« Enfin seule ! »
Image : André Maynet
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verticale solitude.
Le monde, partout,
était traversé
de longues fulgurances.
Partout étaient
les déflagrations.
Sur les champs de guerre,
sur les places des villes,
dans les chambres d’amour.
Partout étaient les plaintes,
les sanglots longs,
les cris de la déchirure.
Partout les chairs
étaient entaillées à vif.
Plus un seul point
de la Terre
qui ne fût épargné.
Ensam en sa
verticale solitude.
Des Hautes montagnes
chutait un brouillard triste.
Les océans étaient parcourus
de longs frissons.
Les profondes vallées
s’emplissaient d’ombres.
Les rues étaient des couloirs
commis aux meurtres.
Des vitrines fusaient
des éclairs blafards.
Des bouches
ne sortaient plus
que de vagues
imprécations.
Ensam en sa
verticale solitude.
Quelque part,
dans une chambre
claire sur fond blanc,
vivait une Jeune Existence
qui faisait tache sur le monde.
Qui faisait tache en son retrait.
Qui faisait tache en son recueil.
Qui faisait tache en son silence.
Quiconque l’eût aperçue
en rêve en fût,
dans l’instant,
tombé amoureux.
Tout comme l’on est
en amour d’un nuage
dans le ciel,
de l’eau claire
d’un ruisseau,
du cristal d’une herbe
sur le vert du pré.
Ensam en sa
verticale solitude.
Savez-vous le prix,
vous les Distraits,
d’une Virginale Présence ?
La pureté devient si rare
en ces temps d’allégeance
à tout ce qui brille,
à tout ce qui bruit,
à tout ce qui file
à la vitesse du vent.
Plus rien, aujourd’hui,
ne se donne sous le signe
de l’immédiate présence,
sous celui de la générosité,
sous celui de la gratuité.
Aujourd’hui,
seul le négoce,
seul le voyage,
seul le masque
qui dissimule les traits,
efface les vices,
se donne pour vrai
alors qu’il n’est qu’illusion,
qu’il n’est que parade,
qu’il n’est que façade.
Ensam en sa
verticale solitude.
Ensam, regardez-là
comme vous regarderiez
une haie de buissons blancs,
le vol de l’oiseau
dans l’air limpide,
le chant du ruisseau
dans le frais vallon.
Tout se dit et murmure,
tout s’écrit sous le caractère
discret du hiéroglyphe.
Seulement le retrait,
seulement le recueil,
seulement la discrétion
font se lever la certitude
que quelque chose existe
qui ne soit nullement affecté,
qui rayonne de soi,
gagne l’espace d’une liberté.
Ensam en sa
verticale solitude.
Ensam est de la race
des Nymphes, des Elfes,
des Êtres des Sources
et des Bois.
Ensam, parfois,
sur les murs blancs
de sa chambre,
une cellule monastique,
Esam écrit,
à la craie blanche,
quelque formule
qui lui sert d’emblème.
Solitude est Joie.
Solitude est Vérité.
Solitude est ouverture
du Monde.
Solitude est aller
devant soi dans la plus
neuve des grâces.
Dire Ensam, la décrire
selon des mots simples
est la faire apparaître
en son essence
la plus déterminée.
Gris-blanc sont les cheveux,
poudrés d’une touche de Ciel.
Les yeux sont deux perles claires
que l’on devine au travers
d’une fine voilette.
Le visage est
un ovale régulier,
il dit la justesse,
il dit la perfection.
Ensam en sa
verticale solitude.
Les lèvres sont
à peine dessinées,
un trait rose pâle
où s’enclot le silence.
Le corps, en son entier
est une porcelaine,
une clarté d’albâtre,
la netteté d’une épure.
Les épaules si minces,
le buste si plat,
si retiré en lui-même,
deux boutons y figurent,
deux aréoles faisant écho
à l’humilité des lèvres.
Les avant-bras
sont gantés de noir,
ils évoquent un toucher
des choses ténu,
à peine un effleurement.
Le bassin est étroit,
pareil à une amphore
aux flancs resserrés.
Les jambes sont joliment croisées.
Le sexe est un illisible triangle,
le retrait dans une nubilité
non encore venue à elle.
Ensam en sa
verticale solitude.
Seule en sa Solitude,
Ensam la partage avec
une simple fleur rouge.
Pavot ? Amarante ? Œillet ?
Peu importe la fleur,
c’est la teinte
qui profère le mieux
ce lent désir caché
sous le fin linon de la peau.
Qui montre peut-être
la matière de la passion.
Ou bien qui fait signe
vers le plaisir.
Ou bien encore se donne
comme le rougeoiement
d’une révolte.
Ensam en sa
verticale solitude.
Fleur contre Fleur.
Ensam est une Fleur
que le Monde vient cueillir
dans la fraîcheur de l’aube
pour en faire le don aux Distraits,
afin qu’une fois Éveillés,
jamais ils ne puissent retourner
dans leur sommeil,
sombrer dans leur inconscient,
s’abîmer dans la profondeur
de leurs rêves.
Car les Hommes
ont les yeux clos,
la mémoire étroite,
ils cheminent à leur péril
sur une ligne de crête
qui menace, à chaque instant,
de les précipiter
dans l’orbe du Néant.
Ensam en sa
verticale solitude.
Ils seront les Distraits
et le demeureront tout le temps
qu’ils n’auront pris conscience
de la beauté des choses,
de la beauté d’Ensam
en son esquisse retenue.
Vous, les Distraits,
saisissez une craie et tracez
sur les parois du Monde
les signes de la Vérité.
Écrivez ceci dans l’allégresse,
dans la certitude de dire l’Essentiel,
de ne rien laisser dans l’ombre.
Écrivez de vos mains tremblantes
pareilles à des sarments, écrivez :
Soleil est vie
Ouvrir le Monde
Libre comme l’air
Illusion d’exister
Ténébreux les Hommes
Unir le Rien et le Néant
Dire la faveur de ce qui est
Ensam en sa venue
Lisez ceci, les Distraits.
Méditez ce qui se trouve
à l’Initiale.
Sondez votre conscience,
dépliez votre âme
et écrivez encore ceci :
Enivrement du jour
Nudité native
Seul le chemin
Amour devant
Moirure du corps
Ainsi, les Distraits,
aurez-vous dit
la seule chose
qu’il y avait à dire,
ainsi aurez-vous
relié ENSAM
à la seule valeur
qui la pose ici,
devant vous :
SOLITUDE.
Vous les Solitaires,
plongez en vous jusqu’à
atteindre vos racines,
SEULES,
elles sont
SEULES.
Et vous êtes au Monde
ESSEULÉS,
à votre insu
et vous êtes au Monde
et ne la savez pas !