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19 juin 2024 3 19 /06 /juin /2024 08:02
Vision rilkéenne de l’Image

 Roadtrip Iberico…

avril-mai 2024…

Viaducto de Contreras…

Reserva de la Biosfera del Valle del Cabriel

 

Photographie : Hervé Baïs

 

***

 

Pour faire se lever

une seule image,

il faut avoir rencontré

beaucoup d’autres images,

il faut avoir connu

 l’ivresse polyphonique

de l’arc-en-ciel, son corps

propre saturé de couleurs,

ses mains trempées dans

la rutilance du rouge,

ses yeux envahis

par la fusion de l’orange,

son front cerné de la

bannière du jaune,

ses jambes enlacées

 aux ramures du vert,

ses pieds soudés

à la mutité du bleu,

son âme badigeonnée

de la dimension

sans fond de l’indigo,

ses humeurs envahies

du paradoxe du violet.

 

Pour faire se lever

une seule image,

il faut, patiemment,

bribe à bribe,

décolorer l’irisation de la

grande arche des teintes,

se fondre jusqu’en sa

plus intime pliure,

seulement une

vague persistance

sur le dôme des yeux.

 

Pour faire se lever

une seule image,

il faut avoir éprouvé,

au plus profond de Soi,

la mesure juste d’une aube

en voie de paraître,

avoir senti la bascule

crépusculaire du jour,

avoir saisi au

plein de la nuit

sa douce et onctueuse

 phosphorescence.

 

Pour faire se lever

une seule image,

il faut descendre en Soi,

dans cette faille inaperçue,

se frotter au limon primaire,

s’ouvrir à cette lumière

de mangrove,

 à cette clarté lagunaire

 d’étain,

là tout resplendit de soi

sans qu’il soit

nécessaire de connaître

un en-dehors,

un plus éloigné.

Pour faire se lever

une seule image,

il faut progresser le long de

sa propre liane ombilicale,

en éprouver l’innocence originaire,

être au plus près de sa naissance,

de ses premiers mots,

de ses premiers gestes,

ces buées à peine appuyées

 sur la faveur du Monde.

 

Pour faire se lever

une seule image,

il faut confier son chemin

 au germe abyssal,

en ce mystérieux endroit

où gît le principe du

processus alchimique,

cette effervescence interne,

 cette lente et douce agitation

des phosphènes en attente

de devenir grains de lumière,

 de devenir les gestes premiers

du dépli photographique.

 

Pour faire se lever

 une seule image,

 il faut sentir en Soi,

au plus intime,

cette sourde impatience,

cette étonnante incandescence

en attente d’être.

Pour faire se lever

une seule image,

 il faut, soi-même, sans délai,

à même son être propre,

deviner cette longue effusion,

ce signe secret de

débordement de Soi,

palper l’inimitable étendue

de ces trois notes

fondamentales,

 

NOIR,

 

BLANC,

 

GRIS,

 

lexique minimal mais

essentiel de l’image.

 

Pour faire se lever

une seule image,

 il faut savoir jongler

avec ces trois formes,

briques élémentaires

 d’un réel iconique

qui ne saurait

en avoir d’autres.  

Ici, le bavardage s’est

 mué en murmure.

Ici la déflagration colorée

s’est métamorphosée

en la loi unique

du Simple,

du Dépouillé

au terme desquels brille

 l’ébauche de

 quelque Vérité.

 

Pour faire se lever

 une seule image,

il faut circonscrire

 le Monde à cette

manière de lentille crépusculaire,

à ce destin hespérique qui n’est

nullement fin des choses mais,

bien au contraire,

faveur à l’éveil des signes,

à leur crépitement sur l’arc

tendu de la conscience.

 

Pour faire se lever

une seule image,

il faut saisir ce ciel

cotonneux, duveteux,

il nous dit le précieux

de l’instant,

 l’événement à nul autre

pareil de sa présence.

 

Pour faire se lever

une seule image,

il faut savoir regarder la

course arrêtée des nuages,

 y lire son destin immédiat,

plus rien n’existe

que cette feuillée

de lueur aurorale,

cette lente venue à soi

des significations

multiples de l’exister.

 

Pour faire se lever

une seule image,

il faut savoir décrypter,

dans l’arc assourdi

du végétal,

cette médiation

du clair et du sombre,

de l’air et de l’eau,

la rencontre sur ce liseré,

de la Poésie céleste,

de la prose mondaine.

 

Pour faire se lever

une seule image,

il faut se rendre disponible à

cette architectonique exacte.  

Des droites, des courbes

dessinent

le paysage d’une

souple évidence,

et c’est notre esprit même

 qui se structure

au contact de cette belle

et irremplaçable géométrie.

 

Pour faire se lever

 une seule image,

il faut se laisser glisser

le long de ces reflets,

simple imaginaire des choses

en leur venue en présence,

sans doute aussi, reflets

de qui nous sommes,

ces Esquisses énigmatiques,

ces Cariatides de chair,

 le ciel se pose sur nos têtes,

 la terre, l’eau accueillent

 l’hésitation de nos pas

 à reconnaître

le juste sentier

de notre avenir.

 

Pour faire se lever

 une seule image,

il faut se confier

au miroir de l’eau

 - n’est-il la métaphore du miroir

de notre conscience ? -,

y laisser courir les

milliers de figures

qui viennent à nous,

les milliers d’empreintes

qu’archivent nos yeux,

les milliers de traits

et de pointillés

que nous gravons,

sans cesse,

 dans la poussière

de l’exister.

 

Pour faire se lever

une seule image,

il faut faire de l’image

un Répondant

des récurrentes questions

que nous nous posons,

que nous tendons aux Autres,

que nous destinons à l’Ouvert

en sa plus grande effectivité.

 

Pour faire se lever

une seule image,

Il faut soi-même, en être

Le centre et la Périphérie.

 

Pour faire se lever

une seule image.

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