Picasso : chercheur d’Absolu ?
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En guise d’introduction à cet article, je publie, ci-après, le texte concernant la notion « d’Absolu », d’après le Site « La-Philo » :
Qu’est-ce que l’Absolu ?
« Du latin absolutum, l’absolu signifie ce qui est indépendant de toute autre chose.
Le problème de l’absolu est le problème fondamental de la philosophie : l’être existe-t-il en soi, indépendamment de la pensée qui le pense ? Une philosophie est réaliste quand elle répond par l’affirmative (Platon, Spinoza, Schelling), idéaliste quand elle répond par la négative (Fichte, Hegel), agnosticiste si elle refuse d’y répondre (Kant).
Il est certain que la recherche de l’absolu (relire le superbe roman de Balzac), c’est-à-dire quelque chose d’autre que nous-mêmes, en quoi nous pourrions nous perdre, est le moteur de tout travail intellectuel, et même selon Hegel, de toute action humaine : “La réflexion philosophique nous conduit à l’absolu, mais elle requiert une patience et un travail infinis. La foi religieuse, l’amour, le suicide ne sont qu’une impatience de l’absolu”.
A la suite de Fichte, les philosophes distinguent l’absolu en soi (impossible à atteindre) de l’absolu que l’homme peut réaliser dans la réflexion philosophique. C’est ce qu’on appelle le savoir absolu : il ne désigne pas un savoir total, englobant toutes les choses qui existent dans l’univers, le savoir absolu est un savoir de ce qu’il y a de plus haut, un savoir où l’homme s’identifie, par l’exercice de sa pensée, à ce qui n’est pas lui. Selon Hegel, le savoir absolu est “l’identité de la pensée et de l’être“. (C’est moi qui souligne)
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Mes commentaires seront ceux portant sur les définitions de cet article, autrement dit ils répondront, Joël, du moins je l’espère, aux questions que vous vous posez car je suppute, derrière vos nombreuses interrogations, un questionnement au sujet de ce thème fondamental de l’Absolu (que j’orthographie avec une Majuscule, pour sa valeur de pure essence, non pour sa sujétion à quelque idée de Dieu ou des dieux que ce soit).
Mon texte :
« Alors nous demeurons en nous le plus longtemps possible, bien serré dans l’essaim dru de notre chair, à l’abri derrière le linge de notre peau »
« Nous sommes des enfants aux mains vides qui, toujours, rêvons de devenir des enfants aux mains de lumière. Alors nous les tendons, nos mains, en avant de nous afin d’y recueillir l’éclat d’un cristal, la clarté d’une gemme, la rutilance d’un or. Parfois ceci arrive qui crée le lit d’un ravissement. Alors nous demeurons en nous le plus longtemps possible, bien serré dans l’essaim dru de notre chair, à l’abri derrière le linge de notre peau et c’est une manière d’infini qui nous visite dont on voudrait qu’il durât toujours, qu’il nous ouvrît ces portes invisibles du domaine sans pareil de l’imaginaire. Car si nous sommes des êtres incarnés, des êtres du réel, nous sommes tout autant de mystérieuses entités dont nous ne connaissons les frontières, dont nous sous estimons les puissances cachées. Peut-être, en nous, la force de l’arbre séculaire, le fleuve de lave incandescent, le bleu des glaciers s’enfonçant dans la nuit polaire. » (Je souligne)
Le commentaire de Christine Raison
« Très beau. Comme un derviche tourneur, une main vers le ciel, l’autre vers la terre .la tête basculée sur l'épaule. »
Vos commentaires, Joël :
« Peut-être...peut-être...Jean-Paul ...On peut toujours rêver ou avoir la foi...Laquelle ? Je ne sais pas...Pour tout dire je suis incapable de sortir de mon corps et de mon esprit lesquels ne font qu'un (cf.Spinoza entre autres)...Je suis, je crois, un matérialiste impénitent, un "être incarné, un être du réel", comme vous le dites...Mes "puissances cachées"? Non, y croire m'entraînerait trop loin...du côté de l'occultisme ou de l'irrationnel de façon générale et je ne le peux pas, vraiment pas...Je suis un amoureux des arbres, de l'arbre mais de là à l'embrasser (au sens propre) comme j'ai vu le faire pour entrer en communication, communion ou je ne sais quelle fadaise du même ordre avec lui, ça je ne le peux pas...C'est certainement un handicap qui m'interdit, entre autres d'apprécier certains poèmes, voire une certaine poésie...Manque de sensibilité peut-être...Je ne le crois pas mais...Bref , il me manque quelque chose...Et pourtant j'apprécie ô combien vos textes, Jean-Paul, même si je ne les lis pas tous avec la même attention (et je vous prie de m'en excuser). Ma prose va vous paraître bien pauvre. J'ai osé, je ne recommencerai pas de sitôt. Amitiés. Joël. » (Je souligne)
Ma réponse concise :
« Joël, vos remarques méritent mieux qu'une réponse rapide. Pas plus que vous je n'embrasse les arbres en chantant pour obtenir une grâce venue d'on ne sait où. Le panthéisme, s'il peut être intéressant en tant que sujet d'étude, ne m'émeut guère. Aucune autre foi ne m'anime que celle de la Littérature, de la Philosophie, de l'Art. Mais je développerai ceci plus en profondeur avant longtemps. Amitiés. JP. »
Mon commentaire plus précis (il mêlera en une unique synthèse vos belles remarques et quelques réflexions d’ordre général, quelques concepts philosophiques tels qu’évoqués à l’initiale de ce texte)
Je crois qu’il faut commencer par cette notion d’Absolu dont, à l’évidence, l’on ne devrait rien dire puisque sa substance nous demeure inatteignable. Donc du dicible à propos de l’indicible. Je crois, qu’en direction de cette pure abstraction nous, les Existants, devrions nous abreuver aux trois racines évoquées : de l’être ne dépendant nullement de la pensée (thèse Réaliste), ensuite de l’être sous la coupe de l’unique pensée (Idéalisme), enfin de l’être dont nous ne pouvons rien dire (position agnostique). Car, vis-à-vis des entités métaphysiques, nous devrions nous situer au niveau seul du doute sceptique puisqu’aucune logique, aucune délibération rationnelle ne sauraient en percer l’énigme. Cependant, à défaut de flotter indéfiniment dans la vêture inconfortable de l’indécision, de l’incertitude, convient-il que nous opérions un choix. Choix peut-être inconscient au motif qu’il semble essentiellement dépendre de nos inclinations intimes, des affinités auxquelles j’attache la plus grande importance.
