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13 décembre 2015 7 13 /12 /décembre /2015 08:38

 

Ce fragment qui ne parle  de toi.

 

 

cfqnpdt.JPG 

 « Art au féminin ».

Nadège Costa.

Tous droits réservés.

 

 

 

   Que saisit-on de l’être, sinon deux ou trois traits  puis le vent replie ses rémiges et l’espace est vide, la conque repliée. Il n’y a plus qu’un souffle à l’horizon, un crépitement de brume, une haute falaise où ricoche le regard. C’est ainsi, tout s’absente à mesure que notre naturelle inquiétude s’ingénie à tracer le contour des choses. L’à-peine apparition comme règle du jeu. Le vacillement de la flamme. La perdition du jour et la nuit étend son emprise et la raison se dilue dans l’étrangeté de l’encre. Tout dans le trait incertain de la mine de plomb. Tout dans l’irrésolution de l’étain, ce gris sourd qui teinte d’indécision les toits de Paris. Les ciels sont perdus et la blancheur des oiseaux n’est que faire-paraître de l’absence.

  Ce serait si bien si le temps faisait halte, si le concept déroulait ses copeaux, si le jour s’effeuillait en minces compréhensions. Le passage, la perte, l’évanouissement, le non-retour c’est tellement teinté d’effleurement, c’est tellement poinçonné de temporalité. Il n’y a plus de parole qui énonce quoi que ce soit. Le poème s’abîme dans ses rimes obsolètes. Le théâtre n’est que praticable tissé de mensonges. Les livres illusions de milliers de signes. Tout est alloué à la réduction, tout est divisé par la faille des heures. Il n’y a plus de sentiment d’éternité. Mais en a-t-il jamais été ainsi ?

   Notre vision, nous l’avons voulue large, destinée aux vastes plaines d’herbe, aux hauts plateaux lissés de vent, aux horizons maritimes ouverts sur l’infini. Notre entendement nous l’avons souhaité étendu, aux ailes infiniment éployées afin que le monde y dépose ses mots de science, ses lexiques de certitude. Et pourtant rien ne s’y est imprimé que fuite et désolation. Pas même l’ombre d’un pessimisme, pas même la diversion d’une souveraine mélancolie. Nous eussions été comblés d’apercevoir seulement le vol courbe d’une pensée, l’ellipse fuyante d’une intuition, la fente diagonale d’un furtif ravissement. Rien et encore ce mot en dit trop qui évoque le néant et son cortège d’ombres métaphysiques ! Rien, comme cela, en 4 lettres, pas même écrit sur une feuille transparente, pas même susurré en voix intérieure, pas même pensé sur le mode de la disparition. Non. Rien en tant que rien. Donc Rien absolu. Sans arêtes, sans voix, sans murmure. Le Rien collé à son propre écho. Le Rien sans épaisseur, pas même celui de la carnèle liant avers et revers.

  Mais tout ceci peut-il s’écrire ? Nous voulons dire le Rien. A peine avons-nous proféré un mot et voici que déjà nous ouvrons une clairière dans l’opacité universelle. Déjà cela se met à briller. Déjà cela indique un chemin. Nous disons « herbe » et nous avons l’herbe, son chatoiement vert d’eau, sa densité mortelle. Nous disons « femme » et nous avons des vérités en forme de proue, des promesses bleues, des arcatures de joie. Nous disons « rosée » et cela se met à briller sur la pointe avancée des tiges matinales. Mais, disant « herbe, femme, rosée », avons-nous obtenu autre chose que le début d’un poème, l’amorce d’une espérance, la dispersion d’une angoisse ? Notre langage nous porte-t-il au-delà de nous-mêmes, nous déposant au pays des chimères ? Ou bien demeure-t-il scellé à notre bouche avec la persistance de la voix à moduler l’espace intérieur ?

