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14 octobre 2012 7 14 /10 /octobre /2012 09:50

Les Chasseurs de Casquettes.

 

 

Vous saurez d'abord que là-bas tout le monde est chasseur, depuis le plus grand jusqu'au plus petit. La chasse est la passion des Tarasconnais (...)
  Donc, tous les dimanches matin, Tarascon prend les armes et sort de ses murs, le sac au dos, le fusil a l'épaule, avec un tremblement de chiens, de furets, de trompes, de cors de chasse. C'est superbe avoir... Par malheur, le gibier manque, il manque absolument. Si bêtes que soient les bêtes, vous pensez bien qu'à la longue elles ont fini par se méfier. A cinq lieues autour de Tarascon, les terriers sont vides, les nids abandonnés. Pas un merle, pas une caille, pas le moindre lapereau (...)

  Elles sont cependant bien tentantes, ces jolies collinettes tarasconnaises, toutes parfumées de myrte, de lavande, de romarin ; et ces beaux raisins muscats gonflés de sucre, qui s'échelonnent au bord du Rhône, sont diablement appétissants aussi... Oui, mais il y a Tarascon derrière, et, dans le petit monde du poil et de la plume, Tarascon est très mal noté. Les oiseaux de passage eux-mêmes l'ont marqué d'une grande croix sur leurs feuilles de route, et quand les canards sauvages, descendant vers la Camargue en longs triangles, aperçoivent de loin les clochers de la ville, celui qui est en tête se met à crier bien fort : “Voila Tarascon !... voila Tarascon !” et toute la bande fait un crochet.

  Bref, en fait de gibier, il ne reste plus dans le pays qu'un vieux coquin de lièvre, échappé comme par miracle aux septembrisades tarasconnaises et qui s'entête à vivre là ! à Tarascon, ce lièvre est très connu. On lui a donné un nom.Il s'appelle le Rapide. On sait qu'il a son gîte dans la terre de M. Bompard - ce qui, par parenthèse, a doublé et même triplé le prix de cette terre - mais on n' a pas encore pu l'atteindre.A l'heure qu'il est même, il n'y a plus que deux ou trois enragés qui s'acharnent après lui. Les autres en ont fait leur deuil (...)

  Ah ça ! me direz-vous, puisque le gibier est si rare à Tarascon, qu'est-ce que les chasseurs tarasconnais font donc tous les dimanches ? Ce qu'ils font ? Eh mon Dieu ! ils s'en vont en pleine campagne à deux ou trois lieues de la ville. Ils se réunissent par petits groupes de cinq ou six, s'allongent tranquillement a l'ombre d'un puits, d'un vieux mur, d'un olivier, tirent de leurs carniers un bon morceau de boeuf en daube, des oignons crus, un saucissot, quelques anchois, et commencent un déjeuner interminable, arrosé d'un de ces jolis vins du Rhône qui font rire et qui font chanter.

  Après quoi, quand on est bien lesté, on se lève, on siffle les chiens, on arme les fusils, et on se met en chasse. C'est-à-dire que chacun de ces messieurs prend sa casquette, la jette en l'air de toutes ses forces et la tire au vol avec du 5, du 6 ou du 2 - selon les conventions.Celui qui met le plus souvent dans sa casquette est proclamé roi de la chasse, et rentre le soir en triomphateur a Tarascon, la casquette criblée au bout du fusil, au milieu des aboiements et des fanfares.

                                                                            Alphonse Daudet - Tartarin de Tarascon.

 

 

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