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7 mai 2014 3 07 /05 /mai /2014 08:40
H & B OU L'EXACTE PRÉSENCE DU JOUR .

Bâtisse blanche, grande, face à la mer, à la plage de galets noirs. Lumière levante de la mer sur la courbure des pierres, sur le fronton de la bâtisse où un mot est écrit en lettres noires, un peu usées par la mer, le vent : L’AMISTAT, en lettres noires, en haut du blanc de la bâtisse, face à la mer.

Façade trouée de plaques de verre, grandes, d’une porte, large, aussi, à double battants, toujours ouverte, disponible à l’entrée des passants, à leur accueil dans les salles de L’AMISTAT, près des grandes baies par où la mer se laisse voir.

Allées et venues des passants, dehors, sur les trottoirs de ciment gris, près du comptoir de bois noir, long, à peine visible dans la lueur des plafonniers, près du mur blanc où sont des photos dans des cadres noirs. Photos d’hiver. Neige sur les arbres de la place, sur l’arrondi des fontaines, sur le fronton de la bâtisse, grande, blanche.

Passants sur les trottoirs de ciment. Leur regard traverse les baies, se pose sur les tables rondes cerclées de métal, sur les buveurs autour des tables. Les buveurs, derrière les baies, regardent longuement la mer, les galets, les passants qui les regardent.

Sur les tables cerclées de blanc, des cartons ronds, épais. SAN MIGUEL, ESTRELLA, les mots écrits, en rouge, en noir, sur les ronds de carton où sont posés des verres ovales dans le pétillement des bulles blondes.

D’autres verres, plus hauts, plus étroits, posés sur des cartons, aussi, TIO PEPE, DIAMANTE, les noms gravés sur les cartons. Salle où sont les photos de neige, plafond très haut, voûté, couleur d’argile qui vient du rassemblement des briques, des reflets de la rue, aussi, dans sa consistance de poussière, parfois; béton gris qui habille le lit ancien du Rio où poussent les lauriers-roses aux feuilles étroites comme des lames, où la lumière joue avec le rose des fleurs, le vert acéré des feuilles.

Rectangulaires, les tables où sont posés les verres étroits, sous la lumière des tuiles roses. Présence de cartes, longues, fines dans leur épaisseur, habitées de figures colorées, de figurines, noires, souvent, rouges aussi, que des mains tiennent, en éventail, dans le chevauchement des figures. Jeu de tarot supposé, livré à l’affairement des mains, au glissement des doigts sur les bords tranchants des cartes qu’on abat sur les tables dans un bruit sec qui se mêle aux rumeurs, aux mouvements des passants dans les salles, qui appellent les mouvements des passants dans la rue, cartes en éventail, serrées dans des mains, noires, noueuses souvent, usées par le soleil, le vent, le glissement des cordages, des filets aux mailles serrées. Mains noueuses dans leur habileté à poser les cartes sur la table, sans hésitation, dans la sûreté du geste qui dit le désir d’avoir, de rassembler les figurines, dans le plus grand nombre, de superposer les lames dans la netteté de leurs plis, de les poser sous les coudes, abritées dans l’instinct de leur seule possession dont les mains s’assurent, lissant le bord étroit des cartes qui s’impriment dans les rides, dans les doigts usés. Possession du regard, aussi, dans la fente des yeux, rapides à estimer, à faire l’inventaire. Les doigts sont levés, parfois, dans la demande d’un autre verre, de TIO PEPE, de DIAMANTE, qu’un serveur apporte. Fraîcheur du verre qui transpire dans l’air tendu, sous la voûte de briques et fait un éclat blanc parmi les figurines. Sons proférés dans le tumulte de la salle, réverbérés par le creux des briques, claquements de doigts dans l’abattement des cartes, croisement rapide des figurines, du Bateleur, de Chariot, de l’Empereur. Jeu mêlé des mains, des lames qui changent de mains, s’empilent dans le noir arrondi des Deniers, le rouge écarlate des Coupes, le noir effilé des Epées, le rouge large des Bâtons. Mouvement continu des mains dans l’entrecroisement des gestes habiles à se reconnaître, s’éviter, à prendre dans la plus grande sûreté, à battre les lames, à les mélanger, les distribuer. Souvent les bouches sont demandeuses de cartes, de boisson aussi. Volutes de fumée qui courent le long des baies, dans la dissimulation des rives du Rio, dans l’atténuation de ce qui est vu, dans la salle aux cadres de neige, au haut plafond d’argile cuite

Echange des passants par les portes ouvertes, à double battants.

Ceux qui entrent, Ceux qui sortent, dans leur évitement réciproque.

Ceux qui entrent, dans le désir de la boisson, de l’accueil des grandes salles.