Pour ma part, et depuis bien longtemps, c’est la position Idéaliste qui me paraît constituer la thèse la plus soutenable. Je sais, au regard de votre matérialisme affirmé, combien l’idée que les choses n’existent qu’à l’aune de la pensée, ceci doit vous paraître notion ambiguë, sinon délibération alambiquée d’une conscience s’alimentant à quelque source obscure. Ce faisant, modeste Idéaliste, je ne fais que m’inscrire dans une lignée venant de la nuit des temps philosophiques. Points de repère de ce concept majeur : Platon et sa Théorie des Idées, Idéalisme absolu de Berkeley, apogée de ce mouvement avec Kant, Fichte et Hegel.
Mais je n’abuserai davantage de références que chacun peut trouver dans les divers médias qui jalonnent le parcours d’Internet. C’est certainement la conception platonicienne qui m’a le plus influencé, renforcée par les travaux du néo-kantisme sur ce sujet. Je ne donnerai qu’une citation qui me paraît exemplaire sur le contenu même de l’Idée, telle que développée dans le magnifique ouvrage de Julien Servois « Paul Natorp et la théorie platonicienne des Idées » :
« …l’Idée, à titre de connaissance pure, indépendante de l’expérience, se fonde exclusivement sur le ‘’procédé logique’’, sur la pensée comme procès dialectique autonome. L’être de l’idée consiste entièrement dans le fait qu’elle est une position au sein de ce procès… »
L’évident intérêt de cette définition néo-kantienne consiste dans le fait de ne nullement se fonder sur un a priori religieux, de faire intervenir quelque mystérieux Démiurge. L’Idée est simple fonction logique, « l’Idée est rigoureusement identique au concept comme fonction, comme relation génératrice du divers à unifier. »
Ici la réflexion s’enclot de façon totalement déterminée dans le Principe de Raison, ce qui peut rassurer bien des Sceptiques et des Agnostiques. En une certaine manière, elle s’exonère du district Métaphysique en tant que Philosophie Première, pour être simple et effective « transcendance » dans le domaine observable par ses effets, du concept, de l’activité réflexive de l’Homme, de son intérêt pour les questions épistémologiques. En fait, il s’agit d’une démarche vis-à-vis de la connaissance, donc d’une visée strictement existentielle ne possédant nul arrière-monde. Pour résumer les parties saillantes de cette inclination naturellement anthropologique, il suffit de reprendre quelques termes de la définition : « le savoir absolu est un savoir de ce qu’il y a de plus haut, un savoir où l’homme s’identifie, par l’exercice de sa pensée, à ce qui n’est pas lui. »
D’une manière assurée nous pouvons affirmer que « ce qui n’est pas lui », ne fait nullement signe en direction d’une brume liée en quelque sorte à ce que vous nommez « l’occulte » ou « l’irrationnel ». « Ce qui n’est pas lui » : l’ample mouvement de l’Histoire, les infinies productions de l’Art, mais aussi bien, et non de manière univoque, le fait Religieux. Å propos de « religieux », je crois fermement que chaque individu s’y rattache en une certaine manière, simplement au motif de sa valeur étymologique de « religare ». Le dictionnaire : « Le mot «religion » dérive de religare (lier, attacher) ». Et, bien évidemment nul Homme ne pourrait affirmer sa pleine autonomie, son autarcie à la façon d’une « monade sans portes ni fenêtres. » Toujours, pour l’Existant, nécessité de se rattacher à une terre, à un ciel, à un amour, à une œuvre et la liste des désirs à accomplir et combler serait infinie.
