La dune sous le vent.
Photographe non identifié.
Juste un souffle léger, une mince respiration. L'Endormie est là, pliée dans les volutes de sable, à l'approche du jour. Les battements de l'Océan sont si près, on dirait la venue d'une ombre, le passage d'une cendre, une à peine ébauche de ce qui va surgir et tout ensevelir dans une même ambiguïté. Longue est l'attente qui s'entoure de nuit. Long est le vent venu du large alors que les sternes sont encore au repos.
Les bruits sont comme retirés au fond des conques marines, soudés aux plis d'obsidienne, cloués de lenteur. Ces abris au creux des ténébreuses falaises sont si réels, si attirants avec leurs minces flots amniotiques, leurs appels drapés de silence. Les eaux originelles font leur clapotis d'outre-ciel alors que la vie n'est que luciole, émergence du néant avec si peu d'insistance. Et pourtant, déjà, l'exister fait son murmure d'exil dont chacun sait le péril, le tortueux chemin, l'irrésistible force d'aimantation.
La peau native s'ourle d'hésitants picots, de hérissements, se dissimule sous des bandelettes pareilles à celles des momies. Cela ressemble à un fourmillement de hiéroglyphes, à une pluie de signes, à une projection de gemmes temporels. C'est donc cela qui déjà parle de finitude alors même que la première lumière s'annonce. C'est donc cela le rythme du monde, la marche irrésolue vers un possible destin. Temps, il est encore temps de faire halte, de demeurer sur cela qui s'annonce, en-deçà du grand tumulte. Ce qu'il faut faire : ensevelir sa concrétion de chair dans cette tunique de silice, ne faire qu'un avec la Dune-mère, glisser sous le vent, dissimuler son visage derrière le paravent aigu de l'avant-bras, laisser exposés à la vacillante et vertigineuse clarté, l'arrondi de l'épaule, la faible turgescence d'un sein, le globe tubéreux du bassin. Et la main, pareille au surgissement d'une douleur, qui s'essaie à étreindre le rien.
On est alors comme un bois éolien habité d'étonnement, une simple hallucination à la face du monde. Et les yeux, ces avant-postes de la conscience, ces méticuleux éclaireurs de pointe, il faut les cerner de charbon, les dissimuler dans une manière de gangue pierreuse. Toujours il sera temps de les inciser alors que les flammes blanches y déverseront leurs tonnes de phosphènes éblouissants, alors que la cruelle réalité y écrira les cinglants stigmates du jour. Peut-être de la vérité. Mais de cela nous ne sommes jamais assurés. Alors nous nous réfugions dans le sable mouvant du doute. Alors nous devenons des gisants au profond de leur sépulcre, des formes minérales que de laborieuses cryptes noient dans un étrange clair-obscur.
Pensant cela, l'Endormie au plein de l'indistinct est pur oubli d'elle-même, longue errance à la lisière du jour, esquisse fuyant ce qui pourrait témoigner d'une solitude infinie ou bien d'un surgissement dans le puits sans fond de quelque vide. Tout en haut, sur la vitre glauque du jour, s'essaient les premiers pas de deux des humains. Pathétiques gesticulations, soubresauts machiniques, grincements de poulies, longs déplacements ossuaires. Le fil d'horizon est une ligne infinie ouverte aux glissements, aux ondulations métaphysiques. Partout sont les scalpels qui cinglent l'air, les yatagans en formes de faux, les sabres recourbés qui font, consciencieusement, leurs moissons de têtes. La grande révolution temporelle est en marche avec ses arbres de la liberté soudés au firmament, ses enfants prodigues aux mains vides et ensanglantées, son humanité bégayant et claudicant sur les sentiers d'hébétude.
Partout est la grande peur qui ruisselle et fait ses mares putrides, ses marigots où nagent les tritons. Mais cela, il faut le penser seulement, en badigeonner son chiasma optique, juste en arrière du regard, en faire une méditation, peut-être une silencieuse incantation. Cela il faut le garder en nous, tout juste dans la spirale de l'ombilic, dans les circonvolutions de la pensée, dans les corridors de l'imaginaire. Jamais l'Endormie ne doit en être alertée. Sous peine de disparition. Le sable est toujours mouvant dont nous devons oublier la disposition à l'ensevelissement, la capacité à tout dissimuler dans cette néantisation que, tous, nous redoutons sans même y croire. Ainsi nous sauvons-nous de nous-mêmes : le plus grand danger.