Printemps en Corbières…
Photographie : Hervé Baïs
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[Incise - Ce qui va suivre, sous forme de poème, d’ode, d’hymne en leur plus commune modestie, n’a de sens qu’à s’inscrire dans la trajectoire qui, partant du non-sens constitué par la non-reconnaissance de la Nature, s’élève progressivement pour se découvrir à la manière d’une Evidence dont nos yeux, tachés d’une habituelle cécité, n’ont aperçu que l’écume de surface à défaut d’en surprendre l’étonnante et foisonnante profondeur. Oui, chacun le sait, la Nature est notre fondement humain, elle est l’Être par excellence et sans doute le Seul à qui nous puissions élever quelque temple, gravant sur son péristyle cette belle formule d’Héraclite l’Obscur :
"Nature aime à se cacher"
Or rien de ce qui est grossier, fruste, vulgaire ne cherche à se dissimuler pour le simple motif que le prosaïque est la seule raison d’être de l’insuffisance, du manque-à-être, de l’incomplétude. Seuls le beau, l’aimable, le gracieux ont besoin d’une obscurité native de manière à ménager, en eux, ce qui paraîtra sous les auspices d’une joie simple, donatrice de sens. C’est à nous, les Hommes, de dévoiler l’agrément dont toute chose porteuse d’évidence est tissée avec la plus belle réserve qui soit. Réserve est distinction, réserve est élégance. Si la Nature se donne parfois sous des paysages grandioses, sous des parutions sublimes, elle n’est pas moins estimable lorsqu’elle prend le visage du Simple, du Modeste, de l’Inaperçu. Ce thème de la Simplicité traverse mes écrits à la manière d’un leitmotiv, leitmotiv que vient redoubler, avec un pur bonheur, l’œuvre exigeante d’Hervé Baïs, belles photographies en Noir et Blanc qui m’ont souvent servi de prétexte pour broder quelque propos d’essence sans doute obsessionnelle.
Mais, par nature, sans jeu de mots, la Nature est elle-même obsessionnelle puisqu’elle persiste et signe dans on être malgré les atteintes mortelles que, chaque jour qui passe, nous commettons à son encontre. Certes méditer ne suffit pas. Agir est nécessaire. La photographie est le premier pas, l’écriture le motif qui vient en second, une manière de greffe sur la tige du réel. Nous avons à être les Jardiniers attentifs de cette floraison qui nous a portés au jour, que nous devons servir en retour avec amour. C’est bien le moins que nous puissions faire en direction de la Naturante dont nous ne sommes que les naturés, autrement dit les obligés. Merci à vous d’avoir lu jusqu’ici.]
*
Toi, la Naturante,
la Grande,
l’Immense Naturante,
combien ta prodigalité
est sans limite.
Certes tu nous offres
beaucoup
et nous, les Hommes,
ne voyons rien.
Et pourtant nos yeux
devraient être comblés
à seulement voir
le plumage bariolé de l’Ara,
les teintes chatoyantes
du Grand Canyon,
les ramures écarlates
des Flamboyants
et pourtant nous devrions
être à satiété,
laisser emplir notre corps
de la lumière étincelante des Rizières,
des cristaux de sel du Salar d’Uyuni,
des herbes couleur de soufre
des vastes Steppes.
« Nature aime à se cacher »
Toi-la-Naturante
dont les faveurs
sont immenses,
toi qui jamais ne taris,
toi qui chantes
la beauté du Monde
selon d’infinis harmoniques.
Nous ne sommes que
Les-Rejetons-naturés
de qui tu es,
Toi-la-Naturante.
Mais nous les Hommes
de faible destinée,
nous sommes imaginés
pouvoir nous hisser
à ta Hauteur,
te servir au seul motif
de notre intelligence,
te dépasser même
tellement nous jugions
notre génie sublime.
« Nature aime à se cacher »
Toi-la-Naturante,
nous t’avons dérobé
tout ce que tu possédais,
nous avons creusé ton ventre
pour en extraire
tes merveilleuses gemmes,
nous avons fouillé tes entrailles,
exhumé tes métaux précieux,
prélevé tes sucs millénaires,
nous les Hommes
sommes venus à la curée
et n’avons eu de cesse
de manduquer jusqu’au plus
infime de tes nutriments.