Ceux qui sortent, dans le désir de la mer, du vent, des galets.

Glissement continu des pieds, des chaussures, sur les dalles de pierre, comme un bruit de vent qui se mêle à la rumeur des salles, au chuintement de la machine à café, aux dialogues autour des tables rondes, cerclées de blanc, entourées de fauteuils. Rectangulaires aussi, les tables disposées au tarot, cernées de chaises noires, hautes de dossiers sur lesquels reposent des vestes, noires aussi, qui appartiennent aux joueurs. Glissement qui se mêle aux paroles devant le comptoir de bois noir longé de hauts tabourets où les passants font halte.

Glissements inaperçus, parfois, dans le plus grand silence, dans l’infime du mouvement. Nouveau fauteuil occupé, à l’angle gauche de la pièce qui donne sur la mer, sur la rue du Rio aussi. Une ESTRELLA est demandée, d’un geste discret de la main gauche où brûle une cigarette, longue à se consumer, dans les plis de la fumée, lents à monter vers le plafond de chaux claire. Carton blanc sous le verre ovale où montent les bulles blondes. Soucoupe avec un carré de papier qui porte le prix de la boisson, de son désir à habiter la gorge. Le papier est déplié, regardé, posé à côté du carton où le verre se tient. Quelques pièces sur la table cerclée de blanc. ESTRELLA dans le déploiement des bulles claires qui gagnent le palais. Dilatation des papilles dans l’éclosion de la langue. Le verre est posé au milieu du cercle blanc. La mer est regardée dans l’ouverture des pupilles, dans la fente des yeux. Brûlure de la lumière sur la mer. Les galets sont regardés, dans la densité du noir. Les passants aussi, qui voilent la mer, les galets, dans l’intermittence de leur passage. A la limite du cercle blanc : Celle qui boit, qui n’est pas regardée dans le tumulte de la salle longue où sont affairées les silhouettes, dans le va et vient des passants.

Dans la salle aux cadres de neige, plusieurs tables occupées au tarot, au pliement des cartes, à leur possession au creux des mains noueuses. Les joueurs sont regardés, dans le noir qui les habille, dans les mouvements rapides des lames. Regardés, les joueurs, par Celui qui guette, qui ne joue pas, guette seulement le ballet des figures, des figurines dans les rectangles de carton. Parfois nommé également le Guetteur, ou Enzo, le plus souvent. Partie de son prénom, Enzo, seulement.

Trois lieux de guet, pour Celui qui guette : La Salle aux tarots, le plus souvent, dans la mouvance des figurines; le Comptoir de bois noir, dans le remuement des serveurs, leur ballet dans la salle longue, sur la terrasse aussi face à la mer, aux galets; le Fauteuil aussi, dans la salle aux grandes baies, derrière la table cerclée de blanc. La table, toujours la même, à l’angle de la pièce où est vue la mer, la Promenade qui la longe, le lit du Rio, la salle longue, le comptoir de bois noir, la salle aux tarots. Du fauteuil, de la table, TOUT est vu, dans l’amplitude d’un même regard.

La salle aux tarots est quittée par le Guetteur, maintenant perché sur un tabouret derrière le comptoir noir. Un café est demandé, bu, avant la demande d’un autre café. Mouvements croisés des passants dans l’intervalle des double portes, dans les travées de la salle longue, entre les tables des joueurs.

Départ de Celle qui buvait l’ ESTRELLA , inaperçue dans la multitude du mouvement, dans le flot des paroles. Déjà sortie sur le trottoir de ciment gris, sur la Promenade face à la mer, à la plage de galets.

Le tabouret a été quitté par Enzo, pour la table à l’angle de la pièce, d’où TOUT est vu, dans l’horizon d’un même regard. Au centre du cercle blanc, un briquet de métal noir, un paquet de cigarettes, jaune, noir, rouge, marqué H&B , un cendrier décoré de L’AMISTAT, de sa grande bâtisse blanche. Au milieu des cendres grises, trois filtres couleur de brique, marqués de lèvres, devinées à peine, un effleurement, la trace d’un passage.

Une cigarette est sortie du paquet H&B, saisie par les lèvres d’Enzo. Une flamme est allumée, sortie du briquet noir. Brûlure du tabac qui monte en longs filets gris vers le plafond de chaux claire. Une main est levée, la gauche, où est la cigarette, dans la demande d’une ESTRELLA , que le serveur apporte. Questionné, le serveur, sur Celui qui buvait à la place du guet, du guet d’ Enzo.

« Celle qui buvait », est la réponse du serveur. Qui est à nouveau questionné sur la connaissance de Celle qui buvait, que le serveur dit ne pas connaître, n’avoir jamais vue, ni dans la grande bâtisse de L’AMISTAT, ni dans les rues de Calentia, ni sur les places des villes proches du village où est la bâtisse blanche.

