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24 novembre 2015 2 24 /11 /novembre /2015 09:08

 

Avant que les hommes ne naissent.

 

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Sur une page de Pat Chouly. 

 

   C’est tout en haut du ciel, suspendu comme une étoile. C’est à peine l’horizon et son fil pareil à un souffle. C’est l’écume du nuage sur son épaule extrême. C’est la rive du fleuve encore possédée de nuit. C’est le jour esseulé et sa marge d’incertitude. C’est l’ébauche du geste avant la parole. C’est la braise en attente du rougeoiement. C’est la cendre devenant poussière. C’est l’avenue du temps que cerne l’éternité. C’est l’espace venu du plus loin de la mémoire.

Comment imaginer ce qui ne saurait l’être ? Comment créer la métaphore encerclant le vide ? Comment donner assise au néant ? Comment marcher sur le fil invisible de la terre ? Comment parler à l’arbre solitaire ? Comment saisir ce qui toujours se dérobe ? Comment répondre à la multitude qui fait notre siège, alors que nous sommes absents à ce qui paraît ? Car nous ne sommes pas encore nés à nous-mêmes, car nous dérivons dans la résille dense des choses et ne happons que des consistances de brume. Mais, au moins, sommes-nous au monde ? Mais au moins existons-nous ? Produisons-nous la moindre parcelle de liberté ? Enonçons-nous un atome de vérité ?

  Nous avançons parmi les écueils, les bras tendus, pareils à de pathétiques somnambules. Notre visage est de cire, nos mouvements ceux des automates, nos rires pareils aux grincements aigus de la scie. Nous progressons sur une immémoriale ligne de crête et le soleil nous aveugle, nous reconduisant à notre cécité native. Des chiots nouveau-nés aux yeux humides de rosée, les babines blanches du lait nourricier, les pattes moulinant l’air de leurs boules maladroites. Mais où  les tétines et leur miel polychrome ? Mais où les fils, les arbres de notre généalogie, les branches solidaires, où les racines de notre condition terrestre, où les rhizomes étoilant notre conscience afin que quelque sidérante comète pût enfin y inscrire ses cheveux de feu, ses lignes signifiantes ? Où les ornières dont nos pas pourraient recueillir la certitude d’un chemin à parcourir ? Où les épines de la passion qui ancreraient nos sentiments à l’aune du péché, de la faute, de l’intime déchirure ? Où les forêts denses dont nous ferions notre abri en attendant que s’ouvre la clairière ?

  Partout dans le cosmos naissent des milliards d’étoiles, des théories de galaxies lumineuses, des nébuleuses blanches. Qu’au moins l’un de ces astres vienne à notre encontre et nous guide parmi la pléthore mondaine ! Mais tous les mouvements, tous les sentiers, tous les actes  ne sont qu’illusions, ne sont que nez de clowns et masques de plâtre. Partout est la gueule livide du néant qui projette ses bombes et fait éclater ses grenades aux pépins sanglants. Les hommes ne sont que de grises concrétions figées sur d’étranges corniches en porte-à-faux, les femmes des bustes d’albâtre que le vert-de-gris ronge déjà, les enfants des excroissances que le temps lamine et réduit à la taille de l’incompréhension.

  Mais écoutez, mais regardez, ce sont les premiers mots qui émergent du rien, se sont les premières phrases qui font leurs joyeuses sarabandes, les textes fondateurs de l’humain qui se saisissent du calame affûté et gravent dans l’écorce du monde les signes originels, ceux qui portent l’Existant à sa dignité de penseur, qui singularisent le Bipède, le mettent debout alors que tout rampe et baudroie dans les abysses océaniques, alors que tout se dilue dans l’immédiateté horizontale. Voici venu le temps de la verticalité, de la grande espérance faisant ses allées et venues sur la grande scène de l’univers. Car l’homme n’est que par le langage. Ôtez-lui donc sa rhétorique et vous n’obtiendrez qu’un genre de métronome fou, de sémaphore inconséquent faisant dans l’espace les gestes obséquieux de celui qui ne repose sur rien, de celui inconsistant comme l’Amant privé de l’Aimée. Biffez le langage et il ne vous restera guère que l’animal, le babouin certes habile de ses mouvements mais incapable de prononcer le moindre poème, de faire surgir le mythe, de convoquer la fable. Un genre de gesticulation circonscrite à son propre rythme aporétique.

  Tout cela, cette nécessité du langage à cerner les cimaises humaines, nous le savons de toute éternité, mais nous n’avons qu’une hâte : oublier par où nos origines ont trouvé leurs conditions de possibilité. Nous demeurons sourds à la langue et nos pas pressés nous précipitent dans le premier subterfuge qui s’offre, le vert langoureux des yeux, la praline sucrée, l’ambroisie divine ou bien l’alcool frelaté dont nous faisons des gorges chaudes. Aussi, regardant ce paysage, nous demeurerons muets aussi longtemps que nous n’aurons pas compris qu’il n’est une « réalité » qu’à l’aune de ce que nous pouvons en dire, à savoir, par exemple, écrire un poème à son sujet. Car l’on aura beau ouvrir ses yeux jusqu’à la mydriase, écarquiller le pavillon de ses oreilles, étaler sa peau jusqu’à la rupture, la nature de ce qui s’offre à nous ne se livrera qu’en mots, ne fera phénomène qu’à la manière de la voix, ce dire du monde avec lequel nous prenons tellement de liberté qu’aucune profération n’émerge plus du bruit de fond, qu’aucune sémantique ne fait plus percevoir sa subtile harmonie.

  Avant que les hommes ne naissent était le silence. Seules les étoiles grésillaient  dans l’éther pareillement à un vol de criquets.  Maintenant, ce sont les hommes qui sont devenus les criquets parcourant les agoras de leurs stridulations intempestives. Ecoutons ce que le monde a à nous dire. Alors nous pourrons proférer dans l’exactitude car les choses sont toujours dans une forme de vérité à laquelle il nous faut nécessairement prêter attention. Alors, c’est tout naturellement que le paysage se présentera à nous, avec ce ciel si près d’une naissance que nous pourrions le croire non encore advenu, avec le miroir de l’eau le reflétant comme s’il s’agissait simplement de sa propre réverbération à l’infini. Et nous serons alors si près d’une vision authentique que nous serons onde à notre tour, parcourue de cette lente dérive céleste ; que nous serons arbres si intimement inclinés sur la face des éléments que nous en serons la simple image inversée, l’empreinte éphémère effleurée par la clarté du jour ; reflets de reflets et ainsi jusqu’à l’infini dans un sentiment du paysage aussi ténu que ce fil d’horizon que nous aurons rejoint sans même que nous en soyons alertés, ce fil reliant toutes choses, comme le langage unissant tout dans un même creuset, alors que nous commençons seulement à naître à nous-mêmes.  

 

 

 

 

 

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commentaires

S
Merci pour vos appréciations et vos encouragements. Bien à vous. B-S.
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