« Seule dans la chambre »
Barbara Kroll
Source : ZATISTA
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« Seule dans la chambre », l’étiez-vous, au moins, identique au titre qui vous déterminait ? L’image de vous qui venait à nous était si étrange, si irréelle, vous ne pouviez figurer au Monde qu’à l’aune de l’imaginaire de l’Artiste. Peut-être du nôtre en seconde main. Savez-vous, parfois, des êtres ne sont concevables qu’à figurer sur le blanc d’une toile, à surgir du bain révélateur photographique, à impressionner l’émulsion réactive d’un film. Jamais, au grand jamais l’on ne pourrait les projeter dans la sphère de la quotidienneté, prenant le métro, épluchant des légumes, écrivant une lettre. Imagineriez-vous l’un de ces étonnants Modèles, tel qu’apparaissant dans les pages glacées d’un magazine de mode, venir frapper à votre porte sous quelque prétexte que ce soit ? Non, ces Modèles ne sont que des manières d’Archétypes, d’Idées faisant leurs milles voltes dans la résille tourmentée de notre désir. Et puis, au juste, souhaiterait-on leur affecter un coefficient de réel au terme duquel ils nous seraient donnés « en chair et en os », rejoignant ainsi la Grande Pantomime Humaine déjà encombrée de bien trop de présences ? Non, nous ne souhaiterions jamais cette sorte de réification s’emparant d’un songe, le faisant chuter dans l’abîme des contingences.
Nous avons un besoin essentiel de ces personnages de fiction, ils constituent le tampon d’étoupe que nous intercalons entre ceci même qui vient à nous dans le concret, et nos décisions les plus abstraites, sans doute les plus infondées qui soient. Aux gens du commun que nous fréquentons assidûment, à tous ceux et celles possédant un nom, une adresse, une profession, nous préférons les brumes approximatives de nos plus étranges projections fictionnelles. Ainsi, rabattant le réel sur ce qu’il n’est pas, une pure songerie, nous accroissons, nous dilatons à l’infini notre marge de liberté. Cependant, force nous est de reconnaître cette liberté inventée, faute de quoi nous nous aliènerons à la mesure ténébreuse de nos propres fantasmes. Certes une manière de liberté paradoxale qui ne vivrait que de ses contradictions.
Il nous faut reprendre le titre : « Soi-même à l’écart de l’Autre » et y trouver bien plus qu’une façon gracieuse de décorer l’image. Car, ici, il ne s’agit nullement de donner lieu à une pure fantaisie. Le dessin et son étrange désignation contiennent bien plus de sèmes dissimulés que de significations apparentes. Le simple fait d’énoncer la proposition : « Seule dans la chambre » est lourd de conséquences. « Seule », attribuons-lui ce sobriquet provisoirement, n’est seule, précisément, qu’à faire fond sur la dimension de l’altérité. On n’est jamais seul ou seule, dans un genre d’évidence à soi-même. On n’est nullement seul par rapport à soi. Bien évidemment la solitude se définit toujours en relation avec le groupe, la multitude, la foule. Et si, parfois, peut-être même souvent, nous éprouvons au milieu d’une assemblés de nos Congénères le soudain désir de nous retrouver seul, ceci ne peut advenir qu’en guise de réaction à la situation dont nous éprouvons le poids existentiel de façon douloureuse, peut-être inquiétante. Nul ne pourra éprouver la profondeur de la solitude qui n’en aura soutenu l’épreuve au milieu de la fête, du repas entre amis, de la vision collective d’un film, de la participation à un spectacle. Rien ne servirait d’en appeler au principe de la Dialectique, cette mise en contraste des valeurs opposées du réel, elle, la Dialectique va de soi, tout comme l’alternance du jour et de la nuit vont aussi de soi.
