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7 mai 2013 2 07 /05 /mai /2013 14:37

 

Honnies soient qui mâles y pensent (16)   

 

 Ne leur restait plus qu’à habiller leurs corps des habits de Cupidon. Ce qu’ils firent prestement, quittant la croisée, abandonnant le refuge du paravent. Sur le lit se retrouvèrent les amants pour célébrer, dans une fougue commune, leur amour de la « chose populaire », dont ils se dirent volontiers « qu’elle était la chose la mieux partagée du monde ».

  Et pour respecter la devise qui énonce que « tout vient à point à qui sait attendre », voici, donc, Lecteurs, Lectrices, le résumé des ébats d’un Comte et d’une Roturière, auxquels, je ne doute pas que votre imagination ajoutera force détails juteux, et ne feignez  pas votre manque d’intérêt pour la « choose » car, si tel était le cas, vous auriez depuis longtemps, déserté ma prose et sombré dans un sommeil réparateur.

  Donc, les amants se livrèrent aux jeux et aux joies d’Eros jusqu’aux environs de l’angélus de midi provenant des cloches de Saint-Eustache, sous des formes variées et diverses. Furent ainsi expérimentés :

   Le galop du Cosaque—La moulinette d’Anvers—Le toboggan de Saint-Pétersbourg—La grande roue de Pékin—Le trombone à coulisse de Senlis—La viole à quatre mains—La pirouette du Pérou—La sautée Auvergnate—La bourrée de Saint-Gildas—La gigue du Majeur—La zique du Major—La rampette du Commando—La pelote Basque—La cuvée du Joyeux Drille—La tournée du Ribaud—Le pourceau d’Epicure—La danse de Sein-Guy—Le grand huit de Mandchourie—La carmagnole de l’index—Le jeu de trou-Madame—Le va et vient de Zanzibar—Le pousse-pousse de Hanoï—Le jeu de Pile ou Fesse—Le chat perché—La queue du loup—Le bilboquet alsacien—Le pince-cochonnet—Le toton à Tonton—La main chaude—Colin-Paillard—Plante-Carottes—La cavale de Paroli—Le pousse-bandonéon—Le cornet à piston—La bielle russe—Le saute guimbarde—Le phonographe à manivelle—Le pétrin du Mitron—La quenouille du Boulanger—L’arrière-train bulgare—La cheville ouvrière—La capote impériale—Le vilebrequin du Camionneur—La cassolette de la Cuisinière—Le piston du Mécano—La cruche de la Cantinière—Les burettes du Bedeau—La calebasse sénégalaise—La gourde de Pensylvannie—La boîte à lait de la Savoyarde—Le godet de la Pucelle—Le fond du cul de la chopine—Le fusil du Boucher—La varlope du Charron …

  Ils rajoutèrent à cette longue liste quelques inventions de leur cru qui confirmèrent leur affinité et témoignèrent d’une imagination qui était à l’amour ce que les épices sont aux plats les plus fades.

  Deux heures sonnèrent à la cloche de Saint-Eustache lorsqu’ils en eurent terminé avec leurs lacets respectifs, jugeant, dans le grand miroir qui se trouvait face au lit, que leur tenue vestimentaire - quoique la crinoline fut un peu froissée et le plastron nullement empesé - , était apte à affronter la Rue du Pélican et les rues adjacentes, ne souhaitant aucunement apporter d’eau au moulin de l’adage qui prétendait que « l’amour fait perdre le repas et le repos », Ninon précédant Fénelon dans l’escalier qui descendait du septième ciel, les deux amants se retrouvèrent bientôt Rue Saint-Honoré, marchant côte à côte, nonchalamment, sans qu’aucun signe extérieur eût pu trahir, auprès des passants, le déchaînement dont, l’un et l’autre, venaient d’être l’objet, la mansarde en portant encore le témoignage, dans le relatif désordre qui l’habitait.