Celui qui guette, maintenant dans l’inconnu de Celle qui buvait l’ ESTRELLA , fumait les longues cigarettes H&B, les allumait de son briquet noir marqué de deux lettres qu’Enzo n’avait pas vues, DK, les deux lettres, blanches sur fond noir, dans le discret de l’inscription.

Le fauteuil à l’angle de la pièce, la table à l’angle de la pièce, possessions du guet d’Enzo, du regard qui questionne L’AMISTATdans l’intimité de ses salles, de ses échanges, des passants qui y passent, des passantes, pareillement.

Le paquet au chiffre H&B, le briquet à la gravure DK, possessions d’Enzo par l’intermédiaire de son guet, parce qu’il est CELUI qui guette les allées et venues dans la bâtisse blanche de Calentia. De la bâtisse comme vision du village aux maisons blanches, aux ruelles de galets noirs.

H&B; DK, possession, anciennement, de Cella qui buvait l’ ESTRELLA.

H&B; DK, possession d’Enzo, nouvelle.

Double possession réciproque. De Celle qui buvait. D’Enzo. Rassemblés dans l’inconnu, par le briquet, les cigarettes. Lieu commun de la possession, absent d’une connaissance mutuelle.

La salle longue est quittée, dans le franchissement des portes de verre à double battants. Sortie sur le ciment gris, face à la mer, au noir des galets. Quittée, la salle, dans la dérive des pas qui ne savent pas la direction de Celle qui buvait, de l’Inconnue. Inconnaissable, sauf par les lettres H&B; DK, aussi, dans la discrétion de la gravure blanche sur fond noir. Celui qui guette rejoint son lieu de guet, autre, extérieur à L’AMISTAT, sur la PLAZA BLANCA, sur le banc où sont assis les hommes en noir, dans les conversations qui animent leurs lèvres. Enzo, Celui qui guette, assis à l’extrémité du banc, près des arbres, pieds et troncs noueux, torturés, aux feuilles vertes en bouquet d’étoiles. Seulement à Calentia, les arbres noueux, nulle part ailleurs. Venus des déserts, de l’autre côté de la mer, ainsi est dite la provenance des arbres par les lèvres des hommes en noir. Enzo, toujours assis sur le même banc, à l’extrémité, à droite du banc, où TOUT peut être vu dans le parcours d’un même regard : la mer, l’ondulation des galets, le porche blanc où se découpe, en noir, la rue pavée de schiste, les cafés, les terrasses au bord de la plage, les barques de pêche, la bâtisse de L’AMISTAT, la Promenade où sont les passants, le Rio de béton gris, les lauriers-roses, LA PLAZA aux palmiers, les boutiques, la rue à arcades qui sort de Calentia, la seule par où arrivent et partent tous les passants. Pas d’autre issue dans la pénétration, dans l’éloignement de Calentia, que la rue à arcades. Nul passant ne peut entrer ou sortir qui ne soit vu de Celui qui guette, sur le banc aux hommes en noir. De LA PLAZA BLANCA, dans le regard qui scrute, parmi les palabres des occupants des bancs, toute chose s’absente, dans la recherche de l’Inconnue, de son chiffre DK, des lettres H&B.

Absence d’Enzo, non aperçue par les hommes occupés à la parole, par les passants qui déambulent, par les serveurs de L’AMISTAT affairés au service des boissons. Maintenant, Enzo a quitté le banc de guet, a quitté la salle longue, a longé la Promenade du bord de mer, s’approche de la maison blanche à l’angle de LA PLAZA aux palmiers, de la rue aux ARCADES. A gauche de la maison, un bidon jaune avec l’inscription CORREOS. A droite, des cartes, de Calentia, de L’AMISTAT, de LA PLAZA BLANCA, des barques de pêche.

Franchissement de la porte dans la fraîcheur de la pièce au grand ventilateur qui brasse l’air de ses vastes pales blanches. Des journaux sont achetés, des livres aussi. Sur un présentoir, EL PAÏS , le journal pris par Enzo, qui l’ouvre, parcourt les colonnes des nouveaux arrivants à Calentia. Cherche dans la liste, un nom, un prénom qui comporterait DK à l’initiale. Allées et venues des passants. Livres achetés, cartes, journaux, cigarettes aussi.

Occupé à la lecture des listes, Enzo n’entend pas la demande d’un paquet de H&B, le tintement des pièces qui paient, la sortie de Celle qui a demandé le paquet de H&B.

