Vue sur le Canigou depuis le Bourdigou…
à Sainte-Marie-La-Mer
Photographie : Hervé Baïs
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« Le Bourdigou », combien ce nom, avec ses trois syllabes claires, avec son déterminant « Le », qui non seulement le singularise, mais lui donne quelque ampleur, combien ce nom flaire bon le lieu vernaculaire, celui dont, aujourd’hui, il ne reste plus dans la mémoire qu’une infinitésimale trace, à peine une vague fragrance au large de Soi, une touche de papier d’Arménie avec ses nostalgiques effluves, on dirait l’effusion d’une réminiscence se confondant dans un temps sans réelle épaisseur. Alors, si on le souhaite, l’on peut régler la focale de sa vision (tout comme celle de son appareil photographique) sur le champ immédiat qui s’offre à notre regard. Dès lors, ce sera une simple vision de myope ne prenant en compte que le proximal à défaut d’y inclure ce distal bien trop éloigné, une manière d’étrangeté qui meurt de ne pouvoir être rencontrée dans l’instant même de son évocation. Saisis de ce microcosme paysager, l’on n’aura cure de tenir compte de ce qui, au loin, disparaît à même son flou, son imprécision. L’on musardera tout le long du Bourdigou, ce petit fleuve côtier portant en soi un espace encore vierge des meutes citadines et des constructions anarchiques qui en sont le logique accompagnement. On flânera en Soi, seulement attentif au beau motif de la flore indigène, on observera la Loeflingie d'Espagne, ses fleurs vertes en grappes ; on s’amusera du joyeux mimétisme de l’Ophrys guêpe ; on se réjouira de la disposition en croix de l’Euphorbe péplis. On ne sera distrait par rien, curieux de tout connaître de cette manière de péninsule à l’écart du bruit du Monde. On s’étonnera du vol noir et blanc de la Sterne naine, on s’égaiera des boules duveteuses des Luscinioles à moustaches s’envolant des roselières. C’est en ceci qu’aura consisté notre première découverte, se fondre en ceci même qui ressemble à une niche écologique en laquelle trouver apaisement et consolation. Mais l’on s’apercevra, sans délai, que cette vue à courte échéance ne suffira à combler notre désir de plénitude et de bonheur.
Alors il nous faudra abandonner l’espace maritime, nous tourner vers le terrestre, chercher à y trouver de nouveaux points d’appuis, lesquels, loin d’être étrangers à notre précédente quête, en approfondiront le sens. Remonter en direction de l’amont de la rivière. De longs filets d’eau dessinent des reflets constamment changeants, des moirures en lesquelles notre image narcissique ne trouvera guère les moyens de s’ancrer, diluée qu’elle sera parmi les linéaments de cette étrange beauté. La lumière joue, saute, fait mine de s’absenter pour mieux scintiller à contre-jour de notre vision qui, maintenant, s’élargit, se déploie en myriade d’images semblables à celles qui animent les prismes colorés des kaléidoscopes. Oui, c’est la fête de la lumière, nullement une imitation humaine, nullement une mise en scène, Lumière-Nature en la plus belle effusion qui soit. Å peine regardons-nous telle irisation, qu’une nouvelle la recouvre de son brillant glacis. Merveilleuse chorégraphie des transparences, elle est le tremplin donnant essor à notre imaginaire. Si la lumière maritime se perdait dans sa vastitude azuréenne, celle-ci, la fluviale, reçoit du ciel cette onction au gré de laquelle elle connaît un destin double : être, tout à la fois, en un seul et unique geste, simple pellicule liquide, mais aussi, mais surtout, légèreté aérienne poudrée d’une généreuse et impalpable clarté. Comme si une curieuse efflorescence de l’eau devenait phosphorescence du ciel et, partant, vision métamorphosée que la nôtre, portée à l’acmé de son pouvoir de décryptage du réel.
Tout nous paraîtrait d’une si transparente évidence que c’est nous-mêmes qui connaitrions l’envol, genre de cerf-volant flottant haut, au gré des courants aériens. Mais, bien avant de gagner la haute altitude, cette illisible dimension spatiale échappant à mesure de notre ascension, c’est dans la zone intermédiaire, la zone infiniment productrice de sens, la zone médiatrice que notre regard décidera de s’installer, sentant en elle, combien son pouvoir synthétique est grand, elle qui assemble le large Territoire Marin et la mouvance inapparente du Fief Céleste, ce Sublime Idéal au gré duquel devenir, au large de Soi, bien plus que le Soi, une manière de puissance inactuelle source de joies multiples et infinies.
Du Terrestre au Céleste, tout converge en ce foyer, en cette lisière de poétique tenue. Tout y devient irréel, aussi magique que le vol stationnaire du Colibri devant la fleur saturée de nectar. Tout, ici, fait horizon, recueil pour les erratiques cheminements des Hommes au dos courbé, conque pour les hésitants pas de deux des Femmes aux voluptueuses arabesques.
Le noir du végétal joue avec le gris vacillant de l’onde, joue avec l’étrange blancheur de neige du ciel dont l’ascension ne semble n’avoir nulle fin. Vides boqueteaux, Nature en sa virginale expansion, liberté infinie du paysage à se composer, à se recomposer selon les fantaisies arborescentes issues du centre même de son être, insaisissable énergie, capacité de renouvellement fabuleux de la mystérieuse Phusis qui l’anime en son sein de bien étranges mouvements. L’immobilité est de surface, la mobilité de profondeur, pareille à une lave noire qui n’attendrait que de sourdre des écorces, de faire ses cendreux bourgeonnements alentour avec la majesté des Choses Essentielles. Semer, ici, dans le plus grand silence, ces Formes immémoriales que les Existants regarderont à peine, préoccupés qu’ils sont à sonder, en eux, le miracle de vivre, éblouis de ses manifestations joyeuses, infiniment renouvelées. La Nature est là, en sa Toute-Puissance, large ombre portée sous le faix de laquelle tout-ce-qui-est se donne dans une manière d’infinitésimale présence. De discrétion obligée.
