Photographie : Blanc Seing
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Sais-tu le poème il faudrait l’user
Gommer la moindre aspérité
Combler la ride
Dissimuler le grain
Qui le porterait à l’actuel
Troubler en son sein
La moindre sortie de soi
Qui en ferait une chose
Un objet de curiosité
*
Sais-tu le poème
il faudrait le laisser
À soi
Ne plus le toucher
L’effleurer seulement
Du plat de l’âme
S’éloigner
Sur la pointe des pieds
Pareils à ces Etoiles
Danseuses qui glissent
Le long
De la barre de bois
*
Oui car sais-tu le Poème
Est juste chorégraphie
Envolée de tulle
Au-dessus du parquet armorié
Qui donc pourrait le dire
Sinon le lustre de cristal
Ses mille gouttes de Bohème
Ce fleuve Danube
En ses eaux mariales
Qui le suggérer
Sinon la Belle en sa loge
Cette corbeille incarnat
Dans laquelle elle déplie
Le luxe de sa chair
Qui tonne au rideau
*
Beaucoup n’ont d’yeux
Que pour elle
Cette Courtisane
Qui n’est là que
Pour faire au désir
Un reposoir
*
Ses Soupirants
Ces hommes de peu
Ne font que convoiter
Sa gorge
Soupeser
Les étoffes perlées
Qui retiennent son corps
Alors que sur scène
Se dit la parole
En sa plus exacte beauté
*
Sais-tu le poème il faudrait l’user
En restituer le lisse
D’un galet
En offrir seule la lumière
Oui quelques taches d’ombre
Oui quelques clairs-obscurs
*
Toute flamme
Y compris la plus vive
S’adoube à la nuit
Y creuse son intime réduit
Mais le Poème
Lui
Cette comète qui scintille
De ses mille feux
Pourrait-on l’immoler
Dans cet ubac qui jamais
N’en finirait
Effacerait de sa suie
Le mot disant
Ferait du vers
Une simple césure
Plongerait le rythme
Dans une hémiplégie
Que rien dès lors
Ne pourrait sauver
Immobile
En sa dernière
Demeure
*
Ainsi serait le Poème
Si nous avions la force
De le créer
Selon son essence
Le Poème serait paysage
Longue bande minérale
Posée dans le gris
Il serait ciel d’infini
Impalpable nuage
Dalle de pierre
D’où le jour se lèverait
*
Il parlerait depuis
Quelque faille d’ombre
Et ses lèvres seraient
Les bords d’une ravine
Une langue inouïe
Un souffle mémoriel
Une voix venue
De plus loin
Que son primitif silence
Une voix semblable
Au cairn dressé
Dans son énigmatique
Splendeur
On entendrait alors
Le gonflement de l’horizon
Sa rangée de rocs inclinés
Disant l’incision du temps
*
Le Poème nul ne le connaîtrait
Qu’à aller le rejoindre
Dans sa gangue immortelle
L’on se ferait gisant
Dans la lumière oblique
De la crypte
Cariatide aux yeux vides
Sous l’antique chapiteau
Gemme dans sa pulpe de limon
Bien au-delà des hommes
Bien au-delà des sources
Là où git l’Origine
En son étrange
Et insoutenable
Flamboiement
Là seulement serait
Le Lieu de l’Être
De l’Être du Poème
Celui qui ne se dit
Qu’à mieux disparaître
Pour ceci
Nous sommes toujours
En deuil de Lui
Le crêpe cerne nos fronts
Poème fuit
*