Je n'ai pas besoin de me retourner pour apercevoir, dans la sépulcrale pénombre, vos formes déjà si peu humaines, inclinées vers l'animalité primitive. Mes yeux globuleux de baudroie abyssale, multipliant vos arbustives et racinaires silhouettes, dessinent sur l'espace de mes omoplates, dans le creux étique de mes reins, vos arborescences inquiètes d'elles-mêmes. Quant au yeux qui ornent ma face de deux trous pareils à des orbites vides, ils ne témoignent de l'avenir qu'à se replier sur leur doline, là où se perdent les eaux du ciel, là où la lumière replie ses rayons selon d'invisibles lignes cendrées. Je n'ai point besoin de me disposer au combat qui ne saurait tarder, celui-ci, dans la demeure de mon corps étroit a, depuis longtemps, déployé ses ramures si bien que ma peau n'est mon enveloppe extérieure qu'à la façon d'une outre qui ne maintiendrait, en son sein, que quelques vents contraires s'annulant par le seul fait de ne jamais trouver d'espace disponible à leur course rapide.
Et, maintenant, inutiles turgescences d'une sordide fable, préparez-vous à m'entendre. Je vous haranguerai, les uns après les autres, énonçant vos inestimables et véreux prédicats jusqu'à ce que vos âmes consentent à se vêtir des oripeaux de l'insuffisance dont, depuis toujours, elles ont constitué le réceptacle à nul autre pareil. Je le sais de toutes les fibres de mon corps, de toutes la mobilité des pensées qui soufflent encore en moi les vents de la connaissance, non seulement je ne vous survivrai pas mais, déjà, je sens s'ouvrir les portes étroites du mausolée au sein duquel, mort gardant le souvenir de sa vie, je poursuivrai mon entreprise de démolition de vos bien frêles icônes de plâtre. Mais avant que cette faveur me soit octroyée, j'en sollicite une autre, celle de vous dire, dans cette clarté sépulcrale, tout le mal que vous m'avez fait et tout celui, qu'en pensée, je destine à vos sublimes incongruités.
Toi, Corbeau à la livrée noire, au bec en forme de coutelas; Toi, Grue cendrée au cou de reptile qui livrais bataille contre les Pygmées; Toi, Vipère à la denture solénoglyphe qui lances sur tes proies tes mortels crochets à venin; Toi, l'Hipporigastre à tête de cheval, à l'échine en soufflet de forge; Toi le Tigre aux dents de sabre; Toi l'Orfraie au regard énigmatique enchâssé dans un cœur de plumes; Toi, Raie Manta, diable des mers aux cornes céphaliques; Toi Taupe à la vêture mortuaire, Condylure étoilé aux mains fouisseuses de terre; Toi Ikhtusiographe aux yeux soudés des fosses abyssales, à l'échine ponctuée de ventouses; Toi Dynaste hercule coprophage à la mandibule crénelée; Toi Ursinae aux oreilles courtes, aux griffes punitives; Toi, Arakhnênarile aux pattes velues hérissée de dards; Toi, Pittbull kosova à la gueule rose, aux pattes de sphinx, aux dents en écharde; Toi, immense Tarentule noire qui inocule le mortel poison et fais danser la belle tarentelle; Toi Kakatoès à la tête coiffée de lames tranchantes; Toi Kercharithorynque au bec en truelle, aux ongles arsenicaux; Toi, Petsuchos, crocodile sacré dévoreur d'hommes; Toi, Grillon-femelle au long ovipositeur ensiforme, appendice effilé par lequel viennent au monde quantité de négrillons aux élytres tueuses de tympans; Toi, Albatros Diomedeidae au bec violemment recourbé qui brises la tête des marins naufragés; Toi, Crabe-tourteau à la pince gigantesque, monstre maléfique, marcheur de guingois, indécrottable nécrophage; Toi l' heptarorynoque à la tête semblable au dragon, aux ailes spiralées, au bec impérieux; Toi le Coq au chant polysémiquement destiné à semer la zizanie et la discorde parmi la sublimité de l'entendement humain, selon quantité d'harmoniques destructeurs, kikeriki ,cock-a-doodle-do ,co coucouricou , coco, quiquiriquí ,kokeriko, kukuruyuk, mac na hóighe slán , chicchirichi , kokekoko, kukeleku , cocorococo , cocoricó ,cucuriguuuu, coucarékou , kuckeliku , ky-ky-ri-ký, ake-e-ake-ake, égosillements seulement destinés à tuer, à forer la matière gluante de la pensée, à faire des cerneaux de la conscience de simples grenades explosives, à Vous tous, Toutes les figures de la vibrante et précieuse folie maldororienne, "Rotiphères, Tardigrades, Cachalots, Pourceaux, Pécaris, Acarus sarcopte, Scorpène horrible, Serpentaire reptilivore", Moi, You.. Nevi..., tant qu'il en est encore temps, je vous adresse de l'extrémité de ma méticuleuse langue autour de laquelle s'enroulent les incertitudes pluvieuses du trépas, je vous adresse,... mon ultime prière, ma dernière... supplique... ombellifère, mon souhait le plus... alambiqué...parmi les ornières langagières qui cernent ma tête d'effroi, d'hébétude et de clinquantes passementeries. Tenez donc, au-devant de la quadrature mortelle de mes yeux enrubannés, l'image de ma Mère, afin qu'elle me soit le dernier Guide avant le baiser somptueux et écarlate de la Mort.
"Enfant perdu parmi la multitude du monde et l'indifférence des tiens, ton vœu sera pleinement exaucé, révélation par laquelle le sens que tu as cherché ta vie durant te sera offert à la manière d'un bouquet de fleurs vénéneuses. Renaissant par mon baiser vitriolé, tu seras condamné à errer, ta mort éternelle, tournoyant autour des âmes qui, avant que ne fusses né, t'immolèrent en ôtant de ton chemin toute possibilité de te relier à quoi que ce fût qui eût concouru à assurer ta sérénité. Ainsi en a décidé l'histoire de ton destin: tu périras par celle qui fut ton origine. Adieu Youri !"