  Se mêlant à la foule qui, malgré l’heure tardive, cherchait une place pour déjeuner dans les nombreux bistrots entourant les Halles, Fénelon et Ninon, pensant de concert que « ventre affamé n’a point d’oreilles », firent leur entrée sous l’enseigne du  Pied de Cochon  où ils furent accueillis par les regards admiratifs des Filles de joie qui sirotaient leur café, par Symphorien Lavergnolle tout à la joie de retrouver de vieux amis - la veille était déjà un jour ancien - , Symphorien qui offrit, en guise d’apéritif, un solide vin de noix de sa fabrication, lequel fut suivi, pour le plus grand plaisir des deux convives, de la traditionnelle gratinée à l’oignon de l’épouse de l’Auverpin qui, ce jour, était en charge des fourneaux. Monsieur le Comte s’étonna que son  hôte ne s’émût point de sa rencontre avec Ninon. Sans doute avait-il déjà oublié que sa compagne était « dame de petite vertu » et se rendit aussi tôt compte de sa naïveté et de sa piètre expérience de la gent féminine. Il ne devait pas être le premier, pas plus que le dernier, à faire son entrée au Pied de Cochon, encore porteur de l’odeur de jasmin dont Ninon se parfumait avec discrétion et élégance. Le repas fut clôturé par une gniole auvergnate qui dissipa les derniers effluves de la potée au chou, en même temps qu’elle dispensait de l’usage d’un élixir dentifrice. La cloche de Saint-Eustache venait de frapper les quatre coups lorsqu’on se sépara sur des promesses de futures rencontres, dont le Comte pensa qu’elles émailleraient d’une saveur particulière ses futurs séjours à Paris : celle du Pied de Cochon, chez son nouvel ami Symphorien; celle du corsage de Ninon, parfumé au jasmin, dont le Comte garderait, toute sa vie durant, jusqu’au plus infime détail.

  Regagnant la Rue de Rivoli par la Rue des Lingères et la Rue des Bourdonnais, Monsieur le Comte, dont les narines frémirent d’aise au contact des derniers remugles du quartier des Halles, pensa :

 

« Séparation du matin

Attise le chagrin

Séparation du soir

Aiguise l’espoir ».

 

  Satisfait de l’invention de cet adage, il prit un coche et demanda au conducteur de le ramener Rue Meyerbeer en empruntant la rue de Castiglione, la Place Vendôme et la Rue de la Paix, persuadé que cet itinéraire « royal », succédant au paupérisme du quartier des Halles, serait de nature à conclure cette journée sans pareille d’élégante manière. Souhaitant sortir son mouchoir afin de s’éponger le front - les rayons de soleil pénétraient maintenant jusqu’au fond de la calèche - , il s’aperçut qu’il avait, par mégarde, emporté « La Vie Parisienne ». Il se tança lui-même pour tant d’étourderie et fit la constatation que le Petit Livre Rouge ne lui était plus d’aucun secours, Ninon, à elle seule, en valant des milliers, fussent-ils des incunables de La Mazarine.

  Arrivé Rue Meyerbeer, il descendit du coche, s’acquitta de sa course et offrit le Précieux Viatique au maître d’attelage qui n’eut pas le temps de demander à son client ce qui lui valait l’honneur de cet inattendu présent. L’eût-il interrogé, Monsieur le Comte lui eût sans doute servi une sentence mais, à l’heure qu’il était, alors que la voiture à cheval arrivait à peine du côté de Saint-Lazare, l’hôte du Grand Hôtel s’activait à mettre ses derniers effets dans la malle en cuir de Russie, dont l’odeur particulière, pensa-t-il, cacherait de son amante l’odeur de jasmin, pour mieux la révéler dans l’intimité de sa Librairie où il pourrait à loisir s’enivrer du mouchoir que Ninon lui avait donné, ce dernier rythmant avec « espoir », devait être un gage de fidélité.

 


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