« Nature aime à se cacher »
Nous les Hommes
de faible constitution
sommes capables
de grandes choses :
élever de hauts monuments
au fronton de l’Histoire,
servir la Science
et lui faire accomplir
des prodiges,
écrire les Poèmes
les plus hauts,
dresser les belles
cimaises de l’Art,
y accrocher des œuvres
impérissables.
« Nature aime à se cacher »
Mais nous les Distraits,
nous les Inconscients,
nous les Somnambules
avançons au sein
de notre ombre,
sans souci aucun
d’y trouver quelque clarté,
quelque raison d’espérer.
Nous-les-naturés
issus de ton sein,
nous sommes devenus
au fil du temps
les dénaturés
qui ne savent plus reconnaître
la trace de leur chemin.
Désormais,
il nous faut apprendre
à nouveau à être Hommes
jusqu’au plein de notre conscience,
dissiper les brumes de nos erreurs,
écarter les voiles de l’inconnaissance
et avancer sur le sentier de l’exister
avec le regard clair,
les mains blanches,
l’allure de ceux
qui cherchent
le Bien et le Beau.
« Nature aime à se cacher »
Long est le périple,
difficile la tâche,
mais exaltante la course
au terme de laquelle
nous nous retrouverons
Hommes en tant qu’Hommes
et rien au-delà
qui pourrait altérer
les pages d’une
vierge condition.
Toi-la-Grande-Naturante,
La-Pourvoyeuse-de-toutes-choses,
nous faisons le serment
de te reconnaître
au plein de ta puissance,
de te fêter dignement,
de nous incliner
sur ton passage.
De toi, la-Naturante,
nous regarderons tout
avec ferveur et respect,
aussi bien le faste de
tes Immenses Glaciers,
les crètes immaculées
de tes Montagnes,
le dôme de mercure
de tes Océans.
Mais, aussi bien,
nous veillerons
au Menu,
au Modeste,
au Simple.
« Nature aime à se cacher »
Aussi regarderons nous
avec attention
ce ciel clair tissé d’argent
que traverse la laine
grise des nuages.
Aussi regarderons-nous
cette lueur du Ciel
partout répandue,
une Vérité venue à nous
dans la discrétion,
ce Poème retenu.
Aussi regarderons-nous
la courbe alanguie des Collines,
leur simple trait de charbon
qui unit la Terre et le Ciel,
image parfaite
de l’Alliance,
du Partage,
du recueil des Affinités.
Aussi regarderons-nous
avec l’émerveillement
qui convient aux enfants,
la ramure blanche de l’arbre,
son miroitement
sur la batiste légère du ciel,
sa parole à peine venue,
elle est pour nous,
elle est pour les Choses,
elle est pour Elle
en sa neuve clarté.
« Nature aime à se cacher »
Toi-la-Naturante,
combien il t’a fallu
de savoirs accumulés,
d’habiletés pour
faire se hisser
de la sourde glaise,
ce tronc aux écailles célestes,
ces branches entrelacées
qui nous disent
la beauté du Jour.
Combien de patience,
combien de générosité,
combien de mérites
auxquels nous sommes
restés aveugles,
sourds et muets !
Nous n’aurons trop
de notre vie entière
pour combler nos errances,
calmer nos douleurs,
poser un baume
sur nos manques,
tisser au plein de notre être
cette Ode que nous
aurions dû t’dresser,
cet Hymne que nous aurions
dû chanter à ta gloire.
« Nature aime à se cacher »
Oui, toi-l’Abondante,
Toi-la-Bienveillante,
Toi-l’Attentive
nous te remercions
de nous avoir adressé
ce paysage d’herbe grise
qu’effleure la lumière,
ce clair chemin qui ondule
parmi la solitude de l’heure,
nous dit la seule voie possible
pour un Destin humain :
être Soi jusqu’au
plus loin de Soi,
être Soi
pour le ciel,
pour le Nuage,
pour la Colline,
pour l’Arbre,
pour toute cette
multiple affluence
qui trace les limites
de notre humanité.
Merci infiniment,
Toi-la-Naturante
qui es notre
Mère à tous.
Sans toi,
ni le Ciel,
ni la Terre,
ni la Lumière,
ni les Mots pour te dire.
Nous-les-Rejetons-naturés
devons nous incliner
jusqu’au sol,
chanter pour Toi,
prier pou Toi,
aimer pour Toi.
Toi-la-Naturante.
« Nature aime à se cacher »