D’un lexique plein de connotations
Mon texte use d’un vocable qui ne fait que couper la branche qui le flagellera. « Laurent, serrez ma haire avec ma discipline. » En effet, quoi de plus religieusement, spirituellement connoté que « lumière », « cristal », « gemme », « or », « infini », « invisible », « mystérieuse entité », « puissances cachées ». Mon Amie Christine Raison pense même y reconnaître « un derviche tourneur, une main vers le ciel, l’autre vers la terre », c’est dire le profil même, non d’une « transcendance » dont j’assume l’entière valeur, mais celui, mystérieux, dissimulé de quelque « deus absconditus », ce Dieu inconnaissable de la Raison Humaine, ce Transcendant dont pourtant, mon athéisme foncier, n’appelle nullement la possible « présence ».
Ce lexique, pour éthéré, diaphane qu’il soit, possède une redoutable efficacité conceptuelle au motif que, toujours, il s’inscrit dans le procès dialectique de toute signification.
Rien ne signifie qu’à partir du Tout,
Un à partir du Multiple,
Être à partir du Néant,
Infini à partir du Fini,
Absolu à partir du Relatif,
Transcendant à partir de l’Immanent
et la liste serait exhaustive qui n’en finirait pas.
Ces termes essentiels, en leur valeur d’Idées, sont convoqués en tant que Points fixes, Positions immuables, Amers sur lesquels fixer notre erratique regard, Orients pour se diriger dans l’exister, Sémaphores nous disant notre place, ici et maintenant, dans la vaste sphère de l’Univers. De la même manière, ces lignes et lieux imaginaires, ces Pures Idées des Pôles, des Équateurs, des Méridiens, des Tropiques ne font présence qu’à déterminer les divers champs qu’ils constituent à titre de savoirs assurés de leur être. Ainsi, le Méridien de référence, dit de « Greenwich », traverse-t-il l’Océan Arctique selon les coordonnées de 90° 00′ N, 0° 00′ E, alors que la Mer du Groënland bénéficie des coordonnées de 81° 39′ N, 0° 00′ E. Ce qui revient à dire, d’une manière aussi simple qu’évidente, que le Méridien en tant qu’Idée détermine aussi bien les Territoires des deux Mers, leur affectant abscisses et ordonnées qui sont leurs propres déterminations géographiques. Ôtez l’Idée de Méridien et, corrélativement, la suppression du Déterminant entraîne, de facto, la disparition du déterminé. Plus de Méridien, plus d’Océan Arctique, plus de Mer du Groënland. Les choses sont aussi claires que ceci : Déterminant et déterminé sont en relation dialectique étroite, si bien que l’un ne saurait s’envisager (prendre visage) sans l’autre. D’où l’absolue nécessité de l’Idée si l’on veut attribuer au réel les contours qui le définissent, si l’on veut donner corps à la tâche de comprendre ce qui fait phénomène à titre de pur corrélat de l’Idée, dans l’optique des postulats de l’épistémologie aux termes desquels il faut bien poser un fondement théorique. Dans le langage de Julien Servois : « Il faut par conséquent affirmer que l’Idée est et qu’elle seule, au sens strict du terme, est. Elle est, en effet, à titre de détermination et cette détermination est elle-même pleinement déterminée par rapport à ce qui est « à déterminer » : le phénomène. »
L’Idée, en son essentielle valeur de Paradigme, d’Archétype de la réalité, s’impose de soi, du moins aux yeux des Idéalistes, comme la référence absolue selon laquelle percevoir adéquatement le Monde et tenter de comprendre son contenu, ainsi que celui des Êtres qui en traversent la texture complexe. L’intérêt de cette théorie est sa valeur explicative globale qui ne laisse rien dans l’ombre. Ainsi les Idées ont-elles une singulière efficience dans la saisie de ce qui toujours nous questionne.
Efficience ontologique : les Formes sont les êtres les plus réels dont les choses matérielles ne sont que les copies.
Efficience épistémologique : les Formes sont le plus haut degré d’intellection, donc de connaissance. (Ceci a été abordé plus haut).
Efficience éthique : les Formes, essentiellement celle du Bien, fixent l’objectivité des valeurs morales.
Efficience esthétique : le Beau est entièrement déterminé par la position de surplomb de l’Idée.
Efficience politique : le gouvernement de la cité découle des préceptes dictés par les Formes.
Je conçois aisément, Joël que ce lexique technique ne vous désoriente (ne vous déporte donc de l’Idée), mais sa juste compréhension est nécessaire à la saisie de ce qui, ici, s’exprime avec quelque difficulté. En matière de Philosophie, d’Art, de Littérature (les trois pieds sur lesquels je fais reposer quelques unes de mes réflexions) ces trois domaines (et vous êtes bien placé pour en avoir éprouvé la fine et complexe constitution) impliquent une longue méditation et un temps d’incubation non moins long afin que naissent, en Soi, nullement des certitudes (ceci serait bien présomptueux !) mais que se lèvent quelques intuitions, que brillent à l’horizon de la pensée ces subtiles Idées-Sémaphores dont la persistance puisse désocculter le réseau serré des difficultés inhérentes à toute progression sur la voie de la connaissance.
