7 février 2013
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Oute leur vie estoit employé non par loix, statuz ou reigles, mais scelon leur vouloir & franc arbitre. Se levoient du lict quand bon leur sembloit : beuvoient, mangeoient, travailloient, dormoient quand le desir leurs venoit. Nul ne les esveilloit, nul ne les parforceoyt ny à boyre, ny à manger, ny à faire chose aultre quelconques. Ainsi l’avoit estably Gargantua. En leur reigle n’estoit que ceste clause. FAICTZ CE QUE VOULDRAS. Par ce qie gens libères, bien enz, & bien instruictz, conversans en compagnies honestes ont par nature un instinct & aguillon : qui touisours les pousse à faictz vertueux, & retire de vice : lequel ilz nommoient honneur. Iceulx quand par ville subiection & contraincte sont deprimez & asserviz : de tournent la noble affection par laquelle à vertuz franchement tendoient, à deposer & enfraindre ce ioug de servitude. Car no’entreprenons tousiours choses defendues : & convoytons ce que nous est denié. Par ceste liberté entrèrent en louable emulation de faire tous, ce que à un seul voyèrent plaire. Si quelqu’un ou quelcune disoyt, Beuvons, tous beuvoient.Si disoit, iouons tous iouoient. Si disoit, allons à l’esbat es champs, tous y alloyent. Si c’estoit pour voller ou chasser, les dames montées suz belles hacquenées avecques leur palefroy guorriers, sus le poing mignonnement portoient chascune, ou un esparvier, ou un laneret, ou un esmerillon : les hommes portoitent les aultres oyzeaux. Tant noblement estoient aprins qu’il n’estoyt entre eulx celluy ny celle qui ne sceust lire, escripre, chanter, iouer d’instrumens harmonieux, parler de cinq à six langaiges, & en icelles composer tant en carmes que en oraison solue. Iamais ne feurent veuz chevaliers tant preux, tant gualans, tant dextres & à pied & à cheval, plus vers, mieulx remuans, mieulx manians tous bastons, que là estoient. Iamais ne feurent veues dames tant propres, tant mignonnes, moins fascheuses, plus doctes à la main, à l’aureille, à tout acte mulièbre honeste & libère, que là estoient. Par ceste raison quand le temps venu estoit que aulcun d’icelle abbaye, ou à la requeste de ses parens, ou pour aultres causes voulut issir hors, avecques osy il emmenoyt une des dames celle laquelle l’auroit prins pour son devot : & estoient ensemble mariez. Et si bien avoient vescu à Theleme en devotion & amityé : encores mieulx la continuoient ilz en mariage & autant se entraymoient ilz à la fin de leurs iours, comme le premier de leurs nopces, Ie ne veulx oublier vous descripre un enigme qui feut trouvé au fondemens de l’abbaye en une grande lame de bronze. Tel estoyt comme s’ensuyt.