  L’instant viendra où je t’écrirai la juste mesure du jour, ce dévoilement par lequel tu t’annonces alors que tu n’es que voilement, image au bord du monde, filigrane que toujours je  crois saisir dans la densité du papier alors qu’il n’est que pure illusion. Au moment où l’aube bascule dans le dépliement du monde, parfois, tu inscris ta silhouette sur la vitre lisse du ciel. Une folie de nuage et puis le vent disperse tout dans une finitude éthérée. Comment vivre après cela, le vide est si grand qui appelle et l’abîme est ouvert avec ses ondes serrées comme le silence. Un fin brouillard éteint tout dans une même irrésolution. Plus rien ne reste visible et les idées s’engluent dans une résine dense, impénétrable. La forêt vierge est-elle ainsi, cette impression de pure vacuité parmi le cri des singes hurleurs et le tumulte des aras ? Double perdition de l’aventure dans la parole scellée en elle-même. Mais qui donc nous entendrait alors que le monde est vacarme assourdissant et les consciences simples girations infinitésimales ?

  Alors nous rêvons. Alors je rêve et le champ de l’image cède sous la poussée du désir. Tout s’écroule à la manière d’un château de cartes et il ne demeure plus qu’une Reine attristée pleurant des larmes amères d’avoir été dépouillée de ses atours. Qu’est-il de plus tragique, pour la Fugitive que tu es, que d’être réduite à ôter ton masque, à réduire ton loup à la taille d’une simple réminiscence ? Tu avances masquée et te dissimules dans la supplique même de ton ombre. Souvent je joue à imaginer ce qui est hors-cadre, ce qui est le naturel prolongement de cette effigie diluée dans l’estompe. Mais le territoire que je découvre est simplement ceci : le haut du visage est colline d’albâtre que vient féconder l’insistance de la lumière ; l’oreille percée d’un scarabée est une éblouissante conque s’abreuvant des mots des hommes ; l’épaule laisse s’écouler doucement vers la mer son glissement de dune ; tes mains sont nervures dans le croisement de la clarté ; le reste de ton corps fuite vers l’aval d’une indistinction native, comme si une étrange origine t’inclinait à n’être que glaise parmi le glissement des choses.

  Est-ce le fleuve en son écoulement qui t’appartient en propre, sa fuite vers l’estuaire ? Simple racine dans la touffeur des mangroves ? Ou bien sa source, sa cascade de bulles claires, sa consistance de brume, son à-peine effraction au milieu des rives de l’exister ? Ou bien encore, la souplesse des eaux chantant dans le resserrement des galets ? Sans doute ne le sais-tu pas toi-même. On n’est jamais totalement soi tant que la finitude n’a pas refermé son étreinte. On est flottement entre deux pôles, glaçure bleue sur la courbe d’un céladon, vide intérieur de la jarre façonnée par le potier, espacement du jour et de la nuit dans la perte du crépuscule et la lueur permissive de l’aube. Te questionnant, toi l’Esseulée-du-monde, je n’ai fait qu’ouvrir la clairière des mots en direction d’une angoisse fondatrice qui me fait Homme en même temps qu’elle m’arrache des lambeaux de peaux, mais dans la juste mesure d’une perdition différée. C’est cela le questionnement, Nous face à la marée qui monte insensiblement et bientôt atteindra son point d’acmé. Nous sommes ces colosses aux pieds d’argile qui demandons toujours aux Autres de nous fournir la clé de l’énigme. Que nous sommes. Qu’est l’Autre dans son apparition de fragment ? Car, du réel, nous ne saisissons jamais que des tessons dont nous cherchons à reconstituer notre possible archéologie. Mais nos mains sont gourdes, mais nos yeux sont tachés de cécité, mais nos jambes sont prises de glace et nous demeurons ici parce que nous ne pouvons fuir ailleurs. Et pourtant nous dressons contre le vent de l’exister notre peau tendue comme la voile, et pourtant nous avançons !

 

 

  

 

 

 

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