Et méditer sur le phénomène de l’altérité (cette nécessité existentielle) ne peut jamais trouver son site qu’à créer les conditions d’une polémique avec l’Autre, celui qui nous requiert comme son nécessaire vis-à-vis. Si toute solitude s’éprouve du sein même de la solitude, ceci n’est que la cause seconde d’une cause première : cette effective et incontournable présence du Voisin, de l’Étranger, autrement dit du « Différent » avec lequel, d’une façon toute naturelle, j’entretiens un « différend », car nos deux existences sont nécessairement en tension, nos deux pôles n’existant que l’un par l’autre. Le regard de l’autre m’accomplit, que mon propre regard accomplit en retour. En quelque sorte le joug d’une « servitude volontaire » réciproquement consentie. Toute la dimension de la beauté de la condition humaine, mais aussi de son drame latent, en un seul et unique point ramenés. Existant sous le sceau de la conscience de l’Autre, je ne pourrai jamais parvenir à l’entièreté de mon être que de façon détournée, ma vie ricochant sur d’autres vies, ma vie résultant d’autres vies, ma vie engendrant d’autres vies. Du Soi à l’Autre, tout l’espace dialogique agissant telle une conque réfléchissante, du Soi à l’Autre l’espace entre deux signes, l’espace entre deux Signifiants, le Signifié (le sens de l’existence) ne jaillissant qu’à la rencontre des deux termes opposés et complémentaires, ô combien !
Et cette mystérieuse et inquiétante rencontre ne peut avoir lieu qu’à avoir préalablement en Soi, perçu la dimension ouvrante, proliférante de l’altérité. On pourrait exprimer ce genre d’incompréhension native, d’aporie même, qu’à préciser le point suivant : on ne parvient à Soi-même, sa propre essence, qu’à connaître l’essence du Soi, cette dimension universelle qui n’est nullement le reflet d’une créature, en nous foncièrement égoïque, mais ce qui, en chacun de nous, hèle l’Autre comme notre part complémentaire, notre chaînon manquant, notre fragment promis de toute éternité.
Rencontre = Joie
Nulle rencontre = Néant
Cependant, ce qui est décisif et qui est loin d’être évident d’emblée, la nécessité d’un emplissement de Soi avant même de percevoir, de faire venir à nous cet alter ego (cet autre moi) qui, en un premier temps, n’est que l’écho de qui je suis. Ce n’est que la révélation de qui je suis qui créera les conditions mêmes de l’apparition de qui ils sont, mes Commensaux, ceux en compagnie de qui, tressant mot à mot l’histoire de nos destins communs, je parviendrai au terme de moi-même en l’exacte vision polyphonique que constitue tout entrelacement d’existences éparses à première vue, confluentes, éminemment confluentes à l’aune d’un regard plus exercé aux discriminations de toutes sortes, cette pluralité du sens à laquelle il convient de conférer une unité sémantique.
Alors, sans doute n’avons-nous plus guère en vue « Seule » dont la représentation nous a entraîné dans ce tourbillon pensant. Et, pourtant, elle n’a nullement disparu de nos préoccupations et, toujours, elle continue à forer en nous l’abîme sans fin de la question. Maintenant, ce que nous avons à faire, et uniquement ceci, la prendre en vue dans toute la profondeur de sa singularité. Singularité comme opposition à la Multiplicité, à la Diversité, à la Prolifération. Si « Seule » est singulière, elle l’est certainement par rapport à ce qui n’est nullement Soi, mais elle l’est de façon encore bien plus déterminée en n’étant que Soi, en Soi, pour Soi. Car il faut bien faire pâlir cette lumière extérieure de l’Altérité si l’on veut percevoir l’étincelle Unique, ô combien Unique ce Celle, ici, qui, en dernière analyse, n’est que pur abandon à Soi-même. Cet abandon, cette confiance à Soi, cette focalisation sur le Soi sont le gage d’une connaissance de cette dimension singulière enfin rapportée à elle-même, recentrée, exclusive de toute autre, au moins le temps d’une analyse ontologique. « Seule », en sa chambre retirée est seulement conscience visant son propre Soi dans la pure immanence. Un genre d’Absolu, de Monade qui serait, tout à la fois son centre et sa périphérie.
Soi pour Soi en tant que Soi et rien d’autre en dehors de cette tautologie. En effet, l’essentiel d’une pensée est condensation en un point, cristallisation en un site hermétiquement clos de la « chose » à considérer. Ainsi ne peut-on méditer sur le paysage qu’en ramenant à Soi ledit paysage et il en va ainsi, de métaphore en métaphore, de tout ce qui se donne pour existant dans la sphère du réel ou bien du symbolique, ou bien de l’imaginaire. Se sentir exister dans la forme la plus essentielle est ceci : partir du vaste univers, du hors de portée, de l’indiscernable et, par orbes successifs, restreindre progressivement l’espace tout autour de Soi à la dimension microscopique de la diatomée (une de mes affinités lexicales), se retourner sur Soi, désoperculer les ombres, trouer l’opacité, devenir, autant que faire se peut, pure transparence à Soi, ceci portant, bien évidemment, le nom de Vérité. C’est de Soi et uniquement de lui que quelque chose comme une saisie de l’authentique peut avoir lieu au motif que rien d’extérieur, d’étranger, ne vient troubler l’exactitude de la méditation.