Maintenant, en une formule ramassée : « L’Ego est à la fois sujet et objet », convient-il de percevoir cette nécessité, pour tout esprit idéaliste, de réaliser la fusion de qui-il-est avec ce-qui-fait face, manière de condensation, de cristallisation du réel et de la conscience qui s’y rapporte. Ce concept ou plutôt ce sentiment d’immersion du Soi dans une sorte de Conscience Universelle qui le déborde et le sollicite a trouvé, sous la plume de Romain Rolland, l’expression de « sentiment océanique », dont Freud, en son temps, fit le commentaire. Je citerai, ci-après, un large extrait d’un article de Jean-Marie Mathieu : « Sentiment océanique chez Platon et dans le platonisme chrétien. » :
« Le premier emploi de ce genre que je rencontre se trouve dans un passage célèbre du Banquet de Platon. Diotime, la prêtresse de Mantinée qui fut son maître, évoque pour Socrate les étapes de l’initiation érotique au beau : la bonne voie, sous un bon directeur, consiste pour l’Amant, dans sa jeunesse, à aimer un seul beau corps, puis plusieurs, puis tous ; il passe à la beauté présente dans les âmes et enfante alors des discours éducatifs, ce qui le conduit à considérer la beauté qui se présente dans les mœurs et dans les lois. Mais : [Banquet 210 c-d] :
« …mais que, tourné (l’Amant) vers le multiple océan du beau et le contemplant il enfante une multiplicité, une beauté et une magnificence de discours et de raisonnements dans une philosophie d’une générosité sans mesquinerie, jusqu’à ce que, renforcé et grandi là, il saisisse dans sa vision une sorte de science unique que je vais approximativement décrire, celle d’un beau que je vais approximativement évoquer. »
« Et la suite du texte évoque le Beau en lui-même, par lui-même, étant avec lui-même dans la perpétuité de sa forme unique. La présence, à cet endroit, du symbole de l’Océan du Beau, dans cette théorie du progrès contemplatif (et pédagogique), nous fait apparaître des traits qui peuvent faire penser au sentiment océanique : le côté religieux, que marque l’emploi de termes empruntés aux mystères au début de cette partie du discours de Diotime qui décrit les étapes de l’initiation ; le côté affectif, dont il n’est peut-être pas trop naïf de rappeler que la simple thématique érotique le met en évidence ; la situation de cette contemplation à une étape valorisée – car elle est située presque au sommet – dans ce chemin ou cette ascension qui symbolise le progrès intellectuel ou spirituel. » (Je souligne)
Certes, mes emprunts nécessitent, de la part du Lecteur que vous êtes, Joël, motivation et concentration, effort aussi, car pénétrer une pensée exigeante suppose une exigence de Soi et une disposition à déflorer les arcanes d’une démonstration, je l’avoue, parfois difficile, sinon pouvant entraîner l’abandon du texte. Alors, admettant que, jusqu’ici, vous m’aurez accompagné dans ma complexe « démonstration », je ne vais retenir, à des fins d’exposé, que trois segments précis des propos ci-dessus, à savoir : « le côté religieux », « le côté affectif », « le progrès intellectuel ou spirituel ».
Par « côté religieux », j’entends, comme expliqué précédemment, la simple et évidente volonté d’être « relié » (religare), relié aux Choses, aux Autres, au Monde, ce triptyque étant le plus petit dénominateur commun dont nous ne pourrions faire l’économie qu’à sortir du réel lui-même. Je ne connote quelque contenu de foi ou de croyance que ce soit, estimant les Religions estimables, mais les considérant comme des fables ou, au moins, des mythologies. Mes Amies croyantes sont informées de mes idées à ce sujet. Quant au contenu « affectif », qui donc, face au sublime de la Nature, n’a jamais éprouvé un genre d’ivresse, de bouleversement, d’admiration de telle ampleur que, l’espace d’un instant, l’on se sent uni au paysage, nullement fragment isolé, mais appartenant à cet étrange Tout qui nous sollicite et nous décrit comme l’un des siens. C’est uniquement ceci, ce transport, cette métamorphose de Soi « ce qu’il y a de plus haut, un savoir où l’homme s’identifie, par l’exercice de sa pensée, à ce qui n’est pas lui », pour reprendre la définition de l’Absolu déjà citée, c’est donc ceci que j’ai voulu énoncer dans la phrase suivante : « Peut-être, en nous, la force de l’arbre séculaire, le fleuve de lave incandescent, le bleu des glaciers s’enfonçant dans la nuit polaire. »
Ici, vous faites allusion, Joël, à ces attitudes qui vous posent problème, que vous définissez de cette manière : « Je suis un amoureux des arbres, de l'arbre mais de là à l'embrasser (au sens propre) comme j'ai vu le faire pour entrer en communication, communion ou je ne sais quelle fadaise du même ordre avec lui, ça je ne le peux pas... »
et je peux vous dire, Joël, que je consone avec vous d’une façon totale. (Je souligne)
Bien évidemment, la Nature (la Phusis des Anciens Grecs, cette énigme, cette puissance primordiale, ce déploiement à l’infini des virtualités) la Phusis donc n’est nullement ce que nous sommes mais il est évident que nous participons d’elle et participons à sa belle efflorescence.
Vision panthéiste ?
Sentiment religieux exacerbé ?
Fusion mystique en un Grand Être indéterminé ?
Chacun selon ses inclinations se situera dans une réponse singulière, décision qu’il ne pourra partager qu’avec Soi, en toute hypothèse.
L’intime, le vécu intérieur,
les affinités particulières,
tout ceci n’autorise jamais qu’un rapport,
une relation de Soi à Soi.
