Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
29 janvier 2023 7 29 /01 /janvier /2023 11:27
Toi dont l’empreinte…

Photographie : Hervé Baïs

 

***

 

   [PrologueD’une recherche fiévreuse du Soi en l’Autre ; de l’Autre en Soi.

  

   Parfois convient-il de se retourner, de regarder par-dessus son épaule, de viser ce qui, dans l’ombre du passé, vient jusqu’au présent, pour lui donner forme, pour le conduire tout au bout de son être, là où nul autre ajout ne pourrait en confirmer la singulière essence. Ceux, Celles qui sont familiers de ma prose (qu’ils en soient ici remerciés) n’auront manqué d’apercevoir, dans le rythme des phrases, surgissant telles de souterraines eaux, des motifs toujours renouvelés qui s’y impriment à la façon d’un refrain lancinant, d’une complainte venue de loin, en partance pour l’illisible destin qui se nomme « existence » et toujours nous interpelle au simple fait que c’est nous, et seulement nous, qui en tissons les fils de chaîne et de trame au terme desquels la toile sera celle de notre propre Destin et nulle autre, lui ressemblât-elle, comme reflétée en quelque miroir.

   Mais si nous sommes les maîtres d’œuvre de cet ouvrage, loin s’en faut qu’une activité solitaire n’en détermine la forme. La solitude, le Solitaire ne prennent vraiment sens qu’à avoir, en retour, quelque écho venu d’ailleurs, quelque regard plongé dans l’ombre, quelque poitrine qui bat à l’unisson. Les mots que j’écris, au fil des jours, sont en attente d’être fécondés par d’autres consciences attentives. Ainsi se donnera un levain qui fera gonfler la pâte du langage jusqu’à son point d’incandescence, si ceci est cependant possible.

 

Écrivant, je ne suis qu’attente

Lisant, vous n’êtes qu’attente

 

   Ainsi confluons-nous en une même eau dont nous souhaitons qu’elle comble quelque vide constitutif de nos êtres respectifs.

 

Écrire : ma part d’incomplétude

Lire : votre part d’incomplétude

 

   Et, ici, je pense au beau titre du livre de Christian Bobin, « La part manquante ». Cet Écrivain voulait la combler avec le nom de Dieu et, peut-être sa Présence. Nous aurons de plus modestes ambitions, espérant, de notre Lecture/Écriture, obtenir quelque douceur qui nous dise le lieu de nos Êtres au sein d’un Monde en proie à ses démons et, certes, ils sont nombreux, que beaucoup, par ailleurs, prennent pour leur Ange Gardien. Mais ceci n’est qu’une remarque adventice, l’essentiel est sans doute ailleurs, simplement peut-être en redonnant au merveilleux Langage une place qu’il a, depuis longtemps, perdue. Alors nous nous questionnons : quelle est « la part manquante » du Langage ? Et aussitôt le lien est immédiat qui ne se peut formuler qu’ainsi : c’est L’Homme qui est « la part manquante » du Langage puisque ce dernier, le Langage, est son Essence, le visage par lequel, nous autres Humains, parvenons à qui-nous-sommes d’une manière ultime. Bien plutôt que d’argumenter longuement, pensons à ceci : qu’en serait-il du sens de la vie si le Langage n’y imprimait nullement la nécessité de ses Mots ? La question, ici, vaut réponse. Chaque mot lu, écrit, proféré est un substantiel ajout à notre babélienne architecture. En réalité nous ne sommes qu’assemblage de mots. Certes, l’affirmation n’est ni récente, ni originale. Mais, parfois, une once de vérité habite-t-elle la modestie du lieu commun. Toujours un jeu subtil, un constant phénomène de renvois, de reflets, s’instaure au sein même de la Triade Mots/Choses/Monde. Nous en sommes les Acteurs et les Spectateurs.

   Je reviens donc à ce que je n’ai jamais quitté, à savoir ma tâche d’écriture. Et, immédiatement, je ne peux qu’évoquer les lignes de force, les aimantations, les confluences qui dessinent l’espace de mes méditations. Comme un jeu de piste, un chemin sinueux dont, cependant, émergeant des multiples « lignes flexueuses », des linéaments se dessinent que se peuvent résumer sous la forme d’une véritable litanie lexicale :

 

Le Fugitif – L’Empreinte – La Trace

Le Silence- L’Origine – Le Soi

La Solitude – la Blancheur – L’Indécision

Les Hiéroglyphes Mallarméens

Le Saisir comme Dessaisissement

L’Attente comme Attente

L’Art – L’Amour – L’Absolu

Le Don – L’essence – Le Désert

L’Aube – Le Crépuscule – Le Clair-Obscur

L’à peine venue du Jour

Le Corps Halluciné

Le Guetteur – Le Double – Le Jumeau

L’Ombre – La Lumière – La Pénombre

La division – La Césure – La Faille – L’abîme

L’Être des choses qui viennent à nous

Le Souvenir – La réminiscence

La Nostalgie du Lieu d’Avant-la-Naissance

Le Langage La Parole – La voix

Le Simple – Le Rassemblé – L’Unité

 