Or que trouvons-nous dans ce Soi plus que Soi qui est le lieu de notre intériorité le plus manifeste ? Y trouvons-nous un éparpillement, une diaspora, une multitude agissante qui nous égarerait de qui nous sommes ? Nullement puisque notre activité de réduction phénoménologique serrant de près le réel, le condensant en un point focal, a remis entre nos mains une manière de gemme insolite, particulière, unique, infiniment unique dans le sens où elle est sans partage, où elle brille de Soi, de son propre éclat accompli. Et cette manière de pierre philosophale, attribuons-lui, en tant qu’équivalent, le prédicat « d’affinités », lequel se donnera à la manière d’un fondement essentiel de notre être. Car, oui, nous croyons que nous sommes totalement déterminés par le beau ruissellement, en nous, du réseau serré des affinités. Et bien plus que d’aller plus avant dans l’exposé de ces mystérieuses affinités dont nous prétendons qu’elles se situent au centre de notre propre jeu existentiel, regardons du côté des synonymes qui s’essaient à en tracer le contour sémantique : « rapport, accord, harmonie, ressemblance, similitude, sympathie, analogie, alliance, correspondance, liaison, association, conformité, connexion, lien… »
La liste, nullement exhaustive, pourrait se poursuivre à l’infini. Le sentiment général qui naît à la lecture de ces synonymes, une heureuse impression d’harmonie, de coïncidence, de site dans lequel tout semblerait arriver à Soi avec une pointe de plénitude, une unité rabattue sur elle-même, l’Unique enfin trouvant à s’exprimer, à se laisser nommer. Une cohésion or, si l’Être en sa plus générale valeur, pouvait s’enquérir d’une seule et unique qualité, gageons que cette dimension de cohésion d’homogénéité, d’agrégation des éléments du divers, de condensation de la pluralité permettraient d’en saisir immédiatement l’étendue, la puissance en même temps que la fermeté qui présideraient au maintien de son essence dans le temps et l’espace. Ainsi, nommant les affinités, nous attachons, de facto, à leur éminente présence, les caractères pleins et entiers d’une vertu. Bien loin que de nous orienter en direction de quelque vice entaché d’ombres, « accord », « harmonie », « sympathie » conquièrent, pour nous d’emblée, le territoire lumineux de ce qui vient à nous dans la pure évidence d’être. Il nous faut faire l’hypothèse absolument éthique, non substituable, de la dimension morale, exemplaire, dont les affinités sont naturellement pourvues. N’auraient-elles ce visage qu’elles chuteraient sitôt dans l’immanence, la contingence les plus étroites.
Être en affinité avec quelque chose consiste à découvrir sa juste et douce épiphanie. Toute manifestation d’affinité est l’amitié même. Et l’amitié ne peut cohérer qu’avec l’idée de rapprochement et, ultimement, le phénomène d’une fusion. L’essence d’une chose, qu’elle soit réelle ou bien idéelle est le résultat d’une suite de réductions eidétiques, de distillats, de concentrations, aussi bien d’expériences multiples, aussi bien la reconduite d’un espace-temps à son plus petit commun dénominateur. Toujours l’essence exige que l’on parte de l’éloigné, du distal, de l’à peine visible-préhensible pour aboutir au plus proche, au proximal, à l’être en sa plus effective présence. Or, que font les affinités, si ce n’est de réduire les distances entre ceux qui en éprouvent la douceur de soie (qui, de façon paronymique est douceur de Soi), de porter à l’extrémité de la feuille la nature pleine de l’arbre, de ses racines, de son écorce, de son limbe, du cœur de ce qu’il est, de la vastitude de ses ramures qui ombrent la Terre, tutoient l’immensité sidérante du Ciel ?
