Lac de la Ganguise
Photographie : Hervé Baïs
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Ce pays dont j’ai rêvé
a-t-il seulement jamais existé ?
Ce pays, longtemps
je l’ai habité
à la lisière de mes songes,
à la clairière de mon être.
Ce pays était celui de ma nuit
traversée
de fulgurances blanches.
Ce pays était pareil
à un conte d’enfants,
empli de fils de soie,
tissé d’aérienne splendeur.
Ce pays dont j’ai rêvé
a-t-il seulement jamais existé ?
Ce pays,
c’était moi hors de moi,
c’était moi en moi.
C’était un pays
plus réel que le réel,
c’était l’œil de l’imaginaire,
la langue souple de la poésie,
une révélation pareille
au surgissement
de l’amour.
Souvent, au cours de
mon voyage nocturne,
je m’éveillais,
avec la certitude que donne
toute joie accomplie,
avoir, au creux
de mes mains,
ce que je cherchais
en vain depuis toujours.
Ce pays dont j’ai rêvé
a-t-il seulement jamais existé ?
Mais l’abattement
succédait à l’illusion
et une rivière de larmes
creusait ses cruelles ravines
sur la plaine aride
de mes joues.
Pourquoi faut-il
que le songe meure
à la frange du jour ?
Pourquoi, ce qui était
pure félicité,
s’abîme-t-il en
de tristes abysses ?
Existe-t-il, en quelque
endroit du monde,
une Arcadie où vivre
jusqu’au bout de soi,
ne rien regretter d’Hier,
ne rien projeter pour Demain,
demeurer dans le plein
du Présent
et y creuser sa niche
avec le désir
de n’en jamais sortir ?
Ce pays dont j’ai rêvé
a-t-il seulement jamais existé ?
Voyez-vous,
c’est une peine sans égale
que d’abandonner ses rêves
que le jour dissout,
d’avancer sur un chemin
bordé d’épines,
de ne rien attendre d’autre
que la prochaine nuit,
son lac ténébreux,
là où s’ouvrent
les plus belles images,
là où de verts météores
tracent leur sillage,
là où des chants silencieux
venus d’ailleurs
vous accordent à votre être.
Ce pays dont j’ai rêvé
a-t-il seulement jamais existé ?
Alors, entre le monde et soi,
entre le bonheur et soi,
entre le désir
et ce qui le fait se lever,
plus rien n’existe
qu’une belle unité,
plus rien ne s’écrit
que sur le vierge
d’une page blanche.
Et voici qu’à l’instant
où tout se retirait de moi,
qu’à l’heure d’un
possible renoncement,
s’annonçait ce que
mon intuition
faisait naître dans le pli
de ma conscience,
une pure beauté
qui m’était destinée,
dont j’assurais le recel,
dont je prolongeais le recueil
aussi longtemps qu’une éternité
m’en octroierait le subtil bonheur.
Ce pays dont j’ai rêvé
a-t-il seulement jamais existé ?
C’était une pluie d’étoiles
parmi l’encre de minuit,
un fuseau de brillante
lumière,
des lignes de clarté
qui traçaient la voie
de mon Destin.
La lumière,
je la suivais,
ou bien elle me
précédait de peu,
ou bien la lumière
était entrée en moi,
était moi jusqu’au cœur
le plus vif de ma chair.
Mon esprit,
détaché de mon corps,
le voyait, mon corps,
semblable à ces
poissons lumineux
des grands fonds,
un genre de poisson-lune
dilaté aux confins de l’univers.
Ce pays dont j’ai rêvé
a-t-il seulement jamais existé ?
Tout était matière éthérée,
énergie céleste,
traversée de l’espace
avec le prodigieux
sentiment de l’infini.
Le Ciel, mais j’étais le Ciel,
était une immense bulle,
un dôme étincelant attaché
aux quatre horizons du monde.
Le Ciel était gris que floconnait
le glissement de fins Nuages.
Les Nuages,
mais j’étais les Nuages,
regardaient la Terre
de leurs yeux invisibles.
Le Ciel descendait
vers les Collines
en se décolorant,
le gris de plomb et d’étain
le cédait au gris perle,
une douce incantation proférée
par une Parole inaudible.
Ce pays dont j’ai rêvé
a-t-il seulement jamais existé ?
Les Collines,
mais j’étais les Collines,
étaient un clair liseré
liant l’Occident à l’Orient,
un seul mot qui disait
le lieu de la Pure Présence,
l’avènement en soi
de ce qui attend
et se décèle
afin d’être connu,
afin d’être fêté.
Nulle joie plus grande
que la Naissance de l’Aube,
nulle cérémonie plus belle
que le dépli des volutes
encore soudées de l’ombre.
Et le Lac, et l’Eau,
mais j’étais les deux
en un même mouvement réunis,
et le Lac de blanche écume,
et l’Eau de neuve parution
et les Choses de réelle donation.
Ce pays dont j’ai rêvé
a-t-il seulement jamais existé ?
Pouvait-il y avoir,
en ce lieu,
en cette heure
singulière entre toutes
de plus grande émotion
que de se trouver
à la confluence des Choses,
au sein de leur mystère,
au luxe inouï de leur jointure ?
Et ces Épis noirs des branches,
mais j’étais les Épis,
naissaient de la blancheur,
montaient telles
de fuligineuses notes,
tels les pleins et les déliés
d’une Écriture
jusqu’ici indéchiffrée.
Mais j’étais cette Écriture,
j’étais ce balbutiant Alphabet,
mais j’étais Espace
entre les signes,
j’étais le Silence
avant la Parole,
j’étais l’Invisible
avant le Visible.
Ce pays dont j’ai rêvé
a-t-il seulement jamais existé ?
J’étais ce qui venait
au Monde
et ne savait point
ni le lieu,
ni le temps,
ni la raison
de sa venue.
Cependant un nom résonnait
sous la voûte des Cieux,
cependant trois syllabes
frappaient les trois coups
sur la grande scène du Monde :
« GAN-GUI-SE ».
Mais j’étais
GAN-GUI-SE
mais ne savais
les contours
de mon être.
J’étais Ciel, Nuages,
Collines, Lac, Eau,
Branches,
j’étais tout ceci
et le demeurerai jusqu’à
la pointe du Jour.
Oui, à la Pointe du Jour.
Il n’y a guère
de plus réelle Vérité.
Je suis un Monde
que le Monde attend.
Le Monde est Monde
qui m’attend.
Plus loin que la césure
Plus loin que le partage
Au milieu inouï du SENS
Toujours est la Confluence
qui fait les Choses
en tant que Choses,
le Monde
en tant que Monde,
ma propre Présence
en tant que Présence.
Hors ceci,
seul le Silence.
SEUL.
Ce pays dont j’ai rêvé
a-t-il seulement jamais existé ?