Et, comme un Point d’Orgue :

L’ABSENTE (« de tous bouquets »)

Cette Idée, cette Illusion, cette Chimère

Qui tiennent lieu du Réel et, parfois,

L’embellissent et le donnent à la manière

D’une Essence,

d’une Beauté

Dont nous ne pourrions faire

L’économie qu’à nous absenter

De Nous et n’être plus

Que ce Rien, ce Vide, Ce Néant,

c’est sur eux que prend fond

mon écriture, tout comme

Chacun, Chacune

Se porte au jour

S’en extrayant

Au moins

provisoirement

 

   Et, maintenant, que reste-t-il à dire après avoir tutoyé cCux que beaucoup considèreront tels de sombres abysses ? Rien que ceci : comment saisir le Réel en sa plus exacte mesure ? Cette entreprise a l’air d’une gageure tant les pièces du puzzle sont multiples. Ce qui m’occupe constamment et nervure l’ensemble de mes textes, aller au plus près d’une Vérité, autrement dit forer, si ceci est possible, jusqu’au socle premier, là où un feu couve encore, là où une « chair du milieu » (Certains, Certaines reconnaîtront) se déploie et se donne comme la provende originaire selon laquelle poser à l’horizon de notre regard cette étincelle unique de l’Instant, germe d’une Beauté à venir dont il est urgent de saisir le rare, l’inimitable, l’unique.

   Ceux, Celles qui, au travers de mon écriture, auraient reconnu l’ombre portée de la perte orphique de l’Aimée, seront au cœur même de la cible. Cependant il faut préciser que, sous le terme de « L’Aimée », s’il s’agit bien, certes, d’essayer de retrouver Eurydice, mais aussi, au travers de qui elle est, la Figure de la Beauté, cette Beauté qui transfigure les œuvres d’Art, donne aux Choses leur visage le plus aimable, confère au Monde la « Multiple Splendeur » selon le titre d’une oeuvre du Poète Émile Verhaeren. Ma « complainte », sinon ma « plainte », dans le respect et le retirement admiratif, laisseront la place à cet extrait tiré du fascicule « Le Verbe », car comment pourrait-on mieux dire,

 

« Mon esprit triste, et las des textes et des gloses,

Souvent s’en va vers ceux qui, dans leur prime ardeur,

Avec des cris d’amour et des mots de ferveur,

Un jour, les tout premiers, ont dénommé les choses. »

 

   Oui, « dénommer les choses » c’est inviter à les faire paraître. Les faire paraître avec simplicité et pudeur, voici ce qui trace la ligne qui délimite, sur la crête de la prodigieuse Montagne, l’Adret ensoleillé ; l’Ubac d’ombre.

 

Comme si la Vérité,

une fois regardait

 l’éblouissement

de la Lumière,

une fois se perdait

dans la Nuit Ombreuse.

 

Lumière des Mots,

Ombres de leurs intervalles.

Comment ne pas vivre

dans le rayon de Lumière ?

 Comment ne pas saisir

ce qui, précisément, nous sauve

du Silence,

du Rien,

du Néant ?

 

*

 

Sur la belle image d’Hervé Baïs

Un texte qui essaie de poétiser

Peut-être à défaut d’y parvenir

Le Langage est si Haut

Le Langage est si Beau

 

*

  

Toi dont l’empreinte,

 si fugitive en sa passée.

Toi dont l’empreinte

se confond avec

le nuage si haut.

Toi dont l’empreinte

 a tracé en moi les

lignes d’un espoir.

Partout le ciel est noir,

d’une insondable

profondeur.

On dirait une nuit,

on dirait un bitume

que rien ne semblerait

 pouvoir éclairer.

 

L’ombre

 de l’inconscient

dans son étrange

 continent

de chair sourde.

Le ciel ne parle pas,

le ciel est muet

qui regarde le Monde

du haut de son mystère.

Rien ne bouge

au-delà de moi.

 Rien ne bouge

 et le paysage

 est figé,

comme

s’il voulait

s’annuler,

en quête de

son origine.

 

 Rien ne bruit.

Tout est en soi, plié

au plus profond

de son être.

Les arbres sont plantés

 dans le sol de givre.

On devine le trajet

 silencieux de

leurs racines.

