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10 janvier 2023 2 10 /01 /janvier /2023 08:42

Voyez-vous, parfois

l’on ne sait

si l’on est éveillés,

si l’on est au bord d’un rêve,

si la réalité a quelque consistance,

si l’on peut faire confiance

à ce que voient nos yeux.

 

   Et, ceci, bien loin d’être une affliction, est peut-être le lieu, non seulement d’un contentement de soi (la piètre consolation !), le lieu d’une félicité dont, le plus souvent l’on s’absente bien avant que d’en avoir sondé la profondeur, bien avant que d’en avoir éprouvé le rare, bien avant que de s’être persuadés que la vie est pure offrande et qu’en conséquence, il nous reviendrait, à nous humains, d’en ressentir la texture inimitable, la chair douce et somptueuse. Et moi qui décline ceci sur une manière de ton prophétique, je vous en fais l’aveu, je suis l’être le moins assuré du Monde.

Un rien m’effraie,

un vide m’effarouche,

une absence creuse en moi

de si profonds sillons que

 

   mon existence ne se pourrait guère comparer qu’à celle, végétative de la chrysalide, cet état intermédiaire qui, une fois penche vers la Vie, une autre fois vers la Mort. Je sais, je n’énonce que des truismes puisque, aussi bien, vous l’Étrangère, vous la Pure Illusion, posée sur la plaine de votre couche, dans cette pose alanguie qui ne saurait recevoir nul autre prédicat que celui de « retrait », de « fuite », de « néant », en quelque sorte, Vous, tout comme Moi sommes les acteurs d’une scène qui nous dépasse, sans doute « primitive », sans doute archaïque et il s’en faudrait d’un rien que nos corps, à même le sombre écho de nos paroles, ne parte à trépas, ne se dissolve dans les plis complexes du jour.

  

Ceci mérite-t-il que nous

ne connaissions plus, désormais,

qu’une lourde exténuation,

que notre horizon se voile de cendres,

que nos bouches se scellent,

que nos yeux semés de cataracte

 n’aperçoivent même plus

leur trace dans le miroir ?

 

   Mais quel est donc, aujourd’hui, sous la glaçure hivernale qui point, la forme de notre Destin ? En avons-nous encore un ? Les doigts de la Moïra nous guident-ils sur l’étroit chemin d’un lumineux adret ?  Nous précipitent-ils, au contraire, dans l’humide labyrinthe d’un ubac dont nous pressentions la présence sans jamais pouvoir en estimer le tracé si proche, le piège tendu comme celui qui va clouer la sauvagine à son propre effroi ? Certes, Vous que je ne connais qu’à l’aune d’un reflet, surgissant auprès de vous à la façon d’un voleur, sans doute me trouverez-vous bien audacieux, bien téméraire en même temps que lesté du souci de vivre jusqu’en ses plus extrêmes conséquences. En ceci, je vous donne mille fois raison, en ceci je reconnais à mon erratique discours des allures de rapt. Je m’empare de vous sans qu’une quelconque permission m’autorise à le faire. Peut-être est-ce même une relation de Maître à Esclave qu’inconsciemment j'établis comme si, de mon pouvoir, pouvait se lever quelque prestige qui me sauverait de moi-même ? En cet instant de ma méditation, une image de moi s’impose à ma conscience.

 

Je suis au milieu du vaste Océan,

tout entouré de brumes,

balloté par des flots d’écume,

tiré à hue et à dia si bien

que je ne sais plus

où commence mon corps,

où il finit.

 

Å la lisière de mes yeux,

une masse noire flotte à la dérive.

Un tronc d’arbre ?

Le mât d’une antique goélette ?

 Ou bien une hallucination

devenue, soudain, réalité ?

 

 Je ne sais et peu m’importe que les choses soient de telle ou de telle manière. Cet écueil qui me fait signe et promet de me sauver, n’est-ce Vous, n’est-ce votre haute et belle image à laquelle je m’accroche, moi le promis à une proche disparition ?

  

    Savez-vous, dans la vie ordinaire, nous sommes, les uns pour les autres, tantôt des Désespérés sur le point de s’effacer, tantôt des Écueils auxquels viennent s’amarrer Ceux, Celles dont le désarroi est bien proche de la Mort. Je ne parle guère de choses plaisantes. Mais l’existence est-elle une chose de cette nature ? Est-elle si fardée de multiples faveurs qu’à sa lumière tout s’éclairerait et se donnerait dans la joie, dans l’insouciance, dans le trajet clair que nul incident ne troublerait ? Si vous voulez, au point où nous en sommes, je veux bien troquer mon Principe de Réalité contre celui qui lui est logiquement opposé, le Principe de Plaisir et dire votre vie telle une fête et dire ma vie telle une pure félicité. Mais vous avez assez de lucidité pour ne nullement vous laisser prendre au jeu de ce tour de passe-passe, à ce geste de prestidigitateur. La magie n’a guère de valeur qu’au-dessus des berceaux des nouveau-nés ou bien dans la tête éthérée des fous, ils vivent à une autre altitude que nous et, peut-être sont-ils dans une forme de Vérité que jamais nous ne pourrons rejoindre puisque, guidés par le souverain Principe de Raison, nous n’accordons guère d’intérêt qu’aux choses tangibles, démontrables, aux enchaînements de causes et de conséquences.  

