Roadtrip Iberico…
avril-mai 2024…
Viaducto de Contreras…
Reserva de la Biosfera del Valle del Cabriel
Photographie : Hervé Baïs
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Pour faire se lever
une seule image,
il faut avoir rencontré
beaucoup d’autres images,
il faut avoir connu
l’ivresse polyphonique
de l’arc-en-ciel, son corps
propre saturé de couleurs,
ses mains trempées dans
la rutilance du rouge,
ses yeux envahis
par la fusion de l’orange,
son front cerné de la
bannière du jaune,
ses jambes enlacées
aux ramures du vert,
ses pieds soudés
à la mutité du bleu,
son âme badigeonnée
de la dimension
sans fond de l’indigo,
ses humeurs envahies
du paradoxe du violet.
Pour faire se lever
une seule image,
il faut, patiemment,
bribe à bribe,
décolorer l’irisation de la
grande arche des teintes,
se fondre jusqu’en sa
plus intime pliure,
seulement une
vague persistance
sur le dôme des yeux.
Pour faire se lever
une seule image,
il faut avoir éprouvé,
au plus profond de Soi,
la mesure juste d’une aube
en voie de paraître,
avoir senti la bascule
crépusculaire du jour,
avoir saisi au
plein de la nuit
sa douce et onctueuse
phosphorescence.
Pour faire se lever
une seule image,
il faut descendre en Soi,
dans cette faille inaperçue,
se frotter au limon primaire,
s’ouvrir à cette lumière
de mangrove,
à cette clarté lagunaire
d’étain,
là tout resplendit de soi
sans qu’il soit
nécessaire de connaître
un en-dehors,
un plus éloigné.
Pour faire se lever
une seule image,
il faut progresser le long de
sa propre liane ombilicale,
en éprouver l’innocence originaire,
être au plus près de sa naissance,
de ses premiers mots,
de ses premiers gestes,
ces buées à peine appuyées
sur la faveur du Monde.
Pour faire se lever
une seule image,
il faut confier son chemin
au germe abyssal,
en ce mystérieux endroit
où gît le principe du
processus alchimique,
cette effervescence interne,
cette lente et douce agitation
des phosphènes en attente
de devenir grains de lumière,
de devenir les gestes premiers
du dépli photographique.
Pour faire se lever
une seule image,
il faut sentir en Soi,
au plus intime,
cette sourde impatience,
cette étonnante incandescence
en attente d’être.
Pour faire se lever
une seule image,
il faut, soi-même, sans délai,
à même son être propre,
deviner cette longue effusion,
ce signe secret de
débordement de Soi,
palper l’inimitable étendue
de ces trois notes
fondamentales,
NOIR,
BLANC,
GRIS,
lexique minimal mais
essentiel de l’image.
Pour faire se lever
une seule image,
il faut savoir jongler
avec ces trois formes,
briques élémentaires
d’un réel iconique
qui ne saurait
en avoir d’autres.
Ici, le bavardage s’est
mué en murmure.
Ici la déflagration colorée
s’est métamorphosée
en la loi unique
du Simple,
du Dépouillé
au terme desquels brille
l’ébauche de
quelque Vérité.
Pour faire se lever
une seule image,
il faut circonscrire
le Monde à cette
manière de lentille crépusculaire,
à ce destin hespérique qui n’est
nullement fin des choses mais,
bien au contraire,
faveur à l’éveil des signes,
à leur crépitement sur l’arc
tendu de la conscience.
Pour faire se lever
une seule image,
il faut saisir ce ciel
cotonneux, duveteux,
il nous dit le précieux
de l’instant,
l’événement à nul autre
pareil de sa présence.
Pour faire se lever
une seule image,
il faut savoir regarder la
course arrêtée des nuages,
y lire son destin immédiat,
plus rien n’existe
que cette feuillée
de lueur aurorale,
cette lente venue à soi
des significations
multiples de l’exister.
Pour faire se lever
une seule image,
il faut savoir décrypter,
dans l’arc assourdi
du végétal,
cette médiation
du clair et du sombre,
de l’air et de l’eau,
la rencontre sur ce liseré,
de la Poésie céleste,
de la prose mondaine.
Pour faire se lever
une seule image,
il faut se rendre disponible à
cette architectonique exacte.
Des droites, des courbes
dessinent
le paysage d’une
souple évidence,
et c’est notre esprit même
qui se structure
au contact de cette belle
et irremplaçable géométrie.
Pour faire se lever
une seule image,
il faut se laisser glisser
le long de ces reflets,
simple imaginaire des choses
en leur venue en présence,
sans doute aussi, reflets
de qui nous sommes,
ces Esquisses énigmatiques,
ces Cariatides de chair,
le ciel se pose sur nos têtes,
la terre, l’eau accueillent
l’hésitation de nos pas
à reconnaître
le juste sentier
de notre avenir.
Pour faire se lever
une seule image,
il faut se confier
au miroir de l’eau
- n’est-il la métaphore du miroir
de notre conscience ? -,
y laisser courir les
milliers de figures
qui viennent à nous,
les milliers d’empreintes
qu’archivent nos yeux,
les milliers de traits
et de pointillés
que nous gravons,
sans cesse,
dans la poussière
de l’exister.
Pour faire se lever
une seule image,
il faut faire de l’image
un Répondant
des récurrentes questions
que nous nous posons,
que nous tendons aux Autres,
que nous destinons à l’Ouvert
en sa plus grande effectivité.
Pour faire se lever
une seule image,
Il faut soi-même, en être
Le centre et la Périphérie.
Pour faire se lever
une seule image.