Pièces posées par Enzo sur le tapis à picots, pour la lecture d’ EL PAÏS. Sortie de la maison aux journaux, dans l’éblouissement de la lumière qui fait cligner les yeux, qui les réduit à de simples fentes. Des passants sont vus dans l’étroitesse du regard, une voiture blanche aussi, au long capot, à la capote de toile noire rabattue sur le coffre. Saisie rapide par les yeux, des fauteuils rouges, supposés de cuir, des jantes à rayons, des pneus flancs blancs. Voiture nouvelle, non vue à Calentia. Certitude du jamais vu, de la longue voiture blanche. Regard embrumé dans le clignotement de la lumière, installé dans la perception floue, dans le doute de la plaque verte, ovale, au dessous du long pare-chocs chromé. Du doute de la perception des lettres DK dans l’ovale de la plaque. Absence de voiture, maintenant, sur la Promenade au bord de la mer, dans les yeux qui apprivoisent la lumière, qui voient les bancs de LA PLAZA BLANCA toujours habillés de noir par des palabres anciennes qui font un murmure au milieu des passants occupés à gravir les marches qui conduisent au porche blanc sous lequel Celui qui guette passe maintenant, dans le plaisir de l’ombre, de la fraîcheur des ruelles en pente vers le haut du village,vers le cube de l’église perchée sur la colline où demeurent les empilements des maisons blanches. Enzo suit les pavés, irréguliers, bosselés, sentis au travers des semelles de cuir. Les pavés tournent à droite, dans la rue tortueuse, à l’angle de laquelle se voit une façade peinte en vert. A droite, une porte, ouverte. A gauche, une fenêtre, fermée sur un vitrage dépoli; des objets sont devinés derrière le flou de la vitre. Au dessus de la porte, une enseigne peinte en jaune, dans le tremblement d’une main non sûre à la peinture, FORN DE PA , en grosses lettres vues de loin, lettres invitant à l’entrée. Des passants entrent, des passants sortent de la porte sous l’enseigne. Des pains sont portés, ronds, teintés de jaune, parsemés de grains de sésame. Odeur du pain dans la ruelle aux galets noirs.

Près de la porte, Enzo s’efface dans le passage d’une passante sortant du FORN DE PA , un pain jaune à la main droite, une cigarette longue à la main gauche. La cigarette est jetée sur la plaque de schiste le long du caniveau. Des pièces sont posées par Enzo. Pain jaune, rond, de la couleur du levain, semé de grains de sésame. La porte est franchie dans l’effacement de passants qui entrent.

Dans la ruelle, le regard de Celui qui guette est saisi par le filet de fumée bleue qui monte de la cigarette, encore dans le grésillement, logée au creux du schiste gris. Regard saisi, par le filtre couleur de brique, par l’empreinte des lèvres, légère, à peine une effleurement; par la bague dorée au dessus du filtre, dans son inscription des deux lettres H&B.

Paquet de cigarettes de L’AMISTAT, sorti de la poche. Enzo prend la cigarette du caniveau, déjà dans la chute de la cendre, dans l’intention d’une comparaison, qui dit la similitude des cigarettes, des filtres, des lettres H & B. Similitude, aussi, dans le souvenir du Guetteur, des traces des lèvres sur les cigarettes de L’AMISTAT, sur celle de la ruelle. Allées et venues des passants qui gagnent le haut du village, qui vont au FORN DE PA , qui déambulent

dans le dédale des ruelles. Le porche blanc est franchi par Enzo. Les bancs sont désertés par la palabre des hommes en noir. Des passants y sont assis qui regardent la mer, la rue de galets en pente, LA PLAZA BLANCA aux maisons régulières, aux balcons bleus de fer forgé. Des enfants, dans le renfoncement de la Place, occupés à regarder les tartelettes aux amandes, aux pignons aussi. Des passants sortent de LA MALLORQUINA, des paquets à la main, que les enfants regardent dans le désir des amandes, des pignons aussi, portant une boisson blanche bue au bout de longs chalumeaux.

