Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
7 février 2013 4 07 /02 /février /2013 16:59

 

L’estude & diète de Gargantua,
scelon la discipline de ses precepteurs
Sorbonagres.   Chap. xx
Vignette 69
Es premiers iours ainsi passez, & les cloches remises en leur lieu : les citoiens de Paris par recongnoissance de ceste honnesteté se offrirent d’entretenir & nourrir sa iument tant qu’il luy plairoit. Ce que Gargantua print bien à gré. Et l’envoyèrent vivre en la forest de Bière. Ce faict voulut de tout son sens estudier à la discretion de Ponocrates : Mais icelluy pour le commencement ordonna, qu’il feroyt à sa manière acoustumée : affin d’entendre par quel moien en sy long temps ses antiques precepteurs l’avoient rendu tant fat/ niays/ & ignorant. Il dispensoyt doncques son temps en telle faczon, que ordinairement il s’esveilloit entre huyt & neuf heures, feust il iour ou non, ainsi l’avoient ordonné ses regens theologiques, alleguans ce que dict David. Vanum est ante lucem surgere. Puis se guambayoit/ penadoyt/ & paillardoit par le lict quelque temps, pour mieulx esbaudir ses esperitz animaulx, & se habiloit selon la saison,  mays voulentiers portoyt il une grande & longue robbe de grosse frize fourrée de renards : après se peignoyt du peigne de Almain, c’estoit des quatre doigtz & le poulce. Car ses precepteurs disoient, que soy aultrement peigner, laver, & nettoyer, estoit perdre temps en ce monde. Puis fiantoit, pissoyt, rendoyt sa gorge, rottoyt, esternuoit, et se morvoyt en archidiacre, & desieunoyt pour abatre la rouzée & maulvays aer : belles tripes frites, belles carbonades, beaux iambons, belles cabirotades, & force soupes de prime. Ponocrates luy remonstroit, que tant soubdain ne debvoit repaistre au partir du lict, sans avoir premierement faict quelque exercice. Gargantua respondit Quoy ? N’ay ie pas faict bel exercice ? Ie me suis vaultré six ou sept tours par my le lict, davant que me lever. Est ce pas assez ? Le pape Alexandre ainsi faisoit par le conseil de son medicin Iuif : et vesquit iusques à sa mort, en despit des envieux : mes premiers maistres me y ont accoustumé, disans que le desieuner faisoit bonne memoire, pourtant y beuvoient les premiers. Ie m’en trouve fort bien, & n’en disne que mieulx. Et me disoit maistre Tubal (qui feut premier de sa licence à Paris) que ce n’est pas tout l’adventaige de courir bien toust, mais bien de partir de bonne heure : aussi n’est ce la santé totale de notre humanité, boyre à tas, à tas, à tas comme canes : mais ouy bien de boyre matin.
Unde versus.

Lever matin, n’est poinct bon heur,
Boire matin est le meilleur.