Tout converge, au moins dans l’ordre du symbole, en cette saillie foliaire qui n’est seule qu’à reconnaître l’altérité de ses propres attaches. De même pour nous les Humains, nous n’éprouvons jamais notre altérité qu’au contact avec l’Autre, le Tout Autre, mais à la condition expresse que l’Altérité ramenée au centre de Soi fasse phénomène et nous dise, tout à la fois, le précieux de l’Autre, le précieux de Soi, certes dans la plus grande humilité qui soit. Nous ne sommes nullement la source de l’altérité, pas plus que nous ne sommes la source de Soi. Un vaste Destin nous surplombe dont nous sommes les Commensaux bien ordinaires, les Obligés mais aussi, paradoxalement installés au cœur d’une réelle et immense Liberté.
Certes proférer la Liberté sous le sceau du Destin sonne à la manière d’une provocation, d’une pétition de principe, mais est-ce ceci dont il est question, une aliénation de l’homme placée sous les fourches caudines de la volonté inflexible des Moires ? Est-ce ceci ou bien une lueur d’espoir pourrait-elle se lever à la seule évocation des affinités ? Ou bien faut-il faire le postulat d’une liberté à nous confiée à l’aune de nos intimes affinités ? C’est, à notre sens, cette dernière hypothèse qui pose le mieux le principe même de notre liberté. Et comment peut-elle le faire ? Dans la perspective d’un horizon ontologique largement ouvert au titre même de nos affinités. Toute aliénation provient, la plupart du temps, d’un envahissement de notre Soi par les ombres d’une altérité croissante qui ne feraient que reconduire notre espace existentiel à la dimension d’une peau de chagrin. L’une des images les plus effectives de cette perte de Soi dans les rets d’une non-liberté se donne sous le visage extrêmement contraignant de la camisole de force. La camisole, à savoir l’altérité, impose ses contraintes externes avec tellement de force que notre site intérieur menace à chaque instant de s’effondrer, de disparaitre sous les flots de cette marée invasive.
Alors, quelle digue élever contre cet envahissement ? Vous l’aurez deviné, la seule qui puisse nous sauver du désastre, celle qui est tissée de la navette de nos affinités. Nos affinités, simples émergences au grand jour de nos liaisons intimes, de la conformité de qui nous sommes avec notre propre essence, constituent la voir royale d’une immense libération de nos affects. Par leur nature de pur rayonnement à partir de Soi, nos affinités ont une inestimable fonction cathartique, purgation de notre âme jusqu’en sa simple évidence. Je ne suis moi qu’à être mes propres affinités, car elle et elles seules tracent le contour exact de mon être. Singularité est Liberté au motif que c’est à nous, et simplement à nous, de dresser les rives mêmes de notre Destin. Si nous cheminons entre ces rives sans espoir d’en jamais connaître les formes heureuses, c’est que nous avons oublié de porter attention à notre cheminement originaire, lequel ne saurait trouver sa voie qu’à sonder au plus profond de notre être, en une sorte d’absolu, les valeurs, les motifs, les figues qui nous font être Soi plus que Soi, et ceci puise au plus secret de nos ressources intimes.
Et ceci à tel point que le visage que je dresse face aux Autres, face au Monde est le reflet de ces affinités qui m’habitent, me définissent, déterminent avec exactitude mon avancée singulière parmi la meute des profusions, des approximations, des errances de toutes sortes.
Mes affinités posent les balises de mon orient personnel.
Mes affinités appellent ces amers dont j’ai besoin afin de naviguer
muni d’une boussole sur les flots agités de l’exister.
Mes affinités font se lever en pleine lumière
le réseau serré de mes qualités.
Å simplement évoquer un homme dépourvu d’affinités et soudain se dresse devant nous l’étrange figure de cet « Homme sans qualités » dont Musil a fait le titre de son livre et la matière d’une manière de nihilisme en acte.
Évoquant « Ulrich, un homme de trente-deux ans, mathématicien et intellectuel, qui revient à Vienne après un séjour à l’étranger », voici la réflexion que mène à son sujet l’article de Wikipédia le concernant :
« Il a échoué à trouver un sens à sa vie et à la réalité. Non par manque d’intelligence, au contraire, mais sa faculté d’analyse le mène à une sorte de passivité, de relativisme moral et à l’indifférence. Dépendant entièrement de ses réactions au monde extérieur, il est devenu un « homme sans qualités ».
