[Avant le texte – Ce mixte de prose et de poème, si du moins il en peut être ainsi, ne vous rencontrera qu’à vous poser problème. N’en serait-il de cette manière et vous auriez lu seulement la surface, non la profondeur, non la ténèbre qui se dissimule derrière chaque mot, tel un piège dont les mors pourraient se refermer sur la fragile toile de votre conscience. Les mots de ce texte parlent de la Mort. Cependant, de la Mort Majuscule qui n’est, en toute hypothèse, que l’ombre portée de NOTRE FINITUDE. Oui, en Grandes Lettes car cette vérité, il faut l’afficher, la porter à la cimaise, là où notre regard distrait voudrait seulement la confondre avec la feuille flottant dans le vent, la blanche giboulée, l’écume du nuage. Toutes des légèretés, des nuées qui nous exonèreraient de penser plus avant, de tresser les fils de bien plus noires préoccupations. Car, nous les « Hommes de bonne volonté », nous ne voulons l’exercer, cette volonté, qu’à saisir les bulles qui crèvent à la surface de l’étang, non à fouiller la vase qui en tapisse les abîmes. Nous voudrions un flux apaisé, une onde de cristal sur laquelle nous pourrions flotter tout comme de lumineux cerfs-volants, fouettant l’azur de leur queue enrubannée, polychrome. Oui, c’est ceci que nous voudrions mais nous savons bien, en notre fond, qu’alors, nous ne sommes jamais que des rêveurs debout, des genres d’amusantes cocottes en papier qui n’interrogent nullement les plis qui en constituent la structure, pas plus que le lieu de leur provenance.
Mais ici, convient-il de laisser la métaphore à son propre destin, cette atténuation du réel et donner, précisément à CE RÉEL le visage qu’il requiert en propre, face auquel, le plus souvent, nous sommes démunis. L’écriture ci-après est noire, chargée d’un sens mortifère. La Mort y surgit à chaque ligne ou presque, comme si, embusquée en quelque sombre ornière, elle attendait notre marche sur le chemin pour lancer, sans retard, et avec quelque véhémence, cette liane élastique qui fera de nos jambes des bouts de bois paralytiques. Ainsi la Mort nous cloue-t-elle au sol sans que, parfois, nous ne puissions nous relever sans dommage. Si j’énonce le fait qu’au motif du Langage en tant qu’Essence, les mots ne peuvent qu’être lumineux, je n’ai aucun doute que des Lecteurs et Lectrices emboîteront mes pas sans l’ombre d’un quelconque regret. Bien évidemment, il en ira bien autrement si chaque mot écrit s’abreuve à une source mortelle, infiniment mortelle. Parlant du vaste Désert Humain, si j’écris, comme ci-après : « Un tel vertige s’y annonce, porteur de bien des inquiétudes. », je sais que, d’ores et déjà, l’acte de lecture se verra teinté de gris, que de funestes ombres planeront ici et là, qui prendront le visage de la déréliction. Certes, il ne peut qu’en être ainsi.
Mais, que nous souhaitions contourner l’affliction, nous soustraire aux griffes de la tristesse, de la mélancolie, ce qui est une inclination naturelle, ceci, bien évidemment ne modifie en rien la texture du réel, il adhère à notre peau comme le lierre au tronc. Le geste d’écriture, sauf à être pure gratuité, ne saurait rien laisser dans l’ombre. Une fois la face de Lumière, une autre fois la face d’Ombre. Lorsque l’on se met en quête d’explorer le langage, son sens, l’on s’aperçoit vite qu’il ne fait que mimer le paradoxe humain, l’on découvre vite que, sous la Vie, se dissimule la lame aiguisée de la Mort. Si, de nos énonciations, nous ôtons la Funeste Camarde, alors nous amputons le réel de sa moitié, si ce n’est de son fondement, de ses assises. Car écrire s’abreuve à deux sources opposées mais logiquement complémentaires. L’écriture, et ceci de façon essentielle, a partie liée avec la Mort. Chaque mot qui surgit sur la page blanche, d’où tire-t-il sa soudaine existence ? Il est tout simplement exhumé du Néant, cet autre nom pour la Mort. Tel le Phénix qui renaîtrait de ses cendres, autrement dit s’abreuverait à sa propre inexistence. Tout mot prononcé, tout mot écrit, brillent d’un soudain éclat, leurs corps sont le lieu d’une fulguration puis d’une disparition qui leur est coalescente. Le Monde du Langage est une immense célébration que recouvre aussitôt une épaisse et lourde taie de silence. Tel mot d’anthologie écrit par Ronsard, Rabelais ou Montaigne, ne soutient sa profération qu’à bientôt être versé aux archives de l’oubli. Qui, aujourd’hui encore, se soucie des « Odes », qui parcourt les merveilleuses pages des « Essais », qui se distrait des facéties de Frère Jean des Entommeures en son abbaye de Thélème ? Sans doute est-il « naturel » qu’il en soit ainsi, chaque époque vivant en synchronisme avec « son temps ».
