vous avez besoin
est déjà en vous »
Œuvre : Dongni Hou
***
Cette simple phrase
venait à la manière
d’une ritournelle.
Elle, Vakandi,
l’Attentive,
cherchait autour d’elle
ce qui pouvait la conforter,
la rassurer en son être.
Vakandi était sensible
à tout ce qui l’entourait :
la pâleur infinie du ciel,
la trace diaphane du nuage,
le tremblement blanc des bouleaux,
la survenue du premier frimas,
la chute de la feuille
sur le sol d’automne.
Elle était elle, en elle,
au-dehors d’elle.
Elle était qui elle était
à se projeter sur les choses,
à saisir le vol erratique du papillon,
à deviner la texture de l’air,
à apercevoir un sourire
sur un visage aimé.
Au plein de Soi
Toujours Vakandi avait cru
que le bonheur était une brise
flottant tout autour de soi,
que la joie était
une cristallisation
qui se posait
sur l’écume de la vague,
sur la lisière de la forêt,
sur le bord souple de l’âme.
Vakandi était à soi hors de soi,
pareille à ces feux-follets,
à ces minces lueurs
qui venaient d’on ne sait où,
allaient on se sait où,
une simple brume flottant
sur le visage du Monde.
Le Monde de Vakandi était
toujours Monde de l’Autre :
ce qui était hors,
ce qui était lointain,
ce qui différait,
ce qui allait et venait devant
le globe ébloui des yeux.
Au plein de Soi
Mais que voulait donc dire
cette antienne énigmatique ?
N’était-on toujours
au plein de Soi ?
Et pourquoi cette Majuscule
à l’initiale du mot ?
Que voulait-elle signifier ?
L’unicité du Soi ?
Son Essentielle mesure ?
Un Orient qui vivrait en son abri ?
Le Soi en Soi et plus rien autour
que le silence et la chute du jour ?
Ce que Vakandi savait
à la façon d’une certitude,
c’est que le Soi était
un pur mystère,
qu’il fuyait à mesure
que l’on s’en rapprochait,
qu’il n’avait nul contour,
ne connaissait nulle frontière,
qu’il était semblable au trait
arrondi d’un cercle,
à la crète d’une montagne
nimbée de rosée,
à l’eau grise de la lagune.
Au plein de Soi
Toujours Vakandi avait
été en quête de Soi,
Attentive à ses diapreries,
ses floculations,
ses irisations.
Longtemps elle avait
cherché
le Soi au loin d’elle,
dans les sillons de glaise,
sur la cime des grands arbres,
l’immensité de la Mer,
les pays aux noms exotiques,
les courbes des méridiens,
les ciels azurés au-dessus
des clairs lagons.
Cherchant ceci,
elle n’avait rencontré
que la vacuité de l’Espace,
la mobilité infinie du Temps,
d’insaisissables esquisses,
des pastels à peine affirmés,
des traits de graphite
que gommait
l’obstination des choses
à ne nullement demeurer,
la fugue toujours
ouverte du présent,
sa fuite déjà dans un passé
qui ne proférait plus rien,
se dissolvait dans les mailles
floues des événements.
Au plein de Soi
Puis elle avait fui
la matière trop lourde,
trop dense,
avait cherché la transparence
dans la fiction des romans,
avait cherché la limpidité
dans le rythme d’un poème,
avait cherché refuge
dans un adagio,
un air de violoncelle,
une romance triste.
S’allégeant, elle faisait
de son Soi un simple souffle,
un chuchotement,
un silence entre deux mots.
Peut-être le Soi n’était-il
qu’une illusion,
une impossibilité,
un espoir fou que le
premier vent emporterait ?
Au plein de Soi
Comment dire Vakandi autrement
qu’à en tracer l’empreinte si légère
sur la face d’une toile de lin ?
Les cheveux de Vakandi ?
Une auréole de lumière grise,
des reflets si doux,
la touche discrète d’une pensée,
la délicatesse d’un sentiment.
Le visage de Vakandi ?
Une blanche glaçure,
un poudroiement de Colombine,
le sérieux d’une attention.
Les yeux de Vakandi ?
Deux points noirs,
ils sont semblables
à des virgules
sur le vierge de la page.
La bouche de Vakandi ?
Deux traits à peine affirmés,
on y devine la lente
germination des mots,
la possible efflorescence
de la confidence,
la naissance, bientôt,
du poème.
Les bras de Vakandi ?
Deux tiges pleines de grâce
qui soutiennent l’à peine
insistance du visage,
sa muette interrogation.
Le corps de Vakandi ?
Deviné seulement, manière
de présence-absence
que souligne
une robe opalescente
semée de fleurs délicates.
L’attitude de Vakandi ?
Claire, droite, absorbée
dans la vision d’un coquillage
posé sur le marbre d’une coiffeuse.
La disposition de Vakandi ?
Claire, droite mais songeuse,
infiniment songeuse,
comme au bord
d’une hallucination.
Au plein de Soi
Où le Soi de Vakandi
en cette minute fixe,
en cet instant de suspens,
le Temps est arrêté pour
un genre d’éternité.
Où le Soi de Vakandi ?
En elle, au plein le plus
secret de son être ?
Sur le seuil de son propre monde ?
Hors d’elle, projeté dans les spires
de l’énigmatique porcelaine ?
Où le Soi ? Où le voir ?
Peut-on au moins
le rencontrer, le dessiner,
le projeter sur l’écran
de sa propre conscience ?
C’est si indéterminé le Soi.
Si abstrait.
Réduit à ses trois lettres
S-O-I :
S pour Source
O pour Origine
I pour Infini
Comme pour nous dire
la Source inaperçue,
l’Origine cachée,
l’Infini qui se profile
sous l’horizon
des interrogations.
Toujours nous serons
des Métaphysiciens
aux mains vides,
des Magiciens sans cartes,
des Alchimistes courant après
l’ultime Matière
supposée devenir Esprit.
Mais comment comprendre tout ceci :
en devenant Humain plus qu’Humain ?
En s’extrayant de sa propre condition ?
En se métamorphosant en ces Démiurges
qui procèdent à leur propre venue ?
Au plein de Soi
S-O-I avec des tirets
entre les lettres,
comme pour nous dire
symboliquement
l’irrémissible quête,
le questionnement
en forme de vortex,
le contour de l’aporie.
Il n’y a jamais
de Soi qu’en Soi,
à l’abri de toute
investigation.
Questionner le soi,
c’est déjà le réifier,
lui donner statut de Chose,
lui infliger une
immanente présence.
Le Soi est le Soi.
Le Soi est tautologie.
Le Soi est à lui-même
son propre Pour-Soi,
son intime liberté.
Au plein de Soi
« Tout ce dont
vous avez besoin
est déjà en vous »,
tel est le titre conféré
à cette belle œuvre.
Ne nous dit-il le Soi
tel qu’en lui-même
depuis toujours assumé ?
Ne nous dit-il le Soi
à la manière
de la Beauté ?
Indéfinissable,
impérissable,
imprescriptible.
Le Soi est de la nature
des choses qui se profilent
à l’horizon,
ne profèrent jamais
leur nom
qu’à s’absenter,
la scène du monde
est trop étroite
pour accueillir le Soi.
Il est la Vastitude même,
l’Illimitation,
l’Insondable.
Il est le SOI.
Il est Œuvre accomplie.