Jamais l’Autre n’en pourra être l’interprète. « … cette ascension qui symbolise le progrès intellectuel ou spirituel », voilà la visée qui me concerne, à commencer par le « progrès intellectuel ». Quant au « spirituel », ce terme n’est nullement un « gros mot », un lexique dont on devrait avoir honte, en dissimulant les manifestations dans une ombre secrète de Soi. En ce domaine, je prendrai, quant à ce spirituel, son occurrence la plus modeste, la plus familière, telle que suggérée par le dictionnaire :
« (Ce) qui est de l'ordre de l'esprit ou de l'âme, qui concerne sa vie, ses manifestations, qui est du domaine des valeurs morales et intellectuelles ; (personne) qui étudie ce domaine. »
Vous aurez saisi que de cette définition générale, je ne retiendrai que le « moral » et « l’intellectuel », évinçant, d’emblée, la notion « d’âme » bien trop connotée religieusement. Le « spirituel », le travail de l’esprit, vous l’aurez compris, je le destine à ce que je nomme mes « minces transcendances », à savoir Art, Littérature, Philosophie et ceci est récurrent, si ce n’est obsessionnel dans mes divers écrits. Je crois à une valeur laïque, profane de la spiritualité, telle qu’on peut la trouver dans les Grands Textes et les grandes Œuvres de l’Humanité, nullement dans la mesure obscure, pour moi, d’une Création Divine. Pour autant je ne prétends nullement, à l’instar de quelque Philosophe, que l’Homme est Dieu, car cette posture ne fait que réintroduire le Divin dans la sphère compréhensive bien plutôt que de l’en écarter.
C’est bien le défaut le plus apparent de toute attitude dogmatique que d’énoncer l’existence d’une Vérité Absolue à l’aune de laquelle toute énigme trouverait le lieu unique de sa résolution. Cette posture n’est rien moins que naïve, outre qu’elle suppose la restriction de la liberté individuelle rétrécissant comme peau de chagrin. Toute liberté ne saurait résulter que d’une confrontation de Soi à Soi, sans intermédiaire, sans médiation aucune, là seulement un engagement signifie autre chose que le récit d’une fiction apprise par cœur, laquelle ne fait que vous exonérer d’être vous-même jusqu’à l’extrémité de qui-vous-êtes.
Être-Soi jusqu’au bout est une éthique,
Être-Soi au motif de l’application d’un dogme est tout au plus une esthétique, à la condition cependant qu’elle trouve en elle quelque forme de ce Beau dont Platon se plaît à brosser les traits dans « Le Banquet ».
Enfin, il me semble que je ne puis clore cet article sans mettre en position d’évidente contiguïté, pour moi au moins, Idéalisme et Romantisme, au motif que cette intense émotion, ce singulier ressenti intérieur, cette primauté du sentiment sur la raison face à la Nature, avec le fameux « sentiment océanique » qui l’accompagne, se retrouvent chez nombre d’Écrivains et d’Artistes relevant, sans quelque ambiguïté que ce soit, de ce mouvement. En France : François-René de Chateaubriand, Madame de Staël, Hugo, Sand, Lamartine, Vigny, Nerval, Musset. En Allemagne : E. T. A. Hoffmann, Friedrich Hölderlin, Heinrich von Kleist, Novalis, Jean Paul. En peinture allemande : Caspar David Friedrich (j’ai commenté à maintes reprises plusieurs de ses chefs-d’œuvre), Philipp Otto Runge ; en peinture française : Eugène Delacroix Théodore Géricault ou Paul Delaroche.
Quelques mots qui attestent de cette confluence de l’Idéalisme et du Romantisme :
« Avant de devenir un automatisme de l’histoire littéraire du symbolisme, la qualification par l’adjectif idéaliste pose une équivalence entre idéalisme philosophique et romantisme. Stricto sensu, le mot idéalisme au XIXe siècle désigne cette école philosophique, légèrement en avance chronologique sur l’éclosion du premier romantisme allemand. (…) le parallèle désignerait seulement des conceptions communes, des jeux d’influence, des convergences thématiques… » - « Idéalisme allemand et romantisme, un exemple d’arraisonnement » - Éric Leclerc. (Je souligne)
Je demeure intimement convaincu que l’on ne peut être Idéaliste qu’à la condition d’être Romantique et, corrélativement, que le Romantisme ne peut s’abreuver qu’à des sources Idéalistes. Å l’appui de mes assertions, je voudrais citer trois auteurs, Jean-Paul, Nerval, Rousseau, dont il me semble que leur écriture, leur inclination d’âme, leur tropisme particulier font signe en direction de ce mystérieux « sentiment océanique » dont il faut bien situer les rives, quelque part, dans la géographie littéraire.