 Les arbres sont

à eux-mêmes

leur propre histoire,

une surrection dans

 l’ordre du jour,

 puis une plainte

 intérieure

soudée à même

leur écorce.

 Leurs branches

identiques à de

touchants

sémaphores,

 nul ne répond

 à leur geste de bois.

 

L’herbe est noire

qui joue

avec le ciel,

avec la haie,

avec les fûts des arbres.

La place est blanche,

d’une blancheur

sans tache,

elle me fait penser au

« vierge, vivace et

 au bel aujourd'hui »,

la complainte mallarméenne

est là qui fait

 son langage crypté,

qui tourne tout

 autour de moi,

pareil à un essaim

d’abeilles blanches.

Oui, blanches et

« cette blanche agonie »

 pénètre mon âme

d’une bien

étrange langueur.

 

Il lui faut, à mon âme,

cette longue indécision,

 cette halte du temps,

ce prisme de l’instant

 sur lequel mon esprit

ricoche et bondit

 hors de lui

 tel l’oiseau ivre

de l’écume du ciel.

 Oui, « l’écume du ciel »,

le noir est parti et l’éther

est une vaste plaine lisse

 qui me dit le lieu

possible de

mon être,

 entre un flocon

qui arrive,

un flocon

qui part.

 

Sais-tu,

Toi-la-Divine,

combien c’est une joie

de saisir et, à la fois,

de ne rien saisir ?

Combien c’est un bonheur

d’espérer

et de désespérer ?

 Combien c’est une félicité

 de se sentir Soi

et Autre que Soi ?

Tout est dans l’attente,

la longue et sinueuse

attente des choses.

 

Nul n’étreint le rien

qui tend ses mains

vers l’Absolu,

l’Art,

l’Amour.

Tout est toujours

en retour de Soi et

l’attente est pur Don.

 Pur Don de ce qui,

inaperçu,

vient à moi

 et emplit

 mes mains

de l’ombre

 d’une Présence.

Toi-la-Divine,

 je ne sais

quel est ton nom,

de quoi est tissée

 ton essence,

 si tes yeux sont

bleus ou mordorés,

si ton corps se cambre

sous le plaisir,

si tes doigts effleureront

un jour mon visage

pour en dessiner

les contours.

Je ne suis incliné

à moi-même

 qu’à te deviner

 penchée sur moi,

 telle une Fée

bienfaisante.

  

Je t’imagine parfois

en mon théâtre intime.

 La place est déserte.

 Le portail de fer est fermé.

La haie dresse ses tiges dans

 l’air transi de froid.

Les flocons,

 une pluie de flocons,

une giboulée de flocons,

flotte entre Ciel et Terre.

Des flocons-messagers

 qui tracent les lignes

 de Qui-tu-es,

 là sur ce banc de bois

 qui porte encore la chute

de ton corps souple,

chaud, disposé

 à la mesure

 étroite de l’heure.

Ce banc si vide que,

pour un peu, il chanterait

un hymne à ta beauté

et alors, sur Terre,

 tout se figerait,

et alors sur Terre

tu serais

 la Seule

 à vivre,

à sentir,

 à aimer.

 

Tout autour du banc,

les arbres font

 comme une porte,

un Temple à la Déesse

que tu ne manqueras

d’être pour moi,

simple Guetteur

 de tes Songes.

 Car il me plaît

de t’envisager sous

 les traits indistincts

de quelque animal fabuleux,

 Licorne, Oryx, Chimère,

en tout cas image nichée

au plus secret de

mon imaginaire,

un Double en

 quelque sorte,

un Jumeau,

une Ombre Siamoise.

Ainsi figurerais-tu mon envers,

 le contrepoint que mon esprit

réclame afin de se connaître

en totalité.

Sais-tu combien

 il est éprouvant

 de sentir en Soi

la ligne d’une division,

 la trace d’une césure,

de s’approcher,

 à tout instant,

d’une faille

qui pourrait

s’ouvrir où connaître

le plus cruel désespoir,

s’immoler en Soi

et perdre

 toute prétention

à être.

Mais vois-tu,

malgré ma

plainte lancinante,

un genre de mélancolie

 s’abreuvant à sa propre source,

 je ne suis nullement triste,

seulement en

attente de Toi :

Flocon qui virevoltes

et hésites à rejoindre le sol,

 Encre du Ciel qui

imprimes en moi

ses précieux caractères,

Arbre levé dans la

 toile du silence,

 Place lovée

 en sa blancheur,

Banc de bois

qui dessine

 le souvenir de Toi.

Le possible de Toi

 

 Oui, de Toi.

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : ÉCRITURE & Cie
  • : Littérature - Philosophie - Art - Photographie - Nouvelles - Essais
  • Contact

Rechercher