Cet étrange « homme sans qualités » est l’homme qui n’a pas de lieu stable où être accueilli, l’homme totalement envahi d’altérité, mesure si étroite du Soi qu’il n’arrive même pas à parvenir à qui il est. Altérité, certes indispensable mais qui, jamais, ne doit constituer un miroir aveuglant sous lequel se perd sa propre identité.
Or, dans le fait de devenir un « hommes sans qualités », nous retiendrons essentiellement deux points d’une extrême importance : la perte du sens de la vie et, comme en regard, la dépendance du monde extérieur qui prive Ulrich d’un Soi dont la passion et la culture de ses propres affinités, l’eussent exonéré de connaître une si facticielle et étroite existence. Les affinités, lorsqu’elles menées à bien avec intelligence et discernement, bien que focalisées dans une essence de nature réduite, entraînent une vaste dilatation de la structure saptio-temporelle du Monde qui ne correspond, en réalité, qu’à l’expansion, au large déploiement d’un Soi sûr de ses assises, heureux d’un fondement intérieur qui coule à la manière d’une eau de source pure et cristalline. Car les affinités ne peuvent surgir de Soi qu’en Vérité, comme nous avons essayé de le montrer jusqu’ici. Et si, en un clin d’œil, nous revenons au Modèle du dessin, bien plutôt que d’y deviner quelque cruelle affliction l’affectant en son sein, nous serons davantage sensible à l’exercice de méditation logée au creux d’une profonde intériorité, seul lieu possible de vie, d’affermissement, de développement des affinités.
Les affinités ne sont nullement un a priori qui subsisterait à l’écart de Soi, elles ne trouvent nullement le terreau où prospérer ailleurs qu’en soi-même, par exemple dans la préséance d’une généalogie, trouvant là les conditions de leur possible effectuation. Bien au contraire, elles ne peuvent s’inscrire, au titre de leur généreuse liberté, qu’entre deux bornes : celle de lumière de notre naissance, celle d’ombre de notre mort. Uniquement circonscrites à qui nous sommes en notre fond, traçant les limites en lesquelles notre être trouve à se dire, elles ne sauraient procéder ni à un en-deçà qui nous préexisterait, ni à un au-delà qui nous succèderait. Elles ne se réfèrent ni à un hypothétique arrière-monde, ni à une figure christique ou bien divine, elles trouvent la totalité de leurs actes en leurs propres limites et c’est là ce qui fait leur exceptionnelle fécondité.
Ainsi singularisées, elles nous arrachent à notre condition, laquelle, placée sous le boisseau d’un lourd destin, menacerait de devenir objectale. Elle en est l’opposé, à savoir la libre venue d’une subjectivité nullement limitée à sa pure immanence, l’ouverture de la conscience à l’aventure transcendantale que constitue pour elle la source unique, inépuisable de ses propres motifs toujours en déploiement d’eux-mêmes. Elle est la mise en fonctionnement réel de cet idéalisme subjectif, lequel paraissait sans attaches précises avec la situation qu’il décrivait de manière toute théorique. Ancrées en nous au plus profond de notre être, elles sont des réalités bien affirmées (affinités pour la Nature, l’Art, la Philosophie, mais aussi bien pour le Jardinage, les Collections d’Objets, les battements d’aile de l’Entomologie), elles sont aussi des tremplins pour le rêve, l’imaginaire, la méditation, la contemplation. Fixant un sens à l’exister elles nous exonèrent d’en dépendre trop étroitement, de le modeler à notre convenance, de correspondre aux idées qui sont les nôtres, productrices d’une joie immédiate.
« Dites-moi qu’elles sont vos affinités,
je vous dirai qui vous êtes. »
Peut-être ici tiendrions-nous la formule plaisante qui, tel un test de Rorschach, à partir de nos choix intimes nous révélerait au grand jour, tel que nous sommes. En cet énigmatique « TEL » se ramasserait la condensation-expansion de notre être, celle dont nous voudrions nous emparer, comme l’entomologiste cueille dans son filet ce Machaon, ce Paon de Jour, cette Belle-Dame aux ailes largement éployées.
De la larve à l’imago
en passant par la chrysalide,
nos affinités manifestent
la large radiance du SENS.
Une « Odyssée » toujours
à notre portée pourvu
que nous y prêtions attention !