Jean-Paul – « Choix de Rêves »
« Quitte la terre, monte dans l’éther vide ; regarde, tout autour de toi, la voûte sphérique faite de soleils cristallisés, à travers les fentes de laquelle la nuit infinie regarde. Tu peux voler durant des siècles sans atteindre le dernier soleil. Tu fermes les yeux, et te lances en pensée par-delà l’abîme et par-delà tout ce qui est visible ; et, lorsque tu les rouvres, de nouveaux torrents, dont les vagues lumineuses sont des soleils, dont les gouttes sombres sont des terres, t’environnent, montent et descendent, et de nouvelles séries de soleils sont face à face, et la roue de feu d’une nouvelle Voie Lactée tourne dans le fleuve du Temps. »
L’on peut être déconcerté par le style jeanpaulien fait de subites fulgurations, d’efflorescences verbales, de flamboiements stylistiques. L’on peut attribuer cette inimitable prose poétique à son attrait pour le fantastique, le génie du « cauchemar romantique », à sa fascination de « visionnaire apocalyptique » et ramener toutes ces « étrangetés » à la résurgence, en lui, des études de théologie au temps de sa jeunesse. Peu importent les considérations au sujet de la source d’inspiration. Ce que je crois profondément, c’est que de telles lignes auraient pu être écrites par des agnostiques éblouis, aveuglés, happés par la sublime radiance de la beauté partout répandue à condition que l’on veuille bien ouvrir les yeux et consentir à en éprouver le souverain frisson.
Gérard de Nerval, Aurélia ou le rêve et la vie (incipit)
« Le rêve est une seconde vie. Je n'ai pu percer sans frémir ces portes d'ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible. Les premiers instants du sommeil sont l'image de la mort ; un engourdissement nébuleux saisit notre pensée, et nous ne pouvons déterminer l'instant précis où le moi, sous une autre forme, continue l'œuvre de l'existence. C'est un souterrain vague qui s'éclaire peu à peu, et où se dégagent de l'ombre et de la nuit les pâles figures gravement immobiles qui habitent le séjour des limbes. Puis le tableau se forme, une clarté nouvelle illumine et fait jouer ces apparitions bizarres ; - le monde des Esprits s’ouvre pour nous. » (Je souligne)
Certes, le rêve nervalien nous désoriente et nous questionne à la fois sur ce monde étrange qui surgit à la lisière des rêves. Ici se pose une énigme : nous savons, au moins dans ses grandes lignes, ce qu’est la Conscience, au moins les effets qu’elle produit. Mais, l’Inconscient, la partie immergée de l’iceberg, quelle est-elle, quelle est sa nature, sa consistance, la substance même de son réel (?), de son Irréel devrions-nous dire. Qu’est-ce ce qui se donne à voir (?), ou, plutôt à ne pas voir, cet invisible doué d’un indicible dont, à l’évidence, nous ne pouvons rien dire, sinon en halluciner le contenu au travers du rêve éveillé, du rêve diurne, de l’intuition sur ses lisières les plus ténues. Quelle est donc la texture de ce « moi, sous une autre forme », dont cependant Nerval (ou Gérard Labrunie ?) nous dit qu’il « continue l'œuvre de l'existence ». Qu’y a-t-il, ici, à comprendre ? Ce Moi est-il encore, en une certaine mesure, « existentiel » ? Sinon, est-il seulement « essentiel », donc essence indéterminée ? Est-il, ce Moi, devenu identique aux « pâles figures gravement immobiles », et alors l’Éros rêvant, s’est-il métamorphosé en Thanatos, ce diaphane habitant « le séjour des limbes », manière d’halluciné phénomène venant tout droit du site nébuleux de la Mythologie ?
« Odysseum » nous dit :
« On voit aussi se dessiner une forme de rapport consubstantiel entre le sommeil, le rêve et la mort, entre Hypnos, Thanatos et Oneiroi, les enfants de la Nuit selon Hésiode :
« Nuit enfanta Trépas, elle enfanta Sommeil, elle mit au monde la troupe des Songes » (Théogonie, vers 211-212)
Mais, dites-moi, Joël, avons-nous des pouvoirs de médiums ou de spirites pour percer ces mystérieux arcanes, ces « réalités » alchimiques si mouvantes que nous n’y pouvons rien lire, si ce n’est l’image de notre propre désorientation ? Écoutons encore ce qu’a à nous dire Allan Kardec, le fondateur du spiritisme :
« Les Esprits sont les êtres intelligents de la création. Ils peuplent l’univers en dehors du monde matériel. L’Esprit ressemble à une flamme, une lueur, une étincelle éthérée. La couleur est semblable à l’éclat du rubis. Une des qualités principales de l’Esprit est son ubiquité. Il est plus rapide que la pensée et pénètre n’importe quel élément : la terre, l’eau ou l’air… Il est rare qu’un Esprit soit à l’état pur… »
Il est évident que méditer sur l’Esprit revient à s’interroger sur le sexe des Anges. Dans ces eaux-là, plombées telles des eaux de lagune, troublées telles des eaux de mangrove, il y va de notre intégrité même. Il nous faudrait, nous aussi, nous confier au destin métamorphique de-qui-nous-sommes, éprouver de manière tangible la nature de l’Intelligible, se fondre à même les Essences, percevoir le revers du Réel, faire partie intégrante de la sphère Métaphysique, tutoyer Symbolisme, Idéalisme, Religieux, Romantisme, devenir Rêve, en quelque manière et, ainsi, face de Janus connaissant l’Envers et l’Endroit des Choses, quelque chose comme une Vérité bourgeonnerait dont l’on pourrait tracer le portrait. (Les Majuscules à l’initiale de certains mots veulent simplement indiquer qu’il s’agit là d’interrogations fondamentales, nullement de projections sur la comète).