Descente des escaliers gris par Enzo qui rejoint la Promenade de la mer, dans la vue ouverte, attentive. Ses yeux cherchent l’inscription H&B sur les cigarettes brûlées, cherchent aussi la trace blanche de la voiture au long capot. Chemin de bitume noir, de poussière grise aussi qui contourne ES BALUERT , tour ronde à l’angle de la crique. Liseré de béton gris en surplomb de l’eau, de la plage où sont des passants dans la contemplation des galets. Croisement de voitures sur l’étroite bande de bitume. Absence de la voiture aux pneus blancs. Place en renfoncement dans le creux des ruelles qui descendent de l’église. Place avec des arbres noueux, dans la similitude de LA PLAZA BLANCA où les palabres se sont tues. A l’angle du renfoncement, un palmier aux branches fines, un avant toit de tôle peint en bleu, dans le dégradé, dans l’usure. A droite, des boîtes blanches avec des fruits. A gauche, des cartons avec des inscriptions. Sous l’auvent de tôle : porte étroite au rideau de perles bleues. Au dessus : CASA CALLIS . Celui qui guette entre dans la pièce, étroite, encombrée de boîtes, de bouteilles, d’un comptoir de bois portant une balance de métal, ancienne. Du jambon est demandé, du Sérano, en tranches fines, transparentes, dans la finesse de la coupe. Quelques fruits secs, figues, dattes. Une bouteille d’eau. Bulles visibles derrière l’écran de plastique vert. Il a été parlé, peu, sauf à dire le nom des choses mises dans une poche en papier marron, pourvue de lignes dans son épaisseur.

Sortie prochaine d’Enzo qui regarde au dehors, à travers le rideau de perles bleues, traversé par la progression blanche de la voiture au long capot; devinée, seulement, l’avancée, entre les mailles des perles, comme derrière un écran de gouttes. Fuite de la trace blanche sur la corniche de béton gris. Traces d’Enzo, aussi, de ses sandales de cuir dans la poussière du bord de mer. Passage sous les arcades du RIBA PITXOT, dans la fraîcheur, dans la lumière, à nouveau, sur le bitume aux reflets sombres qui vire à droite, entre les plaques de schiste, puis une faille dans les cubes des maisons blanches où se devinent, tout au fond, les arcades du café LA HABANA , mosaïques bleues, blanches aussi, en damier, sous l’éclat rouge des géraniums. Café des palabres, longues aussi, autour des tables où sont les verres hauts, givrés de cocktails. Palabres modernes, ici, sur le cinéma, art et essai; sur le théâtre, d’avant-garde; sur le roman, post-moderne. Grille blanche, rouillée dans la distinction, qui clôt la porte aux paroles, différées pour cause de lumière, admises à la tombée du jour, seulement, dans l’intime des arcades, des bougies aussi, sur les tables de bois clair où coulent les gouttes de suif.

Plus loin, à gauche, séparant de la mer, long défilé de façades blanches, bleutées dans l’ombre. A droite, banc de schiste gris avec des dalles jointées de blanc, dans l’attente des passants à la recherche du silence, parfois, de l’ombre surtout. Dans le couloir étroit, à la limite de l’ombre et du soleil, le Guetteur cherche les traces de roues, les empreintes du caoutchouc des pneus flancs blancs dans la poussière.

Instinctivement, à droite, dans le chemin creusé d’eau qui conduit à la dalle de ciment où sont les voitures des passants. Eclats de soleil sur les vitres, sur les carrosseries de métal. Main d’Enzo en visière au dessus des arcades, dans la recherche du repos des yeux. Dans sa quête à percevoir la voiture blanche au long capot, aux jantes à rayons, qui est perçue, soudain, entre deux voitures sombres, étrangères à Calentia. Lunettes sur les yeux d’Enzo ébloui par la lumière. Sous le pare-chocs de chrome, l’inscription DK . Sur le siège de cuir rouge, à droite, un paquet de cigarettes H&B, protégé dans sa pellicule de cristal , qu’Enzo défait, tirant un mince fil jaune, faisant basculer l’étui de carton, saisissant de ses lèvres une H&B, allumée à la flamme du briquet noir marqué DK, reposé sur le siège, ainsi que le paquet. Deux filets de fumée rejetés par les narines, dans la plénitude du souffle, dans l’expiration longue qui se souvient de la cigarette H&B dans la salle longue de L’AMISTAT, derrière la table cerclée de blanc.

Précédé de fumée grise et blanche, retour d’Enzo sur le chemin de schiste aux ornières profondes. Présence de la voiture blanche sur la dalle de ciment qui veut dire la proximité de l’Inconnue; supposée sur la plage de galets, peut être, près des rochers troués par la mer que le Guetteur scrute du haut du chemin qui surplombe l’eau claire. Passants sur la plage de galets, sur les rochers aussi. Nombreux, allongés sur le rivage, dans l’eau aussi, dans la fraîcheur de la mer, sur la brûlure des pierres noires, assis sur la bordure de ciment, entre les galets et le chemin.