Si nous regardons la genèse du mot, nous nous apercevons bien qu’il s’agit de l’extraire du Néant, en attendant qu’il retourne au Néant dont il provient. Selon ce cycle immémorial :
Néant du Mot
Naissance et Vie du Mot
Mort du Mot
Que ceci nous affecte, ne change en rien le destin lexical, nous en faisons une simple constatation. Si, dans quantité de textes, nous nous appliquions à découvrir, sous l’énoncé, la résurgence mortelle qui en parcourt la chair, nous serions sans doute décontenancés de la même manière que nous le sommes, lorsque, sous l’écorce de l’arbre, nous découvrons sa fragilité, son abandon, parfois, au sourd labeur des xylophages. C’est bien là la loi de l’entropie, toute matière porte en elle les germes de sa propre destruction. Si, par l’imagination, nous essayons de poser devant nous la figure de l’Écrivain qui vient de mettre le point final à son œuvre, nous ne pouvons jamais l’envisager tel un humain heureux du travail accompli, bien plutôt tel l’enfant aux mains vides qui, un matin de Noël, découvre la vacuité, l’inanité du sapin dont il ne demeure que quelques aiguilles dispersées au hasard des tomettes. Tout est toujours ailleurs qui fuit de soi.]
**
Depuis la fente où mes yeux
s’allument à la clarté du réel,
je Vous observe comme
le Biologiste interroge
le cristal d’une diatomée.
Vous êtes mystérieuse
et, de ce mystère, s’accroit
l’interrogation de ma vision.
Aperçue, surgie du
plus loin de l’irréel,
je crains et souhaite,
tout à la fois, la persistance
de Votre image,
son incrustation à même
la conque d’ivoire de ma tête,
ce Désert qui, le plus souvent,
sollicite la venue de
quelque étonnement.
Un tel vertige s’y annonce,
porteur de bien des inquiétudes.
Vous que je ne connais pas,
qui sans doute demeurerez un
territoire à jamais secret,
Vous arrive-t-il de Vous interroger,
de Vous déporter de qui-Vous-êtes,
de Vous pencher sur la limite du Monde,
de tâcher d’en découvrir l’essence cryptée,
oui, cryptée au-delà de toute logique,
cryptée au-delà de toute raison ?
Le ciel est gris-blanc,
cette hésitation entre une nuit,
un jour, un long suspens,
le fléau d’une balance
que nul mouvement,
désormais, n’animera.
L’instant devenu éternité.
Ne croyez-Vous
qu’il ne s’agisse là
du don le plus précieux, ?
l’heure immobile
et le soleil cloué
dans sa boule blanche
au plus haut du zénith.
N’êtes-Vous identique
à ce cosmos figé,
à cette matière
dense et nébuleuse,
inconsciente de son
propre abîme ?
Oui, car tout est abîme,
le mouvement
comme son absence,
la parole
comme son silence,
la puissance
comme la faiblesse.
Nous sommes des
Êtres désarticulés,
des mannequins de bois,
les pièces gisent au sol, identiques
à de tristes fragments, semblables
à des jeux d’enfants avec leurs
osselets disséminés.
Je ne sais si c’est la texture
granuleuse du ciel de neige
qui m’incline ainsi à tant de noirceur,
si le tragique vêt mon corps
à la manière d’un terrifiant suaire
si, en qui-je-suis, un éparpillement
n’a été semé comme ma
marque distinctive.
Et je crains fort que ma
maladie ne soit contagieuse,
qu’elle ne pollue
chaque Quidam
qui en croisera le chemin,
chaque Nomade
qui en apercevra
la biffure en croix,
l’indice
mortel plus
que mortel.
Mais j’ai assez parlé de moi,
je Vous ai assez reléguée
dans d’insondables oubliettes.
Il me faut Vous exhumer
de cette fosse triste et, à défaut de
Vous donner des couleurs, au moins
Vous décrire en Noir et Blanc,
Vous approcher avec le fol espoir
de soulever un pan du voile
qui ne Vous restitue à mes yeux
que sous le signe
paradoxal d’une arrivée
à Vous qui, en réalité,
n’est que fuite imminente,
manière de songe-creux,
de résille onirique
si souple, si ténue,
elle se dissoudrait dans
l’illisible trame de l’air.
Je ne Vous appréhende qu’à
mieux Vous éloigner de moi,
je ne suis en Vous qu’à
mieux Vous considérer
sous la forme de la nuée,
de l’étincelle d’eau, d’une fumée
qu’un ciel vide aspirerait de toute la
persuasion dont il est capable.
Je crois que notre « possession » mutuelle ne peut se sustenter qu’à l’aune de deux abstractions, deux lignes convergeant à défaut de ne jamais pouvoir se rejoindre. Les arbres, devant Vous, sont une immense gerbe de noir, une flamme cernée de la plus vive angoisse et, aussi bien, Vous pourriez y disparaître dont nul sur Terre n’aurait perçu l’effacement. Savez-Vous, même les Puissants de ce Monde ne sont qu’une suite de zéros devant un chiffre. Leur stigmate mortel est celui-là même
de l’Égaré,
du Chemineau,
du Roturier,
tous ils sont des Serfs de l’exister, tous ils sont condamnés à errer sans fin dans la vacuité de leur propre corps. Ils ne sont que de vains drapeaux de prière et nul Dieu ne répond à leurs sombres incantations.
