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25 mars 2022 5 25 /03 /mars /2022 09:58
Ce pays dont j’ai rêvé

Lac de la Ganguise

Photographie : Hervé Baïs

 

***

 

Ce pays dont j’ai rêvé

a-t-il seulement jamais existé ?

 

Ce pays, longtemps

je l’ai habité

à la lisière de mes songes,

à la clairière de mon être.

Ce pays était celui de ma nuit

traversée

de fulgurances blanches.

Ce pays était pareil

à un conte d’enfants,

empli de fils de soie,

tissé d’aérienne splendeur.

 

Ce pays dont j’ai rêvé

a-t-il seulement jamais existé ?

 

Ce pays,

c’était moi hors de moi,

c’était moi en moi.

C’était un pays

plus réel que le réel,

c’était l’œil de l’imaginaire,

la langue souple de la poésie,

une révélation pareille

au surgissement

de l’amour.

Souvent, au cours de

mon voyage nocturne,

je m’éveillais,

avec la certitude que donne

toute joie accomplie,

avoir, au creux

de mes mains,

ce que je cherchais

en vain depuis toujours.

 

Ce pays dont j’ai rêvé

a-t-il seulement jamais existé ?

 

Mais l’abattement

succédait à l’illusion

et une rivière de larmes

creusait ses cruelles ravines

sur la plaine aride

de mes joues.

Pourquoi faut-il

que le songe meure

à la frange du jour ?

Pourquoi, ce qui était

pure félicité,

s’abîme-t-il en

de tristes abysses ?

Existe-t-il, en quelque

endroit du monde,

une Arcadie où vivre

jusqu’au bout de soi,

ne rien regretter d’Hier,

ne rien projeter pour Demain,

demeurer dans le plein

du Présent

et y creuser sa niche

avec le désir

de n’en jamais sortir ?

 

Ce pays dont j’ai rêvé

a-t-il seulement jamais existé ?

 

Voyez-vous,

c’est une peine sans égale

que d’abandonner ses rêves

que le jour dissout,

d’avancer sur un chemin

 bordé d’épines,

 de ne rien attendre d’autre

que la prochaine nuit,

son lac ténébreux,

 là où s’ouvrent

les plus belles images,

 là où de verts météores

tracent leur sillage,

 là où des chants silencieux

venus d’ailleurs

vous accordent à votre être.

 

Ce pays dont j’ai rêvé

a-t-il seulement jamais existé ?

 

Alors, entre le monde et soi,

entre le bonheur et soi,

entre le désir

et ce qui le fait se lever,

plus rien n’existe

qu’une belle unité,

plus rien ne s’écrit

que sur le vierge

d’une page blanche.

 Et voici qu’à l’instant

où tout se retirait de moi,

qu’à l’heure d’un

possible renoncement,

s’annonçait ce que

mon intuition

faisait naître dans le pli

de ma conscience,

une pure beauté

qui m’était destinée,

dont j’assurais le recel,

dont je prolongeais le recueil

aussi longtemps qu’une éternité

m’en octroierait le subtil bonheur.

 

Ce pays dont j’ai rêvé

a-t-il seulement jamais existé ?

 

C’était une pluie d’étoiles

parmi l’encre de minuit,

un fuseau de brillante

lumière,

des lignes de clarté

qui traçaient la voie

de mon Destin.

La lumière,

je la suivais,

ou bien elle me

précédait de peu,

ou bien la lumière

était entrée en moi,

était moi jusqu’au cœur

le plus vif de ma chair.

Mon esprit,

détaché de mon corps,

le voyait, mon corps,

semblable à ces

poissons lumineux

des grands fonds,

 un genre de poisson-lune

dilaté aux confins de l’univers.

 

Ce pays dont j’ai rêvé

a-t-il seulement jamais existé ?

 

Tout était matière éthérée,

énergie céleste,

 traversée de l’espace

avec le prodigieux

sentiment de l’infini.

Le Ciel, mais j’étais le Ciel,

était une immense bulle,

un dôme étincelant  attaché

 aux quatre horizons du monde.

Le Ciel était gris que floconnait

 le glissement de fins Nuages.

Les Nuages,

mais j’étais les Nuages,

regardaient la Terre

de leurs yeux invisibles.

Le Ciel descendait

 vers les Collines

en se décolorant,

le gris de plomb et d’étain

le cédait au gris perle,

une douce incantation proférée

par une Parole inaudible.

 

Ce pays dont j’ai rêvé

a-t-il seulement jamais existé ?

 

Les Collines,

mais j’étais les Collines,

 étaient un clair liseré

liant l’Occident à l’Orient,

un seul mot qui disait

 le lieu de la Pure Présence,

l’avènement en soi

de ce qui attend

 et se décèle

afin d’être connu,

afin d’être fêté.

Nulle joie plus grande

que la Naissance de l’Aube,

nulle cérémonie plus belle

que le dépli des volutes

 encore soudées de l’ombre.

Et le Lac, et l’Eau,

mais j’étais les deux

en un même mouvement réunis,

et le Lac de blanche écume,

et l’Eau de neuve parution

et les Choses de réelle donation.

 

Ce pays dont j’ai rêvé

a-t-il seulement jamais existé ?

 

Pouvait-il y avoir,

en ce lieu,

en cette heure

singulière entre toutes

de plus grande émotion

que de se trouver

à la confluence des Choses,

au sein de leur mystère,

au luxe inouï de leur jointure ?

 Et ces Épis noirs des branches,

mais j’étais les Épis,

naissaient de la blancheur,

montaient telles

de fuligineuses notes,

tels les pleins et les déliés

d’une Écriture

jusqu’ici indéchiffrée.

Mais j’étais cette Écriture,

j’étais ce balbutiant Alphabet,

 mais j’étais Espace

entre les signes,

j’étais le Silence

 avant la Parole,

j’étais l’Invisible

avant le Visible.

 

Ce pays dont j’ai rêvé

a-t-il seulement jamais existé ?

 

J’étais ce qui venait

au Monde

et ne savait point

 ni le lieu,

ni le temps,

 ni la raison

de sa venue.

Cependant un nom résonnait

sous la voûte des Cieux,

cependant trois syllabes

frappaient les trois coups

 sur la grande scène du Monde :

 

 « GAN-GUI-SE ».

Mais j’étais

GAN-GUI-SE 

 mais ne savais

les contours

de mon être.

J’étais Ciel, Nuages,

Collines, Lac, Eau,

Branches,

j’étais tout ceci

et le demeurerai jusqu’à

la pointe du Jour.

Oui, à la Pointe du Jour.

 Il n’y a guère

de plus réelle Vérité.

 Je suis un Monde

que le Monde attend.

Le Monde est Monde

qui m’attend.

Plus loin que la césure

Plus loin que le partage

Au milieu inouï du SENS

Toujours est la Confluence

qui fait les Choses

en tant que Choses,

le Monde

en tant que Monde,

ma propre Présence

en tant que Présence.

Hors ceci,

seul le Silence.

 

SEUL.

 

Ce pays dont j’ai rêvé

a-t-il seulement jamais existé ?

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