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26 janvier 2023 4 26 /01 /janvier /2023 10:59
De Soi la difficile émergence

Peinture : Barbara Kroll

 

***

 

Cela pulse et s’agite

dans les multiples

corridors du Monde.

Cela bruit partout

où une vie trouve

 à se manifester.

Cela fait ses flux

et ses reflux dans les

rues des villes,

sur les plateaux déserts

où soufflent sans arrêt

 les rafales de vent.

Cela grouille dans les

boyaux souterrains

où se réfugient

les Existants.

Cela bourdonne

et rugit partout

 où la vie allume

la flamme de son désir,

où brille la lame qui fouille

et retourne les chairs

afin que quelque chose

 se dise de l’absurde

qui étreint les Hommes,

oppresse les lourdes

poitrines des femmes.

 

C’est un immense

maelstrom,

un raz-de-marée,

une lente giboulée,

c’est une tempête,

une pluie d’orage,

l’averse continue

de la mousson,

 le déluge qui vient

de toutes parts et ne

trouve nullement

son arrêt.

 

C’est un livre que

nul mot n’habite.

C’est un jour

que nul soleil

ne visite.

C’est une joie

que nul sourire

ne promet.

C’est une musique,

avec le seul intervalle

 entre les notes.

C’est le souffle

avant-courrier

d’une parole.

C’est le geste

 d’amour

retenu avant

 sa profération.

 C’est le poème que

le rythme a négligé.

C’est l’espace du Rien

que le Néant poudre

de son vide.

C’est la chorégraphie

que nulle Ballerine

n’anime.

 

 De Soi la difficile émergence

 

Le fond de l’univers

est rouge, rouge des

aubes assassines.

 Rouge de sang

et de désir

comburé avant même

d’avoir eu lieu.

C’est un rouge éteint

qui s’obombre de

funestes desseins.

C’est un rouge

qui hurle à même

son silence.

Rien ne fait signe

qui s’approcherait

d’une possible entente,

d’une hypothétique

rencontre.

On est SEUL en Soi,

 immergé dans le linceul

livide de son corps.

Mais, cette sorte de congère,

cette boule de neige inerte,

 est-ce encore un corps ?

N’est-ce pas le tissage serré

d’une aporie qui dirait

un seul mot

et en bifferait sitôt

l’étrange substance ?

 

Est-ce la première image

 d’un Monde naissant,

inconscient de lui-même ?

 Est-ce la dernière image

qui brillerait avant

son extinction ?

Alors, égaré,

on se ramasse

en Soi,

on tâche d’avoir

l’ombre

 la plus étroite,

on se retient de respirer,

de désirer, de penser.

Le Soi n’est plus

qu’une mince

feuille prise

dans les giboulées

du vent d’automne.

Le Soi n’est plus

qu’une étincelle

inaperçue

dans la grise anatomie

 d’une cendre.

Le Soi nage

entre deux eaux.

 Les eaux de l’Origine.

Les eaux de ce qui

touche au But Final.

Un mot s’éteint

à même sa Naissance.

Avec Soi, le corps

n’entretient

nul colloque.

Le corps est

de l’essence

de la Blancheur.

Silence.

Recueil.

Longue

méditation

hivernale.

Contemplation

du Soi par Soi.

 

Espace étréci

de la vision.

Temps plus étroit

que celui de l’instant.

Le Blanc vit du Blanc.

Le Silence se

nourrit du Silence.

La neige de l’exister

est à elle-même

sa propre condition.

Il fait froid dans la

nacelle étriquée

du corps.

 Grésil, flocon,

gel, cristaux,

les quatre états

de la nature

au gré desquels

 se donne

la réalité en sa

si étroite minceur.

 

De Soi la difficile émergence

 

Le visage est comme sidéré,

doué d’une étrange ubiquité.

 Il est partout à la fois

 et nulle part

en son refuge.

 Il est vacillation,

perte de la vision

 en son puits,

cristallisation d’un mot

qui s’éteint sur la margelle

étroite des lèvres.

Visage fantomatique,

pur retour de Soi en direction

d’une intériorité dévastée

 à même son propre effroi,

à même le vertige

qui l’étreint en son sein,

efface le lieu de

toute signification.

Épiphanie ôtée à elle-même,

espace infini de privation,

 tout est cloîtré en une

 étrange cellule monastique.

 Les murs sont blancs.

Le jour est blanc.

L’oraison est blanche,

prière qui gire tout

 autour de Soi

sans le trouver, le Soi,

il est devenu ce à quoi

il prétendait depuis toujours,

un simple hululement

que nul écho ne renvoie,

un balbutiement

de lèvres de pierre,

 la lourdeur d’un marbre

dans la carrière de l’heure.

 

De Soi la difficile émergence

 

Nul motif à l’horizon

qui serait un sémaphore

sur lequel régler sa marche.

Tout demeure en Soi,

tout se sédimente dans

 le blanc sépulcre de la chair,

Tout se dit en mode de Rien

 et l’air acide arrive de toutes parts

qui dissout jusqu’au moindre

pli de la conscience.

Ici, la loi du genre

n’existe plus, elle qui,

selon des figues opposées,

 trace la voie même du Sens.

Masculin/Féminin confondus

en un unique creuset,

surgissement inquiétant

de quelque Androgyne

qui condamne le Soi

 à n’avoir plus de pôle,

à errer longuement

d’une rive à l’autre

du Destin

sans savoir qui il est,

s’il est même.

La phrase du vivant

est si emmêlée,

si confuse,

les fils de chaîne

et de trame

 font une grosse pelote,

une manière d’illisible

hiéroglyphe.

 Un nœud à lui-même

son propre mystère.

Le corps de livide dessin

est une esquisse qui,

jamais n’arrivera à Soi,

l’écueil est trop loin

qui flotte sur des eaux

 et se dit dans

l’inaccessible,

 la fuite pour la fuite,

 la perte pour la perte.

 

De Soi la difficile émergence

 

Comment dresser

la sculpture de Soi ?

l’argile fond

entre les doigts.

Comment tracer

 les lignes de

son portrait ?

le crayon est usé qui

n’est plus que bois.

 Comment faire s’élever

la silhouette de Soi ?

 le sol est si meuble,

si friable.

Être Soi en Soi,

être Soi plus que Soi :

parler, lire écrire, aimer,

voir l’oiseau traverser

 l’écume du ciel,

voir la houle marine

à l’horizon,

voir les yeux de l’Aimée

qui brasillent dans l’ombre

 de la chambre et déjà

 la plénitude gonfle

et déjà les voiles

sont hissées

 qui claquent

dans la lumière.

 

 Ce qu’il faudrait,

afin de connaître le Soi

 en sa nature essentielle,

 tout retrancher du Réel,

laisser seulement

émerger la fine pointe,

peut-être une

amorce de Parole,

l’éclair d’une joie,

la fulguration

d’une pensée

 et demeurer en Soi

aussi longtemps

 qu’un sentiment

de juste venue

aux Choses nous

saisisse du-dedans

et nous porte au plus haut

de qui-nous-sommes.

 

Quand viendra-t-il le temps

 de la Grande Moisson ?

 Quand viendra-t-il le temps

des sublimes Vendanges ?

Quand viendra-t-il le temps

des joyeuses Fenaisons ?

Quand viendra-t-il le temps

de la Cène avec l’assemblée

de nos Amis et leur

sourire tel un Don?

Quand viendra-t-il le

Temps en tant que Temps,

 lui qui détermine

notre essence

et nous place dans ce

 lumineux Soi qui est

l’irremplaçable Figure

par laquelle nous venons

au Monde ?

 

QUAND ?

 

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