Roadtrip Iberico…
avril-mai 2024…
Delta de l’Ebre
Photographie : Hervé Baïs
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« Insularité et Plénitude », c’est ceci, d’emblée, qu’il faut affirmer comme si toute la Liberté, la Vérité du Monde pouvaient s’enclore en ces trois mots. Avançant dans l’exister, c’est ainsi que nous progressons, par bonds successifs, par de simples et radicales assertions, par des déterminations dont nous posons, nous-même, le fondement, envisageons le projet, portons au plus haut la possibilité d’une effectuation. Le soleil est-il noir, les nuages obscurs, les forêts prises de nuit, la marche des Existants hasardeuse et alors, qu’avons-nous de plus précieux que de solliciter notre imaginaire, d’agiter à tous vents la bannière infinie d’heureux postulats qui nous habitent tout comme le subtil hippocampe habite la mer avec ses naïfs et amusants soubresauts. ? Lancer, en avant de Soi, quelque lumière qui dissipe les ténèbres, voici ce que nous avons de mieux à faire afin de ne nullement désespérer, afin que, nous levant de qui nous sommes dans la quotidienneté, quelque chose se montre pareil au faisceau du phare sur la côte trouée de rochers. Donc, nous disons « Insularité et Plénitude » et, tout à la fois, juste devant nous, se donnent les horizons que notre intellect a appelés à être, ici, dans l’immédiateté des choses présentes.
Insularité et Plénitude 1 : Steppes de Mongolie - Une étendue d’eau au centre des herbes jaunes-vert, deux collines encadrent le paysage qu’une autre colline limite en son fond d’horizon. Un ciel d’immense étendue qui n’aliène nullement ce qu’il englobe, bien plutôt qui libère et porte à sa dimension la plus ouverte tout ce qui, en bas, attend l’invite au long voyage céleste. Le plateau d’herbe est immense, ponctué, ici et là, du cercle blanc des yourtes. Rien ne bouge, tout est attentif à soi, recueilli en son germe, en attente de sa propre éclosion. Grande est la solitude qui ne hèle nulle autre présence. Soi venu à soi, simplement dans son souci d’être, d’être au plus près des choses et d’y demeurer le plus longtemps avec cette touche originaire, unique, essentiellement unique.
Insularité et Plénitude 2 - Le Gobi - L’ombre est couchée sur les dunes, on dirait une mère attentive voulant protéger ses enfants. Une lentille d’eau bleu-marine luit dans la forêt de sable. Boules des arbres assemblées en meute, dans le territoire le plus exigu qui se puisse imaginer. Un habitat groupé autour d’une hutte bienveillante, se laisse toucher par les derniers rayons de soleil. Tout autour une cuvette aux bords inclinés où repose la vie des Nomades. Ce petit pays du Gobi est à lui seul le lieu même de sa provenance. Il ne demande rien au dehors, ni le souffle du karaburan, ce « blizzard noir » qui envahit tout, ni la longue caravane des dromadaires. Il est à lui seul l’alfa et l’oméga qui posent le début de son histoire, placent le signe de sa fin. Il vit de soi, pour soi et son chant est une manière de fugue qui naît du recueil du sable, de la longue patience de l’eau, de la faible clarté de l’aube sous le ciel aux hautes et invisibles pliures.
Insularité et Plénitude 3 -Terre de feu - Au loin, de hauts pics qui barrent l’horizon. Dans les interstices, le bleu glacé du ciel. De lourds névés, comme nés dans l’instant, bercent une comptine à l’allure d’éternité. Un anneau de roches grises semé de grosses pierres entoure un mince lac aux eaux profondes. Reflet bleu acier du névé sur l’eau du lac. C’est la seule empreinte qui provient du dehors. Le lac est à lui-même sa propre teneur, son motif essentiel. Il ne se laisse déranger ni par la course du ciel, ni par la pluie de graviers qui parsème ses rives. Sa signification intime, son essence, il ne la tire que de lui-même dans cette sorte de touffeur du sentiment dont il semble être le cœur même.
Insularité et Plénitude 4 - Cette image en Noir & Blanc de La Ràpita…Delta de l’Ebre qui en est comme l’habile synthèse.
Enfin, nous en venons à cette image qui, à notre sens, avait besoin d’une propédeutique, de l’énonciation d’un contexte afin d’être située au plus près de ce Soi des choses dont, maintenant, nous voulons faire l’objet de notre méditation. Si nous avons lu adéquatement ce qui se dessine tout le long des trois stances d’Insularité et Plénitude, il ne nous aura nullement échappé que leur motif central, le lieu même de leur respiration, ce n’est rien de moins que ce genre de fidélité des choses à persévérer dans leur être. En une certaine manière, trouver au-dedans de soi, sans quelque effraction que ce soit au-dehors, sa propre venue au Monde, le sens même de sa présence sous la forme singulière de ce lac, de ces collines, de cette OASIS dont, chacun, paysages aussi bien qu’Hommes, tout le monde cherche en soi la figure essentielle de sa propre floraison. Si nous donnons au beau mot d’OASIS, sa forme typographique accentuée, ceci n’est nullement fantaisie, jeu purement gratuit, mais essai de porter ce simple terme au mérite du concept. Ce qu’OASIS veut signifier depuis le monde primitif de sa nuit, depuis l’agitation de ses palmes sous la touche du vent harmattan, cette mesure essentielle de Soi, cette mince vérité hors partage, cette pliure ombilicale de Soi d’où, précisément, le Soi puise ses ressources foncières, comme si un subtil rayonnement naissait de sa solaire solitude.