Voici, dès que nous nous éloignons du sol des certitudes concrètes, que nous abordons le site léger des hypothèses, la série des nombres ésotériques pythagoriciens et que nous évoquons la notion vague « d’Âme du Monde », nous débouchons en pleine Magie et nos repères terrestres ne nous sont plus d’aucun secours. Il y a, et ceci peut être affirmé avec certitude, une zone purement hiéroglyphique qui s’annonce dès l’instant où l’on s’éloigne des lois de la Logique, de la Raison et, alors, tout est question de vécu se référant à ce que l’on pourrait nommer « intime conviction ». Dans cette zone de turbulence où les éléments entrent en collision, où la vue se diffracte comme partagée par le cristal d’un prisme, où les théories se substituent au concret, où les idées sont plus de rapides impulsions que des thèses élaborées avec rigueur, bien malin serait celui qui pourrait en démêler l’écheveau, affirmant « ici est la vérité, là est la fausseté ». Si nous remontons assez loin au point d’une supposée origine, alors il nous faut bien admettre que tout fusionne en une unique Présence dont nul ne pourrait dire si elle est de nature philosophique, spirituelle, religieuse, mystique, tant le mélange initial, s’il n’a jamais eu lieu, est impossible à interpréter.
Jean-Jacques Rousseau – « Les Rêveries du promeneur solitaire »
Il nous faut immédiatement aller chercher la signification propre à ces « Rêveries » et lire les propos de Guilhem Farrugia dans « L’expérience du bonheur dans Les Rêveries du promeneur solitaire » :
« Lors de ce processus de dissolution du moi dans l’extériorité, à l’occasion de cette prise de possession du moi par le monde environnant, s’opère une perte des limites du moi, une abolition
des frontières et des « bornes » qui délimitent l’individualité. (…) Cette forme particulière de la sympathie n’est pas une identification à l’autre, mais une suppression de l’altérité, une entrée en fusion avec le monde. (…). Le moi et le monde sont confondus, la conscience de soi et l’individualité ayant été abolies. En faisant éclater les frontières du moi, en opérant cette dissolution, en fusionnant ainsi avec le cosmos, il retrouve une posture inaugurée par le stoïcisme, puisqu’il n’éprouve plus sa présence au monde sous le registre de la distinction du moi et de l’univers. (…) Aussi, par-delà le rationalisme du XVIIe siècle, renoue-t-il avec le stoïcisme antique, envisageant la nature non comme un objet de connaissance, mais comme une entité cosmique le comprenant. »
Certes, ici, la formulation volontairement universelle (« sympathie », « fusion », « monde », « entité cosmique »), bien plutôt que de faire signe en direction d’une entité clairement délimitée et nommée, ferait plutôt penser à ce concept finalement vague de « Phusis », (déjà citée) cette large indétermination en laquelle se fondent bien des choses qui « croissent » (sens originel de Phusis), dont Aristote nous dit qu’elles sont rattachées au « principe du mouvement et du repos », formulation également aux contours indécis, imprécis.
Extrait de la 5° Rêverie
« L’exercice que j’avois fait dans la matinée & la bonne humeur qui en est inséparable me rendoient le repos du dîner très-agréable ; mais quand il se prolongeoit trop & que ce beau tems m’invitoit, je ne pouvois long-tems attendre, & pendant qu’on étoit encore à table je m’esquivois & j’allois me jeter seul dans un bateau que je conduisois au milieu du lac quand l’eau étoit calme, & là, m’étendant tout de non long dans le bateau les yeux tournés vers le ciel, je me laissais aller & dériver lentement au gré de l’eau, quelquefois pendant plusieurs heures, plongé dans mille rêveries confuses mais délicieuses, & qui sans avoir aucun objet bien déterminé ni constant ne laissoient pas d’être à mon gré cent fois préférables à tout ce que j’avois trouvé de plus doux dans ce qu’on appelle les plaisirs de la vie. »
« les yeux tournés vers le ciel », s’agit-il du ciel de la vaste Nature, de celui habité par des essences purement archangéliques ? Rien ne nous précise l’intention de l’Auteur.
« mille rêveries confuses mais délicieuses », délices oniriques ou bien extase proprement d’origine divine ? Rien n’est dit de tout ceci.
« sans avoir aucun objet bien déterminé », ici, le sens encore une fois volontairement flou, nous intimerait à penser que Rousseau laisse à son lecteur une entière liberté quant à l’objet de sa quête.