Enzo descend sur les galets noirs, longe la plage vers la gauche. Un escalier est monté, de quelques marches seulement, qui serviront d’assise à la vue de la plage, des roches trouées, du chemin de la mer. Juste derrière Enzo, une plate forme de béton. La poche de papier y est posée, les fruits, le pain, la bouteille aussi, le canif qui coupera le pain rond avec des grains de sésame sur le dessus. Dans la poche droite du pantalon, des jumelles noires, de taille réduite, comme au théâtre dans les loges. Regard d’Enzo, précis, net. Pureté du regard qui cherche l’Inconnue, qui veut l’isoler de la foule des passants, compacte, dense, sur la masse noire des galets. Regard qui veut dessiner le contour des lèvres, surtout, refermées sur le filtre couleur de brique, lèvres qui impriment leur marque, juste dans l’effleurement. Cela, Enzo veut le voir, dans les deux cercles de verre qui prolongent ses yeux jusqu’aux rochers troués, jusqu’au pont aux arcades en ogive où les passants passent dans la connaissance de l’île plantée de pins parasols, de cactus aussi; l’île où les passants mangent en regardant la mer, les criques, les maisons blanches de Calentia, le cube de l’église en haut du village, la silhouette blanche de L’AMISTAT; plus loin, la maison aux faïences bleues, la crique de galets gris avant la montée de la Promenade, les hôtels. Enzo sait tout cela, sait surtout sa pensée de la voiture blanche, son emplacement sur la plaque de béton qui dit la présence de l’Inconnue, plus près, au bord des roches trouées, sur la plage de galets, peut être près des maisons bleues, sur les pavés de pierre noire.

Le guet est poursuivi, d’un mouvement lent des jumelles qui part des roches trouées. Dans le cercle de gauche, de droite, les barques des pêcheurs, vertes et blanches, bleues et blanches, inclinées sur les galets. Leurs noms : MAR I SOL; AUX MONTJOI, aux lettres peintes à la main, comme celle d’un enfant, dans le tremblement, l’hésitation; ALBAÏNA à l’hélice de bronze, verte, penchée vers la plage, offrant la vue de son moteur du nom de CAMPEONE, ancien, lent à mouvoir la barque sur les eaux de Calentia, à y tracer des ondes, rondes, régulières.

Plus près encore, des galets surtout, des passants occupés au bain, au repas sous le soleil de midi, surveillant le jeu des enfants.

Derrière Enzo, les marches, la plate-forme de béton, les maisons bleues, fleuries dans leurs terrasses surplombant la mer.

Celui qui guette pose les jumelles, saisit le sac de papier marron aux stries dans l’épaisseur, le pain rond aux grains de sésame, le canif au manche de bois, à la lame rouillée, tachée d’eau de mer. Pain coupé dans l’épaisseur d’une tranche jaune qu’il mange lentement, dans le goût connu du levain, dans le goût venu du FORN DE PA que connaissent les habitants de Calentia. Jumelles, parfois, dans l’observation des mouvements, près des rochers, en avant des barques, sur la plage de galets.

Aucune passante vue qui ressemblerait à l’Inconnue, à l’image de l’Inconnue qu’Enzo porte en lui, avec le dessin des lèvres sur le filtre de brique.

Des figues sont mâchées, dans l’écrasement des grains. Mastication lente de la chair, écoulement du sucre dans la gorge. Dattes aussi dans le goût approché du miel. Longues goulées d’eau à la bouteille de plastique verte gorgée de bulles. Ricochets dans l’eau, faits par les enfants, dans le rire des passants. Sacs de toile repliés qui disent la fin du repas. Nombreux égarés près des rochers, des barques, sur la plage aussi. Enzo replie le sac de papier, essuie la lame entre ses doigts, essuie ses doigts sur les marches de ciment, lave ses mains dans l’eau claire entre les galets.

Marche sur la plage, sur le chemin au dessus des rochers troués. Assis maintenant sur un rocher noir en pente vers la mer. Rocher élu dans l’habitude du guet, d’où l’on voit les plages, les criques, les cubes blancs des maisons sur la colline, la ligne de la Promenade qui longe la mer, jusqu’aux hôtels, jusqu’à la route, sa descente vers PORT-SALINA.

Quelques amandes mangées dans la distraction. Egarement du regard dans le cercle des jumelles où l’Inconnue ne s’est pas livrée. Pétillement d’eau fraîche qui envahit le palais.

Derrière, sur la gauche, bruits de moteurs qui descendent de la colline plantée de chênes-lièges où sont les dernières maisons de Calentia. Devant, à gauche, aussi, sortie de voitures de la plate-forme de béton, en direction du village. Voitures noires, rarement rouges, couleur de métal souvent. Bruits souples des moteurs réverbérés par les falaises de schiste.

