’étoiles
Dans la nuit qui sourdrait
*
Serions-nous alors
Ces simples fleurs de sel
Ces cristaux vibrant de l’intérieur
Nous voudrions tant demeurer
En silence au milieu
Des bruits du monde
Il est si heureux de n’être
Que ce passage blanc
Qu’une prochaine eau
Sans doute diluera
Oui diluera
*