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6 novembre 2024 3 06 /11 /novembre /2024 08:28
Ce long flux tranquille

L’Alzeau…Montagne Noire…Occitanie…

 

Photographie : Hervé Baïs

 

***

 

Tout est encore dans le genre

d’une fermeture originelle,

de long repos,

d’immobilité native.

 

On ne pourrait, même à

l’aune d’une imagination fertile,

dessiner la courbure du Monde,

lui associer quelque prédicat que ce soit.

Genre d’électroencéphalogramme plat,

de retrait des nervures en soi,

d’effacement de tout ce qui ferait saillie,

de tout ce qui, dans l’attente du jour,

pousserait sa prétention à paraître

une coudée au-dessus

d’une indistinction manifeste.

 

Lente léthargie des choses,

douleur, peut-être,

à sortir de leur bogue,

à se confronter

à la vastitude de l’espace,

 à s’exhiber, ici et là,

dans la pure radiance du jour,

dans son bourgeonnement lumineux.

 

Tout est en attende de soi.

Tout est celé dans le motif intérieur.

Tout est lové dans les mailles

laineuses d’un secret.

 Ferait-on, à l’orée de l’heure,

un geste de trop -

avancer sans égards pour ce qui est,

déranger le naturel

ordonnancement des choses,

surgir à l’improviste depuis

quelque mesure abstraite –

et alors, soudain,

tout menacerait

de rentrer en soi :

les feuilles dans le tronc,

le tronc dans les racines,

les racines dans la gangue de glaise.

 

Voyez-vous, c’est précieux

la venue à l’être des choses,

cela demande le silence,

cela convoque la retenue,

cela suppose le recueil,

là, sur la lisière de

 la manifestation,

 là, sur l’invisible lanière

qui sépare l’irréel du réel,

qui place d’un côté

ce qui, vers soi avance,

ce qui, hors de soi, se retire.  

 

C’est toujours ce jeu renouvelé

de la présence et de l’absence,

cette éternelle fluctuation

de l’évidence au doute,

cette bascule entre

ce qui se laisse saisir et

ce qui résiste,

c’est donc en cette

étrange alternance

que s’inscrit le sens en son

plus paradoxal événement,

en sa venue nécessairement

polysémique.

 

Tellement de choses

sous tellement d’esquisses

sont en attente de paraître,

d’envahir notre conscience,

de l’égarer parmi l’invincible

loi de la multitude,

de la profération,

du fourmillement

de l’exister.

 

   On vient des bords, on vient du Néant, on exulte à s’extraire du Rien. Mais que sont le Néant, le Rien ? Tellement de mystères les entourent, tellement de mythes les revêtent de l’inconsistance du nuage, du glissement du vent. Eh bien, oui, ils ne sont, en toute vérité, que furtivité, translation, passage d’une non-réalité à ce qui pourrait devenir réalité et, alors, de cette réalité ils n’auraient été que les médiateurs, les précieux Alchimistes extrayant du vide sidéral de la cornue, cette belle Pierre Philosophale qui brille de tous ses feux au motif de ses innombrables facettes, facettes qui sont la pureté du Sens s’extrayant de l’abîme du Non-Sens.

   Venant de l’ombre dense, venant de la mystérieuse Nuit, nous nous hissons péniblement de la mutité d’une lourde matière, puis, soudain, sur le bord lumineux des Choses, une petite musique paraît, des sons se lèvent du silence, une Parole s’affirme qui est Parole de la Nature venant à Soi sur le mode du chant, venant à Nous sur le mode plénier de pures Présences. Naissant à qui elle est, Nature nous fait naître à qui nous sommes, puisque, à l’évidence, la Nature a tracé en nous la seule voie possible de notre Destin. Fils de la Nature, tout comme Nature est notre Mère. Il n’y a pas d’autre affirmation possible. Cependant, exister, veut dire se séparer de Nature, croître en notre sein, penser à l’aune de notre réalité, avancer en direction de Nature, dont, un jour, nous retrouverons le sein, tout comme le Jeune Enfant confie ses lèvres à la source lactée qui le fait vivre. Nous détachant de notre Terre primitive, que nous reste-t-il pour la rejoindre dans l’orbe du sens ? Il nous reste nos perceptions-sensations. Il nous reste nos cinq sens (toujours du « sens » : heureuse et riche polysémie du Langage), nos cinq éclaireurs de pointe, ceux qui explorent le réel, le décomposent, l’analysent, toutes information dont notre intellect réalisera la synthèse.

  

VOIR : Paysage se donne de Soi,

selon la multitude de ses images.

TOUCHER : Paysage se donne de Soi,

selon la douceur ou la rugosité de ses fragments.