Vue d’Enzo, dans la plus grande distance de la scène, de lui-même aussi qui perçoit seulement, sans réellement voir, le glissement blanc de la voiture à la capote noire, aux chromes brillants, à l’inscription DK sous le renflement du chrome. Déplacement caché par la ligne continue des maisons en bord de mer. Les jumelles sont ignorées pour ne pas perdre de vue le glissement blanc de la voiture, dans les creux, entre les maisons. Progression lente sur la Promenade du bord de mer. Déplacement aperçu parfois près du RIBA PITXOT, à l’angle arrondi d’ES BALUERT, sous les ombrages de la PLAZA BLANCA. Perdue de vue, souvent, dans le tumulte des voitures, les allées et venues des passants, aux angles des maisons. Revue dans le glissement devant L’AMISTAT, cachée derrière les terrasses du bord de mer, tournant devant la maison aux faïences bleues, haute dans sa domination des cubes blancs, longeant les hôtels, montant la rue en pente vers les derniers hôtels. Perdue de vue dans la descente sur PORT-SALINA, derrière l’épaulement des falaises noires.

Dans le bidon bleu qui sert de poubelle, Enzo jette la poche de papier, les jumelles aussi qui n’ont servi à rien dans la recherche de l’Inconnue.

Quarante cinq minutes, sera le temps d’Enzo à rejoindre la crique de PORT-SALINA, en pressant le pas, en martelant le sol, régulièrement, sans répit, de ses semelles de cuir. S’arrêtera à L’AMISTAT, le temps de prendre une bouteille d’eau fraîche, verte, avec des bulles, regardant à peine les serveurs, la salle longue, les hommes en noir occupés au tarot, laissant sur sa gauche la faille de béton gris plantée de lauriers-roses, à gauche encore, la maison aux cartes postales, laissant EL PAÏS sur le présentoir, dans la non lecture, ignorant la maison de faïence bleue, dans la progression rapide des pas, l’avalement régulier de l’eau, le pétillement des bulles, sans attention pour les passants attablés aux terrasses des bars, aux façades des derniers hôtels, dans le gravissement de la Promenade, dans sa dernière pente avant la descente sur PORT-SALINA, passant devant la Chapelle blanche où le mur face à la mer est occupé de niches où reposent les os des morts qui sont dans l’ignorance de Calentia, autrefois connue par eux dans le mouvement des passants, dans les rues de galets; surplombant, après la Chapelle, les rares maisons au dessus du port qui se découvre à la vue, soudainement. Décroissance de la falaise dans l’allongement des barques, bleues, blanches, vertes, posées sur le gris des galets, dans la dispersion des planches, des débris des barques anciennes.

A gauche, au creux de la crique, avant la remontée vers les falaises noires, une chape de ciment avec des trous par endroits, au milieu desquels sont garées des voitures, noires, rouges, couleur de métal surtout. Dans la lumière blanche qui éclate sur les angles des carrosseries, sur les vitres, sur le chrome des pare-chocs, sur l’inscription DK située au dessous, sur le cuir des fauteuils rouges , sur la capote de toile noire repliée sur le coffre, cachée parfois par le passage des passants venus du haut de la falaise, attirés par PORT-SALINA, par LA CASA DAN KOVAK, à droite de la crique, face aux îles noires. Maison blanche plantée dans la colline d’oliviers aux terrasses de schiste. Des photos sont prises par des passants pour être montrées à d’autres passants absents de Calentia, dans l’éloignement de la vue.

Enzo, assis sur un bloc de rocher, face à la crique, aux îles noires, dans la supposition de la présence de l’Inconnue dans l’aire de PORT-SALINA, sur la falaise haute, sur le chemin de la crique, près des barques bleues et vertes.

Supposition de la présence, ailleurs, dans les jardins de DAN KOVAK, dans la contemplation des sculptures ou dans la CASA, près des toiles accrochées sur les murs blancs aux hautes cimaises.

Avancée d’Enzo sur le chemin de ciment, entre la CASA DAN KOVAK, à gauche, les maisons des pêcheurs, à droite, dans la fraîcheur des eucalyptus où se déplacent les ombres bleues des passants, en file pour les tickets qui donnent accès à la grande maison blanche. Enzo, dans la file, occupe sa position de guetteur, du haut de sa grande taille, au dessus des têtes immobiles, dans le recueillement déjà de l’entrée dans LA CASA, dans l’attente de l’œuvre, unique, de DAN KOVAK.

Des passants, entrent, sortent de la porte étroite en fer forgé, dont un battant est ouvert pour l’accueil des passants, pour la sortie aussi, dont l’Inconnue est absente.

Chaleur, dans la cabane étroite, anciennement de pêcheur, où sont vendus les billets, les cartes postales, les livres. Enzo, dans la contemplation d’un titre : DAN KOVAK ou LE REALISME ONIRIQUE. L’achètera en sortant, après les œuvres, leur vision, surtout les nouvelles, de l’exposition temporaire, venues du lointain de Calentia, des collections privées du mécénat anonyme. Grande beauté des œuvres auxquelles Enzo pense, dans l’impossibilité d’en avoir une représentation mentale, même dans l’ébauche, dans le simple contour. Œuvre insaisissable, dans la frange, dans la limite, le passage seulement, du réel à l’imaginaire. Œuvres pourtant connues d’Enzo, dans la multitude des visites, les catalogues feuilletés, les livres lus.