Après avoir bien à poinct desieuné, alloit à l’ecclise, & luy portoit on dedans un grand penier un gros breviaire empantouflé, pesant tant en gresse que en fremoirs & parchemin poy plus poy moins unze quintaulx. Là oyoit vingt & six ou trente messes, & ce pendent venoit son diseur d’heures en place, empaletocqué comme une duppe, & tresbien antidoté son alaine à force syropt vignolat. Avecques icelluy marmonnoit toutes ces kyrielles : & tant curieusement les espluschoit, qu’il n’en tomboit un seul grain en terre. Au partir de l’ecclise, on luy amenoit sur une traine à beufz un faratz de patenostres de sainct Claude, aussi grosses chacune, qu’est le moulle d’un bonnet : & se pourmenant par les cloistres, galeries, ou iardin en disoit plus que seize hermites. Puis estudioyt quelque meschante demye heure, les yeulx assis dessus son livre, mais (comme dict le Comicque) son ame estoit en la cuysine. Pissant doncq plein official, se asseoyt à table. Et par ce qu’il estoit naturellement phlegmaticque, commençoit son repas, par quelques douzaines de iambons, de langues de beuf fumées, de boutargues, d’andouilles, & telz aultres avant coureurs de vin. Ce pendent quatre de ses gens, luy gettoient en la bouche l’un après l’aultre continuement de la moustarde à pleines palerées puis beuvoit un horrificque traict de vin blanc, pour luy soulaiger les roignons. Après mangoit selon la saison viandes à son appetit, & lors cessoit de manger quand le ventre luy tiroit. A boire n’avoit poinct de fin, ny de canon. Car il disoit que les metes et bournes de boyre estoient quand la personne beuvant, le liège de ses pantoufles enfloit en haut d’un demy pied. Puis tout lourdement grignotant d’un transon de graces, se lavoit les mains de vin frais, s’escuroit les dens avec un pied de porc, & devisoit ioyeusement avec ses gens. Puis le verd estendu l’on desployait force chartes, force dez, & renfort de tabliers. Là iouyoit au fleux, au cent, à la prime, à la vole, à le pille, à la triumphe : à la picardre, à l’espinay, à trente & un, à la condemnade, à la carte virade, au moucontent, au cocu, à qui a si parle, à pille : nade : iocque : fore, à mariage, au gay, à l’opinion, à qui faict l’un faict l’autre, à la sequence, aux luettes, au tarau, à qui gaigne perd, au belin, à la ronfle, au glic, aux honneurs, à l’amourre, aux eschetz, au renard, aux marrelles, aux vasches, à la blanche, à la chance, à troys dez, aux talles, à la nicnocque. A lourche, à la renette, au barignin, au trictrac, à toutes tables, aux tables rabatues, au reniguebleu, au force, aux dames : à la babou, à primus secundus, au pied du cousteau, aux clefz, au franc du carreau, à pair ou sou, à croix ou pille, aux pigres, à la bille, au savatier, au hybou, au dorelot du lièvre, à la tirelitantaine, à cochonnet va devant, aux pies, à la corne, au bœuf \iolé, à la chevêche, à je te pince sans rire, à picoter, à déferrer l’asne, à laiau tru, au boiirry, bourry zou, à je m’assis, à la barbe d’oribus, à la bousquine, à tire la broche, à la boutte fojTe, à compère, prestez moy vostre sac, à la couille de bélier, à boute hors, à figues de Marseille, à la mousque, à l’archer tru, à escorcher le renard, à la ramasse, au croc madame, à vendre l’avoine, à soufSer le charbon, aux responsailles, au juge vit et juge mort, à tirer les fers du four, au fault villain, aux cailletaux, au bossu aulican, à Sainct Trouvé, à pinse morille, au poirier, à pimpompet, au triori. au cercle, à la truye, à ventre contre ventre, aux combes, à la vergette, au palet, au iensuis, à fousquet, aux quilles, au rampeau, à la boulle plate, au pallet, à la courte boulle, à la griesche, à la recoquillette, au cassepot, au montalet, à la pyrouete, aux ionchées, au court baston, au pyrevollet, à cline musseté, au picquet, à la seguette, au chastelet, à la rengée, à la souffete, au ronflart, à la trompe, au moyne, au tenebry, à l’esbahy, à la foulle, à la navette, à fessart, au ballay, à sainct Cosme ie viens adorer, au chesne forchu, au chevau fondu, à la queue au loup, à pet en gueulle, à guillemain baille my ma lance, à la brandelle, au trezeau, à la mousche, à la migne migne beuf, au propous, à neuf mains, au chapifou, aux ponts cheuz, à colin bridé, à la grotte, au cocquantin, à collin maillard, au crapault, à la crosse, au piston, au bille boucquet, aux roynes, aux mestiers, à teste à teste bechevel, à laver la coiffe ma dame, au belusteau, à semer l’avoyne, à briffault, au molinet, à defendo, à la virevouste, à la vaculle, au laboureur, à la cheveche, aux escoublettes enraigées, à la beste morte, à monte monte l’eschelette, au pourceau mory, à cul sallé, au pigeonnet, au tiers, à la bourrée, au sault du buysson, à croyzer, à la cutte cache, à la maille bourse en cul, au nic de la bondrée, au passavant, à la figue, aux petarrades, à pillemoustard, à cambos, à la recheute, au picandeau, à crocque teste, à la grolle, à la grue, à taille coup, aux nazardes, aux allouettes, aux chinquenaudes. Après avoir bien ioué & beluté temps, il convenoit boire quelque peu, c’estoient unze peguadz pour homme. Et soubdain après bancqueter c’estoit sus un beau banc, ou en beau plein lict s’estendre & dormir deux ou troys heures sans mal penser, ny mal dire. Luy esveillé secouoyt un peu les aureilles : ce pendent estoit aporté vin frais, là beuvoyt mieulx que iamais. Ponocrates luy remonstroit, que c’estoit maulvaise diète, ainsi boyre après dormir. C’est (respondit Gargantua) la vraye vie des pères. Car de ma nature ie dors sallé : & le dormir m’a valu autant de iambons. Puis commenceoit estudier quelque peu, & patenostres en avant, pour lesquelles mieulx en forme expedier, montoit sus une vieille mulle, laquelle avoit servy neuf Roys, ainsi marmonnant de la bouche & dodelinant de la teste alloit veoir prendre quelque conil aux filletz. Au retour se transportoit en la cuysine pour sçavoir quel roust estoit en broche. Et souppoit tresbien par ma conscience : & volentiers convioit quelques beuveurs de ses voisins, avec lesquelz beuvant d’autant, comptoient des vieulx iusques es nouveaulx. Entre autres avoit pour domesticques les seigneurs du Fou, de Gourville & de Marigny. Après souper venoient en place les beaux evangiles de boys, c’est à dire force tabliers, ou le beau flux, un, deux, troys : ou à toutes restes pour abregier, ou bien alloient veoir les garses d’entour : & petitz bancquetz par my : collations & arrière collations. Puis dormoit sans desbrider iusques au lendemain huict heures.

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : ÉCRITURE & Cie
  • : Littérature - Philosophie - Art - Photographie - Nouvelles - Essais
  • Contact

Rechercher