  

   C’est bien là notre naturelle surdi-mutité, à nous les Hommes, à vous les Femmes, que de croire que la Raison viendra à bout de tous nos doutes, qu’elle nous octroiera une place stable et fixe dans l’Univers. Je crois, du plus profond de mon pessimisme, qu’il faudrait créer, de toutes pièces, un Principe de Déraison afin que, mettant à mal nos habituelles certitudes, une lueur pût poindre à l’horizon, tissée des plus belles interrogations dont notre actuelle vision est désertée puisqu’elle ne cherche guère à s’assujettir qu’aux pierres angulaires qu’elle a façonnées, tout au long de son histoire existentielle, pour la rendre vraisemblable, pour la rendre simplement vivable.

 

C’est ainsi, malgré

l’accumulation de nos biens

(et ils sont nombreux !),

nous ne sommes que

des individus aux mains vides,

des genres de mendiants,

de chemineaux qui de route en route,

de chemin en chemin,

de sentier en sentier,

dévidons les graines

d’un chapelet dont,

depuis longtemps,

nous avons perdu le sens.

  

   Vous, ma « Chimère », Vous mon « Mirage » (combien ces noms sont beaux alors qu’ils ne sont censés dépeindre qu’une triste réalité !), vous êtes un fanal au large de qui-je-suis, une étincelle brillant au fond du diamant de la nuit. C’est seulement de vous apercevoir au loin, de me heurter à votre invisibilité, de ne pouvoir vous effleurer que vous devenez infiniment Réelle, infiniment Précieuse. Seriez-vous en mon logis à me côtoyer et, bien plutôt que d’en éprouver une immense gratitude, chose parmi les choses (excusez ma brusquerie), vous vous seriez fondue dans la contingence dont nul ne ressort qu’au prix de son absence définitive. Que reste-t-il pour moi de plus urgent et de plus délicieux que de vous décrire.

 

Logée au sein même

de mon langage,

portée au cœur même des mots,

vous devenez pur Poème

auquel je peux m’abreuver

 lorsque mes lèvres brûlent,

que mon esprit divague,

que mon âme menace

de me quitter et de prendre

son envol définitif.

  

   Dans le bleu indéfini, sans doute celui qui précède la levée du jour, vous reposez dans le calme et la douceur. Sous le dais de votre corps, que je présume souple et léger, je vois le plissement de vos draps, ils me font penser à ces rides de sable que les ris de vent ont sculptées aux hanches voluptueuses des rivages. Alanguie sur cette mesure de bleu, c’est le dessin de votre épaule qui s’imprime à la manière d’un fin et élégant liseré. Combien cette ligne me rassure, combien cette ligne m’apaise. Elle est semblable aux mouvements premiers d’une origine, elle naît à peine de soi et semble se sustenter à cette immobile supplique.

 

Et votre visage, cette unité

qui me fait penser

à la beauté d’un céladon

dans la demi-ombre d’une étagère.

La rivière de vos cheveux.

La pommette discrètement saillante.

La fugue presqu’inaperçue de votre joue.

Tout ceci dessine l’esquisse

la plus heureuse,

le motif le plus simple

qui vous portent au jour

dans l’heure silencieuse

de la venue des

choses essentielles.

 

   Inévitablement, cela me fait penser aux premiers pas d’une Danseuse, aux touches tout en effleurement de chaussons de soie qu’une musique lointaine appelle et rend possible alors que les Hommes, pliés dans leur nasse de chair, ne sont vivants qu’au rythme, au halètement de leur poitrine, ils reposent en eux comme l’alizé dans une conque marine.

  

   Face à vous, dans un illisible miroir, votre Reflet. Est-il vous plus que vous ? Est-il la figure de votre avenir, lorsque levée au jour, vous rejoindrez le tumulte du multiple, que des voix napperont votre corps, que des gestes traceront votre profil, que des yeux vous détermineront en votre Être, bien plus que vous n’auriez jamais pu le faire, fixant pour toujours celle-que-vous-êtes dans une manière de tunique existentielle à laquelle, peut-être, vous n’adhèrerez nullement, un genre de cocon qui vous ôtera toute liberté d’être Vous, jusqu’au faîte de Vous-même. Avez-vous déjà éprouvé cette remise à l’Autre, cette douce aliénation (l’oxymore, je le souhaite, atténuera votre douleur),

 

et, soudain, vous êtes l’insecte

au centre de la toile d’araignée,

et soudain, vos mouvements

ne vous appartiennent plus,

et soudain votre propre image

se dissout sur l’onde lisse du miroir

et, soudain, il ne reste plus que

Vous en voie de disparaître,

il ne reste plus que Moi

dans le vortex de mon esseulement.

Puissiez-vous,

Pur Mirage

me visiter

et me visiter encore !

 

 

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