De passage presque inaperçu
entre deux Principes :
le Fluvial au Nadir, ce long ruissellement,
cet épanchement continu vers
on ne sait quel secret destin ;
l’Aérien, le Zénithal, fuite échevelée
d’un Coursier aux étranges motifs,
on n’en perçoit jamais
que les étonnantes ruades,
un étincellement de sabots
parmi les célestes éclairs.
Deux Principes aux si étranges motifs que nul n’en peut comprendre le sens, sauf à laisser libre cours à un imaginaire créateur de plurielles et foisonnantes fictions.
Au point de jonction de ces deux Principes, identique à l’intervalle entre deux mots, mais un intervalle empli, saturé de sens, lesté d’évidente concrétude : le beau surgissement de ce Tiers Inclus, de ce Médiateur, de ce Mètre-étalon de la mesure Humaine : Boqueteaux en leur réalité-vérité ; Mas Blanc, demeure des Hommes en sa réalité-vérité, inouï fanal par lequel être au Monde selon sa propre aventure.
Croisement, intersection de deux regards :
le Proximal qui ignore le sens
au motif de sa singulière myopie,
le Distal qui ignore également le sens
au motif de son étonnante et dispersive hypermétropie.
C’est le Juste Milieu,
le Regard Médian
qui se donne pour le regard le plus exact, lui qui prend appui sur le proche, mais aussi le lointain, en médiatise les effets, les porte au centre d’une irrémissible réalité-vérité, là où il n’y a plus de fuite possible,
là où l’arbre parle son langage d’arbre,
où la maison tient son langage de maison,
où l’Homme assemble les deux,
sous la puissante focale
de sa conscience constitutive
de toute signification,
de toute dimension d’actualisation
du virtuel, du possible.
En soi, regarder justement ce-qui-vient-à-nous, ce que Tous nous devons faire, ce que fait avec sûreté le geste photographique, voici de quoi ne plus douter de-ce-qui-se-présente, mais l’accueillir à la façon d’un merveilleux don producteur de félicité, d’enchantement. L’on parle volontiers, depuis l’avènement des « Temps Modernes », de « désenchantement du Monde », sans doute à raison, et c’est bien la qualité de notre vision à laquelle est confié le soin de le réenchanter, ce Monde. Merci à tous ceux qui s’y emploient avec talent :
les Photographes explorateurs du réel,
les Artistes qui le fécondent,
les Prestidigitateurs qui l’amplifient
à la dimension du songe,
les Astronomes qui le portent loin
au bout de leur lunette,
les Savants qui en décryptent les secrets,
les Idéalistes qui le nimbent
d’une lumineuse auréole,
enfin Tous Ceux et Celles qui, visant le lourd et terrestre horizon, y dessinent ces sublimes arabeques des Aurores Boréales, seul leur esprit le peut, seul le nôtre en peut recevoir la pure obole. On disait le Lyrisme mort, voici que nous pouvons le faire surgir à nouveau en sollicitant ce fond de Romantisme toujours disponible à la racine de la galaxie Humaine. Oui, infiniment disponible. Sans doute, aujourd’hui, la plus grande des vertus, la plus belle des médecines, le plus efficace des simples à placer dans notre pharmacopée personnelle, cette subtile préparation alchimique Romantico-Lyrique, naturel contre-poison de toutes les dérives complotistes et autres aberrations de la Raison dont notre époque s’est fait une spécialité spécifique.
Soyons Simples,
soyens Naturels selon
l’ordre Universel de la Nature.
Là, et seulement là, est la clé de notre marche exacte sur ce coin de Terre, bien le plus précieux qui soit. En ranimer la flamme n’est nulle option facultative, un devoir « éthique », mais c’est vrai que les « gros mots » effraient Ceux qui leur préfèrent la « grosse vie », titre d’un ouvrage de Jean-Louis Bocquet dont il nous plaît de citer la quatrième de couverture de l’Éditeur :
« La « grosse vie », c'est le hip-hop, la tune, la célébrité, les femmes, le luxe clinquant griffé et la dope. Un fantasme de réussite sociale fulgurante et facile qui taraude les jeunes de banlieue scratchant dans les caves leurs vinyles et aspirant à se propulser sur ta grande scène médiatique. »
Qui nous aura lu adéquatement aura compris qu’à cette « grosse vie » nous préférions, sans hésitation aucune, ce que nous pourrions nommer, a contrario , « la fluette et frêle vie ». Bien évidemment, dans ce contecte, « fluet », « frêle », loin d’être le signe d’une débilité existentielle, est une force qu’il nous faut oser, faute de quoi le « désenchantement » nous abrasera jusqu’à ce que « mort s’ensuive ».
L’inévitable Mort,
au moins que les temps
qui la précèdent,
nous soient doux
et gorgés de sens.
Oui, de SENS !
Ce magnifique suc de l’exister.
« Le Bourdigou » justement considéré
en est peut-être l’Initiale Vérité.
Demeurons-en-nous
Avec la souple vivacité
De Ceux et de Celles
Qui ont découvert en EUX,
Au LARGE d’Eux,
Cette mesure inouîe
D’un Sens Primordial,
Il nous fait Être
Qui-nous-sommes
Dans la plénitude
Du geste existentiel.
Nous voulons
« Le Bourdigou »
Nous l’aurons !
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