« Nous perdons nos vies
avec la hantise de ne jamais connaître
ce que nous voulions posséder »
Œuvre : Dongni Hou
***
Elle, la Nymphe au corps attentif,
elle née de l’aube
à peine posée sur le jour,
comment pourrions-nous la connaître
alors que les choses sont si fugitives,
alors que tendre les mains devant soi
ne retient jamais
que des lambeaux de nuit,
quelques copeaux de mince vérité ?
D’elle nous aurions souhaité
la caresse inventive,
même le seul effleurement
eût été une onde
de rapide bonheur.
Mais voilà, notre destin
est toujours en arrière de nous,
en avant de nous
et rarement coïncidons-nous
avec notre être.
Cet être, cet insensible,
cet impalpable
nous lui demandons
de se manifester
mais il est fuyant
tel l’éclair du ruisseau
et notre visage bruisse
de fines gouttelettes.
Que pouvons-nous faire
de ces pointes de diamant
qui brillent au bout de nos doigts,
sinon les regarder dans l’instant
qu’elles nous visitent,
et renoncer sitôt à leur éclat ?
Bientôt elles ne seront plus,
dans la brume de notre mémoire,
que choses ayant brièvement existé,
que mirages se perdant
dans les sables de notre propre désert.
C’est bien ceci, notre problème,
l’infinie solitude
et, tout autour,
la présence sidérante
du vide.
Nous tâchons de penser
le monde habité
et ce ne sont partout
que ruines fumantes
et colonnes antiques
vaincues par la dague
du temps.
Existons-nous vraiment ?
Telle est la question
qui gire sans cesse
dans le labyrinthe
de notre corps.
Serions-nous lézardés au point que
nous nous confondrions
avec l’amas de pierres
de la masure,
avec la dalle de ciment
qu’un lierre traverse
et reconduit à néant ?
Toujours nous rêvons
de pays lointains,
de contrées magiques,
de paradis ornés de fruits,
peuplés d’animaux gracieux,
abritant en leur sein
de merveilleuses chairs
dont nous pourrions user à satiété.
Mais les chairs palpitent au loin
telles des anémones de mer
et le peu de suc qui glace nos palais
dit la folle illusion dont,
le plus souvent,
nous sommes les victimes.
Nos yeux se dévoilent,
nos yeux se déplient
que nous lustrons
du bout de nos doigts
incrédules.
Une forme blanche,
toute de rigueur
et de silence assemblés.
Une Nymphe, disais-je,
au seuil de l’ombre nocturne.
Elle vit dans l’oubli
d’elle-même,
ramassée autour d’un corps
qui paraît si mince, si fragile.
On dirait une Tombée du ciel
dans sa parure de nuages,
dans son éblouissement simple
d’écume.
Elle est recueillie
et se montre identique à la chrysalide
avant qu’elle ne connaisse le jour.
Son visage est porcelaine ancienne.
Ses longs doigts, pattes d’insectes.
Ses jambes sans fin, attente de l’heure
qui se retient sur le bord de son souffle.
Une gerbe de fleurs s’épanouit
sur la plaine de son dos.
Des linges transparents
voilent et dévoilent
une instinctive pudeur.
Elle doit être sans désir autre
que de s’appartenir
en sa plus réelle éclosion.
Elle se tient tout contre
la paroi du monde,
là où son rideau de scène
bat contre les vents du ciel.
Elle est apaisée
comme peut l’être
le jeune enfant
dans la primeur de l’âge.
Elle, l’Eloignée ;
elle, la Chose qui fascine nos regards
et façonne nos désirs ;
lui, l’Objet de notre unique attention
qui nous fait signe
comme notre « part manquante » ;
eux, les Sentiments que nous portons
à notre propre conscience d’exister ;
elles, les Passions
qui nous brûlent de l’intérieur
et réduisent notre pensée en cendres,
labourent le massif de notre chair,
comment répondre
à leur silencieuse injonction,
comment concevoir l’exister
autrement que dans la lame abrasive
du pur désespoir ?
Toujours une flamme vacillante
à l’horizon
que mouche, soudain,
le surgissement du vent.
Toujours un feu de la Saint-Jean
que cinglent les dagues de pluie.
Toujours une eau de source contrariée
qui se perd
dans l’abîme
épuisé
du sol.
« Nous perdons nos vies
avec la hantise de ne jamais connaître
ce que nous voulions posséder »