Tous, nous sommes tressés de vide et le vide gagne chaque jour qui nous accule à la toile sans issue de notre peau. Nous n’avons plus de recul. La barbacane de notre corps est notre tombe. Oui, ceci est cruel ! Mais une chose s’annule-t-elle à ne jamais être nommée ?
La Mort, la Divine Mort
est-elle soluble
dans l’eau,
dans l’acide,
dans la magie du Poème ?
Un Homme Mort a-t-il jamais pu, tel le Phénix, renaître de ses cendres ? Vous voyez bien qu’il n’y a nulle issue, que la Grande Falaise Ultime nous toise de son regard blanc, éblouissant, que nous nous dirigeons vers elle, certes avec Terreur, certes avec Angoisse et le fol espoir que, peut-être passée la Limite Blanche, nous découvrirons quelque Pays de Cocagne, dont même la plus vive de nos lucidités n’eût pu tracer le moindre portrait, envisager la stupéfiante genèse.
Le sol est de grise texture, une sorte de laine qui court au-devant, ne sachant rien ni du-devant, ni de ce qui fut, dont l’empreinte a disparu des mémoires. Dans l’Illimité qui Vous reçoit, Vous n’êtes nul diadème ornant la tête d’une Déesse, non, Vous êtes cette marche sur place qui vous tient lieu d’identité, ne Vous reconduit qu’à votre site mortel, infiniment mortel.
Signe noir
pareil à l’aile du corbeau,
pareil au charbon sous la cendre,
pareil à une sombre humeur
ne trouvant en elle que des motifs étranges girant tout autour de mots qui n’ont plus de sens que leur extinction au large des consciences. Vous êtes debout, tel un pieu planté dans la neige solitaire. Vous n’avancez, ni ne reculez. Vous êtes un Mot perdu dans le vierge d’une immense page blanche et nul lecteur ne vous inscrira jamais dans son « oublieuse mémoire », nul enfant joyeux ne Vous archivera à la manière d’un jeu égaré dont il tirera, un jour futur, la plus vive joie, celle-ci accrue du prestige de l’oubli, du redoublement de la perte.
Non, n’essayez pas de Vous
distraire de Vous-même,
d’attendre du secours de l’Autre,
Vous êtes à Vous-même
votre propre problème,
Vous êtes l’insoluble énigme,
Vous êtes le Sphinx dans
sa mutité de pierre.
L’ombre, oui cette Ombre longue, infinie, Vous auriez pu en faire un début d’explication avec celle que-Vous-êtes, interroger le Passé, dresser, tout le long de cette ombre, des degrés qui eussent été autant de points de repères, autant de cailloux blancs semés sur votre trajet de Petit Poucet. Malheur à Vous, ces menus viatiques se sont effacés au fur et à mesure que Vous progressiez en direction de Votre Destin ou de ce qui en tenait lieu, cette manière de parole sur place, de bégaiement qui, bientôt se métamorphosa en sourde aphasie,
Vos propres mots
Vous ne pouviez les entendre,
Votre bruit intérieur Vous assourdissait,
Vos méditations tressaient
autour de Votre cou les lianes
qui fomentaient Votre perte.
Oui, le constat de l’aporétique Condition Humaine est pareil à la gifle assénée avec toute sa violence sur le visage de l’enfant innocent qui meurt avant même d’avoir compris quel est le lieu et la nature de sa faute. Mais, nous les Humains, tous autant que nous sommes, nous errons au sein même de la Faute de Vivre. Car cette Vie qu’on nous a donnée, que nous avons explorée sous toutes ses coutures, que nous avons exposée aux plus vives lumières puis immolée au sein de l’ombre, nous ne parvenons pas à en tracer la moindre esquisse, elle glisse entre nos doigts et il ne reste qu’un fin grésil dont l’étique et fragile forme ne convient nullement à quelque interprétation que ce soit.
Alors, comme Vous,
l’Inconnue de l’Image,
plantés dans cet immense
Désert blanc, nous rassemblons
nos mains dans le geste de
la prière et de l’imploration.
Mais nos jointures
sont blanches
où rien, ne s’inscrit
que la fuite à jamais
de qui-nous-sommes
vers d’invisibles territoires,
des mirages au loin qui faseyent,
nous croyons y lire notre image
mais nos yeux sont
des boules blanches
que ne perce nulle pupille.
Et nous pleurons sur Nous
puisque personne ne nous
vient jamais en aide.
Le ciel est gris-blanc,
Le sol est de grise texture,
L’Ombre est longue
qui ne connaît ni le
chiffre de sa venue, ni la
mesure de sa perte.