Ce que nous voulons exprimer, au travers de cette métaphore astrale, cette puissance même du Soi-Oasis qui donne sa consistance à tout ce qui vient à son encontre. Car ce Soi-Oasis (transposons ceci en sa figure humaine, singulièrement et hautement humaine), ce Soi-Humain donc, c’est de lui, de son propre lieu que tout se diffuse, que tout prend sens, aussi bien la haute vérité zénithale, que la chute pensante crépusculaire, que l’esquisse naissante de l’aube, sa juste profération sur les fontanelles ouvertes des Existants. Toujours faut-il partir d’un centre, d’un centre humain, d’un centre naturel, d’un centre paysager, en faire cette puissance unique de révélation, butiner tout ce qui vient, depuis l’extérieur, à son contact puis, munis de ce sublime nectar, retourner en Soi, au sein même de cette OASIS que, nécessairement nous sommes car toute notion d’Insularité vient confirmer, tout à la fois, notre solitude, mais aussi, notre pouvoir immense de collecter dans la crypte de sa conscience les lumières du savoir, de les laisser bourgeonner et s’épanouir à la mesure sans limite de leur souverain principe d’effectuation. Ôtez la puissance rayonnante de l’Oasis, ôtez l’omnipotence pensante de l’Homme et il ne demeurera guère que la courbe immense d’un désert, les croissants de lune des barkhanes étendues sous la lumière aveugle de la Lune, il ne demeurera qu’un vide abyssal faisant écho à un vide abyssal.
Face à la vastitude de l’inconnu, de l’insaisissable, face à l’immensité du ciel criblé d’étoiles, face à l’écran des voix polyphoniques du Monde, c’est de ceci dont nous devons nous mettre en quête :
d’un havre,
d’un refuge,
d’un port,
d’un asile,
d’un abri,
d’un îlot.
C’est la vertu dialectique qui est le seul opérateur explicatif : c’est parce que nous sommes un point minuscule égaré dans l’Univers que, sans cesse, nous hélons et prions le dissemblable, l’Autre, le plus loin que nous, le plus efficient que nous, toutes ces énigmes, de venir emplir notre propre Insularité, afin que, comblée, elle puisse se métamorphoser en Plénitude, à savoir en Soi plus que Soi sous les horizons dévastés de la Terre. C’est alors que tout prend sens, que cette image vient à nous avec la plus grande des faveurs. Désormais nous la viserons d’un œil panoptique qui prendra en considération tous ses sèmes épars, les assemblera en une heureuse synthèse, ce mouvement ample qui, aussi bien, prend en considération la chaîne de montagnes que le mouvement souple des dunes, aussi bien qui nous sommes en nous hors de nous, cette mesure qui, du divers hétérogène fera une réalité vraisemblable à portée de notre regard.
Tout en haut, bien au-dessus de la touffeur de l’Oasis, le ciel est noir d’un bout à l’autre de son chemin, immensément étendu, à la manière d’un hiéroglyphe gardant jalousement son secret. Quelques nuages cotonneux en rythment l’espace, simple ponctuation posée sur cette profonde énigme des choses toujours en fuite d’elles-mêmes. Ce sont comme de minces consciences interrogeant une autre, de plus lointaine origine. L’horizon, cette mesure du projet humain, se réduit au sombre pointillé d’un mince ponton, comme si, à la limite du ciel et de l’eau, un murmure questionnant se levait, circonscrit à son propre balbutiement. De quelle parole est-il la manifestation : de la Nature, de l’Être, de l’Homme en son devenir Homme, c’est-à-dire se comprendre dans le Monde et en tirer quelque boussole orientant sa marche le long du chemin escarpé de son Destin ?
L’eau, cette sorte de fondement d’où tout semble sortir, est étale, blanche infiniment, à peine tachée de gris, silence à peine effleuré de la présence de deux bâtons, ils semblent être la mémoire du sol dont ils proviennent. Merveilleuse et étrange présence de l’eau. Mesure fascinante s’il en est. Eau lustrale et, symboliquement, nous rétrocédons au lieu même de notre naissance en ces eaux amniotiques qui sont nos eaux baptismales, nos eaux primordiales, nous en avons oublié leur essentialité mais elles, ne nous ont jamais laissé aller au hasard des chemins, elles battent encore en nous, elles sont notre flux interne, certes inconscient, mais combien fondateur de qui nous sommes en notre singularité. Et puis, cette barque semi-immergée, ce genre d’Arche de Noé échouée dans l’eau grise de la lagune, n’est-elle l’équivalent sémantique
du flottement infini des steppes de Mongolie,
de la palpitation secrète de la vie nomade dans le Gobi,
de la persistance à être de ce lac libre de la Terre de Feu,
toutes choses symboliques qui,
bien qu’éloignées,
ne font que nous reconduire
au plein de notre être,
dans cette Insularité constitutive,
dans cette belle Oasis qui
ne replie son germe sur soi
qu’à mieux préparer la moisson future :
une éclaircie pour le Genre Humain.