« La tendance globale de Rousseau semble ici de parler avant tout pour lui-même et, loin de mobiliser cette expérience intime comme pièce d’un dispositif argumentatif à la manière stratégique de la théologie naturelle, de l’intégrer dans le mouvement spontané d’un discours d’expression de soi, reposant avant tout sur le témoignage du cœur, ayant valeur plus suggestive que proprement démonstrative. »
Jean-Luc Guichet, dans « Rousseau : la nature, Dieu et le moi », semble aller dans aller vers cette hypothèse largement dubitative où rien de précis n’est posé à l’orée de la réflexion :
« Même au comble de l’extase, Rousseau ne parvient qu’à convulsivement répéter « Grand Être » et rien de plus. Comme si le nom de Dieu représentait plus un obstacle qu’un dévoilement, en risquant d’élever la falaise d’une transcendance entre le moi et la nature. »
Je ne sais pour vous, Joël, mais pour moi et, à défaut de mieux cerner les choses le « Grand Être est le Grand Être », tautologie oblige, toute interprétation au-delà de ceci n’étant que pure délibération imaginaire. Et je prétends que ces « mille rêveries confuses mais délicieuses, & qui sans avoir aucun objet bien déterminé », Chacun, Chacune peut en éprouver le dépliement de soie en son intimité la plus exacte, sans qu’il soit Croyant, Mystique, Théosophe, Gnostique, Hermétiste et autres « fadaises » comme vous le dites si bien.
Être Soi en Soi et rien que Soi
est déjà une grande affaire !
Pour en revenir à de plus rationnelles observations et afin de ramener les passions à l’exercice de pensées logiques, convient-il de dire, avec Josiane Guitard-Morel dans « Comment les espaces parcourus créent-ils une généricité de la promenade dans l’œuvre ‘’Les Rêveries du promeneur solitaire’’ de Jean-Jacques Rousseau ? », d’affirmer donc :
« C’est de manière continuelle et affirmée que Jean-Jacques Rousseau manifeste un sentiment d’amour marqué à l’égard des lieux de la nature auxquels il consacre une large place thématique dans ‘’Les Rêveries du promeneur solitaire’’. Entre le marcheur et le milieu naturel se nouent d’étroites relations de connivence amenant le lettré à se trouver en osmose véritable avec les espaces naturels. Les contacts au plus près de la nature s’établissent grâce à l’activité physique de la déambulation et au regard posé sur les paysages. » (Je souligne)
Le problème, car il y a problème, dès que Dieu s’installe dans le débat, le site du rationnel est bien vite délaissé pour se métamorphoser en ces discours « mondains » qui ne reposent que sur des pétitions de principes, sur des hypothèses irrationnelles, si ces « pensées » ne s’abreuvent aux fausses informations dont nos contemporains Réseaux Sociaux sont friands, parfois seules sources d’informations pour de candides natures qui prennent l’écume pour la Vérité de l’eau.
Å l’épilogue de ce long article, je citerai Gaston Bachelard dans « L’Eau et les Rêves » :
« Cette rêverie dans la barque détermine une habitude rêveuse spéciale […]. Cette rêverie a parfois une intimité d’une étrange profondeur […]. Ainsi que tous les rêves et toutes les rêveries qui s’attachent à un élément matériel, à une force naturelle, les rêveries et les rêves bercés prolifèrent. Après eux viennent d’autres rêves qui continueront cette impression d’une prodigieuse douceur. Ils donneront au bonheur le goût de l’infini. »
Bachelard ne dit nullement, à propos du bonheur qu’il est, d’une façon purement univoque, « l’Infini », mais seulement qu’il évoque « le goût de l’infini. »
Je crois que les hésitations du lexique reflètent les fluctuations de la « pensée » à propos des choses, surtout lorsque ces dernières, les choses, diaphanes tels des brouillards, toujours échappent, ne se laissent saisir et donnent lieu, le plus souvent, à ces approximations qui tiennent lieu d’exercice spéculatif. Certes, tout spéculatif fait signe en direction du Miroir et il ne tient qu’à nous de ne nullement nous laisse fasciner par notre image, d’en traverser les reflets de manière à découvrir une plus haute et exacte Vérité. Bien des problèmes, bien des affirmations hâtives (je ne parle évidemment pas de vous, Questionneur « infini »), résultent d’un examen bien trop superficiel des problèmes, d’une confusion le plus souvent réelle entre le fond et la forme, de ce qu’il faut nommer une « fausse intuition ». Nombreux ceux qui pensent que l’intuition est saisie immédiate du sens, certes, si elle peut apparaître telle, ce n’est qu’à la suite de longues et profondes méditations que la « juste intuition » peut produire ses plus sublimes effets. Mais je sais, Joël, votre accord sur ce point.
Question, pour revenir à Bachelard : qu’est-ce donc que le goût de l’Infini ? (qu’il faudrait écrire avec une Majuscule). Existe-t-il un petit infini qui s’opposerait à un Grand Infini ? Un infini immanent par rapport à un Infini Transcendant ? Voyez-vous, Joël, la question est infiniment complexe et nulle affirmation ne saurait y répondre. Je crois que, dans cette zone intermédiaire des « Rêveries », dans cette manière de flottement entre Conscient et Inconscient, sans doute faudrait-il introduire le néologisme de « Médioscient », là il y aurait place pour les Agnostiques et les Gnostiques, chacun puisant l’eau à la source qui lui convient. Merci de m’avoir mis au défi de répondre à votre question. J’ai tout à fait conscience d’avoir plutôt redoublé votre interrogation à défaut d’y répondre. Le doute est l’espace de notre plus grande Liberté (avec une Majuscule !)
PS : Votre supposé « manque de sensibilité », pour autant que je peux en juger, n’est rien moins que théorique. Qui toujours questionne est nécessairement « sensible ».
Merci infiniment d’avoir instauré les conditions de ce dialogue à distance. Amitiés. JP.