« Les choses que nous aimons,
ce sont elles qui nous affligent »
Œuvre : Dongni Hou
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Comment aimer,
se distraire de son être,
élire une âme amie
et demeurer en soi
avec la plus belle rectitude
qui se puisse imaginer ?
Car c’est de vérité
dont il s’agit, d’abord,
de conformité avec
l’essence que l’on est.
Combien il est éprouvant, déjà,
d’ouvrir sa forteresse,
d’y convoquer l’autre,
de lui accorder place,
de diminuer le cercle
de son emprise,
de faire de l’unité
l’orbe recevant le double.
La place que j’occupe
est toujours lieu de pure élection
dans la proximité.
Le corps est un objet qui, s’offrant,
se dérobe à sa propre tâche,
qui est de voguer à l’intérieur
de ses intimes frontières.
Le corps est asilaire,
perdu dès qu’il est hors de soi.
Amitié est ceci : affinité du corps à corps.
Amour est ceci : fusion des corps
en une seule et même matrice.
Visage unique, lequel dissimule,
sous un même voile,
deux figures distinctes.
Pourtant il faut bien consentir
à cette dilution de soi
qui appelle la dilution de l’autre.
Où se situe donc chacun
dans cette navigation
qui cingle vers les flots
de l’intranquillité ?
Oui, car il n’est jamais de repos
aux cœurs de ceux qui cherchent
l’inatteignable complétude.
Au large de notre vision,
bien des choses s’allument et clignotent
auxquelles nous ne prêtons aucun crédit.
Qu’en est-il de la feuille dans le vent
qui disparaît à même son vol ?
Qu’en est-il de ce fruit
qui se balance au bout de son rameau
et chutera bientôt ?
Mais les choses hors de l’homme
sont tellement insignifiantes
que nous les condamnons
à n’être que colifichets,
rapides manèges girant
au large de nos préoccupations.
Mais LA FEMME, là,
la souriante éclaircie,
l’éclair blond,
la dague de lumière
qui taraude nos chairs
jusqu’à la brûlure,
pouvons-nous nous y soustraire ?
Pouvons-nous nous dérober
à son regard et aller l’âme en paix,
le corps quitte de ses dettes,
libre de ses désirs ?
Nous, les hommes,
sommes si faibles
dans nos cuirasses fendues,
elles prennent l’eau et le vent
et nous nous sentons transis
jusqu’au plus profond dénuement.
Voici, nous nous levons.
Le soleil est blanc,
poudré d’une tristesse infinie.
On dirait Pierrot
ayant perdu sa Colombine.
On dirait Orphée
en quête de son Eurydice.
L’air est serré telle une étoupe.
On avance à pas hésitants,
pareil au fildefériste
sur son câble d’acier.
On tient la perche
d’un salutaire espoir
tout au bout
de ses longs tentacules.
On voudrait saisir la beauté
mais elle ne se donne jamais
qu’au prix de longs efforts.
On s’épuise à vivre,
on échoue dans l’œuvre d’exister.
On connaît le flamboiement
de la passion.
Il n’en demeure, le plus souvent,
qu’un long brasillement
qui fait sa gerbe lumineuse
dans la noire travée de l’inconscient.
On lance ses bras à la conquête
du solide, du rassurant,
de l’inextinguible présence.
Mais elle n’est que chiffon
s’agitant tout en haut
d’un bâton de prières,
que signe éteint au front usé
d’un étrange palimpseste.
CELLE qu’on a vue, là-bas,
dans le subit éclatement du jour,
celle qui s’allume
tel un brillant cosmos,
comment en faire le site
d’une joie perdurant
au-delà de l’heure ?
Comment se désigner
à son attention
autrement qu’à n’être
qu’un malhabile sémaphore
agitant ses bras au plein
d’une « Divine comédie » ?
Les cercles de l’Enfer sont si proches !
Ils font leur sombre rougeoiement.
Ils veulent connaître
le luxe de notre chair,
y planter leurs braises inventives.
La feuille, la pomme, le morceau d’écorce,
Nous les piétinons
sans quelque égard
pour leur être.
Ils sont semés ici et là
mais au titre du hasard,
de la contingence,
de la dense matérialité.
Seule compte CELLE qu’on a vue,
là-bas,
dans son berceau de clarté.
Elle seule fait présence
Et demande qu’on la situe
au plein de nos significations.
Elle est pareille à une étoile
piquée au firmament,
qui effacerait, autour d’elle,
quelque amas de poussière sidérale.
Ces poussières ne sont
que d’infimes détails,
de simples distractions,
les antonymes d’une Nécessité.
Aussi les regardons-nous
comme des diversions du temps,
des erreurs de l’espace.
« Les choses que nous aimons,
ce sont elles qui nous affligent »
Pour cette raison
nous sommes endeuillés
de ne pas les visiter,
de n’en capter que l’éblouissement
sur le fond obscur de l’univers.
Combien nous aurions aimé
nous aliéner à leur propre puissance
et dire, face à l’éblouissant Soleil :
« Tu es le rayon qui me féconde
et me porte au plein de qui je suis,
Aussi ma tristesse
est-elle infinie lorsque ta venue
se fait sur le mode confondant
de l’éclipse.
Rien au monde ne compte
que TOI ! »
« Les choses que nous aimons,
ce sont elles qui nous affligent »