ENTENDRE : Paysage se donne de Soi

selon les harmoniques de son ton fondamental

SENTIR : Paysage se donne de Soi,

selon les fragrances aériennes qui flottent ici et là

GOÛTER : Paysage se donne de Soi,

selon les saveurs plurielles qu’il offre à notre goût

 

   Au fond, tout au fond du Temps, du plus loin de l’Espace, cette Nuit sans visage, cette Obscurité native, ce Mystère voulant demeurer en soi. S’éclairerait-il et rien ne subsisterait de notre Étonnement, et la majestueuse Philosophie connaîtrait le deuil d’une manifeste impuissance.

Il faut du Secret,

il faut de l’Énigme,

il faut des profondeurs Abyssales

 

   de manière à ce que, notre attention, notre passion fouettées à vif, ne désespèrent nullement de faire fleurir à l’extrême pointe de notre conscience, les libres pétales d’un questionnement, de faire se déployer cet Ouvert au terme duquel quelque chose comme une Vérité, ou du moins une demi-lumière, un clair-obscur viennent, au sublime rythme de leur transcendance, nous distraire de qui nous sommes, nous exiler en quelque sorte, nous poser au-delà de notre être, dans cette manière de rumeur solaire

 

qui fera de notre corps

une pure transparence,

de notre esprit

 le lieu d’une fête

toujours renouvelée.

  

   Nature se donne de Soi : le noir est maintenant dépassé, nos yeux se disposent à la saisie de lueurs aurorales, elles sont les naturelles prémisses d’un savoir plus entier au sujet des Choses. Des roches luisent dans l’ombre. Elles dessinent le doux motif d’une esthétique de métal et de galet poncé, si nous pouvons oser cette métaphore matérielle, ce presque toucher que l’intellect destine à son autre, ce qui, là-devant, brille et nous met au défi d’en traverser le vif éclat. Cela vient de loin, cela vient d’un site innommé, cela commence à proférer dans la prudence. Prudence de l’eau à animer son cours, à initier son troublant friselis. Prudence des frondaisons, on dirait des écus lissés de lumière, ils paraissent garder en eux, à l’abri du regard des Hommes, le fluide qui les fait se lever, témoigner de l’être en sa « multiple splendeur ». Prudence du tronc, il se dissimule sous son épais trait de charbon que le jour dissoudra à grand peine. Prudence, réserve, juste discernement de la nappe liquide, elle est le sang incolore de la Terre, le flux selon lequel, visitée en son sein par tous ces courants, ces fluides, ces filets, ces radiations, la Terre donc connaît le jeu inaperçu de l’élémental : l’Eau féconde la Terre dont la Terre porte présence à la façon d’un inestimable don. Souples bassins de rétention, lacs minuscules luisant sous la caresse de la pénombre.

 

Ici un langage naît,

ici une poésie commence,

ici un sens s’édifie.

 

    L’eau, jusqu’ici anonyme, devient mince ruisseau, ruisseau qui chante l’hymne de l’Origine, qui déplie la parole d’une possible joie car exister, pour les Choses aussi, est pure grâce, donation au centuple de ce qui croît sous le vaste et lumineux dôme du ciel. L’eau sinue et, serpentant, se connaît comme celle qui gagne de nouveaux horizons, engrange de nouveaux savoirs. Savoirs d’elle, savoirs de tout ce qui vient à l’encontre. Noire symphonie, paisibles harmoniques argentés, le Noir, l’Argent sont les lieux de la première dialectique du réel.

 

L’Ombre n’est que par la Lumière,

la Lumière ne fait sens que

sur le fondement de l’Ombre.

 

   Or, événement hautement singulier, ici, dans la simple venue du jour, dans l’atténuation de la clarté, dans la confiance des Choses entre elles, se déplient les volutes élémentaires de la Signification. Rien n’est isolé qui retournerait dans un archaïque Néant. Rien ne rétrocède vers un état antérieur. Rien ne s’aimante en direction de quelque négativité. Là, dans cette lumière levante, là dans ce premier frémissement du jour, là dans le dépli de ce qui se montre en tant qu’essentiel, ce n’est rien de moins que la stupéfiante parution des Choses à même leur discrétion, là l’inexpliqué phénomène de l’Être se donnant certes sous la réserve, certes sur la limite d’un retrait, mais en ceci, nous les Regardeurs sommes comblés : nulle émergence, nulle éclosion ne nous rencontrent avec autant d’insistance émerveillée qu’au prix de leur possible absence.

 

Nous ne sommes jamais Présents,

qu’à ne pas nous absenter.

 

Suspens !

  

L’admirable flux héraclitéen poursuit son avancée.

Nous poursuivons la nôtre sous le regard

bienveillant de la Nature.

 

Tellement de choses,

en elle,

 à faire fructifier !

 

  

 

 

 

 

 

 

 

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