Billet d’Enzo, dans la poche droite. File des passants qui traversent la ruelle de ciment, pénètrent par la porte étroite dans le jardin de LA CASA DAN KOVAK. Entrée, ensuite, de Celui qui guette dans la maison où les œuvres se livrent dans la lumière blanche, zénithale. Des meurtrières aussi, dans le mur extérieur. Dans la grandeur des salles, les passants déambulent, sans parole, face aux grandes toiles qui habitent les murs. D’abord les collections permanentes où les passants se regroupent, dans la vue des toiles, souvent occultée, comme l’Inconnue, qui n’apparaît pas dans le silence blanc de la CASA, dans ses recoins d’ombre non plus; absente de plusieurs salles où Enzo est passé, vite, dans la hâte de l’Inconnue, de sa découverte.

Plusieurs salles, rectangulaires, circulaires, ovales sont dépassées. Arrivée du Guetteur dans les salles de l’exposition temporaire, des collections privées. Rareté des passants dans les grandes pièces où sont les œuvres, peintes, sculptées, dans le dépouillement de la lumière blanche venue du plafond, de la fente à l’angle des murs. Plusieurs toiles sont vues par Enzo, dans la distraction, dans le décalage du regard, comme en arrière de lui, à la recherche d’une trace, d’un indice, pour habiter à nouveau le corps, l’habiller de certitude.

Entrée dans la rotonde, blanche dans la lumière circulaire. Dernière salle avant la sortie, avant le jardin DAN KOVAK. Absence des passants, dans la solitude d’Enzo. Regard distrait des toiles.

A droite de la rotonde, juste avant la fin du temporaire, une toile est vue, de format moyen, dans l’éclairage subtil de tubes de lumière blanche, irréelle.

D’Enzo, la vue est brouillée, comme par une brume, par l’envahissement de larmes dans les yeux incrédules à l’observation de la toile, à la vision de la voiture blanche au long capot, à la calandre chromée, étincelante, aux sièges de cuir rouge, à la capote noire rabattue sur le coffre, aux jantes à rayons, aux pneus flancs blancs, à l’inscription DK sous le brillant des pare-chocs. A gauche de la voiture, légèrement décalée, comme en arrière-plan, sans toutefois que la forme soit entièrement visible, dans uns sorte de sfumato vénitien, la présence d’une silhouette, longue, mince, dont un corps est supposé habiter les contours, dans la tenue, à droite, d’une cigarette, longue, visible, elle, dans le réel de la fumée, dans le filtre surtout, couleur de brique, dans la bague dorée ornée des deux lettres H & B., dans la tenue, à gauche, d’un briquet noir, gravé de DK, comme les initiales, à peine visibles, au bas de la toile.

Celui qui guette sort dans le jardin, traverse le portail de fer forgé, dans sa présence à lui-même, encore au sein de la rotonde, descend la ruelle de ciment, longe les barques allongées sur les plages de galets, dans les couleurs de PORT SALINA.

Une main d’Enzo dans la poche de droite où une clé est trouvée que le Guetteur ne connaît pas. Foule maintenant la chape de ciment, les trous au milieu des voitures noires, rouges, couleur de métal surtout. La voiture blanche au capot long, aux éclats de chrome, à l’insigne DK, dans laquelle il monte, ronflement doux du moteur, éloignement de PORT SALINA, progression vers Calentia, par la Promenade du bord de mer. Posé sur le siège de droite, un étui rouge, noir, jaune dont Enzo se saisit. Possession, également, du briquet noir gravé des lettres DK; H&B portée à la bouche, allumée à la flamme du briquet noir. Longues volutes dans l’air encore clair de Calentia.

Dans la salle longue de L’AMISTAT, près du comptoir de bois noir, dans la salle des joueurs de tarots, dans le glissement des cartes, des longues lames au creux des mains noueuses qui disent l’avenir, du Chariot, de l’Amoureux, de l’Inconnue, dans le signe de DK, de H&B aussi, d’Enzo le Guetteur dans les lieux de son guet, d’Enzo regardé regardant, dans les miroirs de L’AMISTAT, son image multiple occupée à sa disparition dans le déclin de la lumière, les derniers feux des plafonniers, l’atténuation du cercle des tables, la fuite des bulles dans les verres qui suent, la vacuité des trottoirs de ciment, les baies ouvertes sur la mer où repose le ciel.

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