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3 février 2024 6 03 /02 /février /2024 09:21
La mondo estas freneza

Peinture : Barbara Kroll

 

***

 

   « La mondo estas freneza » propose le titre sur le mode du Langage Universel qu’est l’Espéranto. L’Espéranto, cette langue véhiculaire supposée combler l’abîme langagier entre les Peuples, cette Langue de l’Espérance, rêvée, sinon utopique, qu’en reste-t-il aujourd’hui à part de vagues traces qui s’évanouissent dans les fumées et vapeurs babéliennes ? Ici, nous n’en retiendrons guère que l’allure générale, l’étrangeté et, surtout, cette « freneza » sous laquelle chacun reconnaître notre vocable français « frénétique », nous focalisant essentiellement sur ses différentes valeurs étymologiques :

 

« atteint de délire furieux » ;

« animé d'une passion excessive » ;

« violent, hardi »,

 

   la « violence » des définitions nimbant « la mondo » d’une auréole pour le moins fort peu glorieuse, pour le plus d’une manière de flèche de curare visant en plein cœur Ceux, Celles qui en éprouvent la dureté de fer et l’inflexible volonté de détruire tout ce qui vient à l’encontre.

  

   Alors, à défaut de pouvoir toujours demeurer dans les ténèbres profondes de la cécité, il nous est existentiellement demandé de porter notre regard sur « la mondo » et de chercher à y déceler parmi ses touffeurs de mangrove, son désordre de savane, sa nudité de steppes courues de vent, quelque indice qui nous incline en direction de cette « freneza », laquelle, pléthorique, ne se soustraira nullement au scalpel de notre lucidité. C’est, encore une fois et toujours, sur le mode métaphorique que cette jungle luxuriante sera abordée, Explorateurs, Exploratrices d’une réalité si emmêlée, si labyrinthique, si hiéroglyphique que le travail de nos neurones n’en sera guère facilité, que la tâche du concept s’en trouvera confuse, que les motifs de notre perception se dissoudront à la manière des superpositions colorées des kaléidoscopes.

  

   « La mondo » ne se laisse saisir que sur fond rouge, rouge de braise, rouge d’hémoglobine, rouge ardent de la passion. Nul repos dans cette déflagration écarlate, nul blanc, nul intervalle qui viendraient (comme dans les touches cézaniennes de la Sainte-Victoire) apporter quelque respiration, disposer une halte, ménager un espace de méditation. L’Incarnat jouxte la chair plus soutenue du Nacarat ; le Nacarat, dans les fonds, connaît le sombre, l’oppression de l’Amarante ; l’Amarante ne s’espacie que dans un Corail natif à peine sorti des limbes et prêt, semble-t-il à y retourner. Mais quel est donc le motif de ce retour, le paysage Humain est-il si terrible à affronter, son lexique si complexe que nul n’en percevrait le confus discours ? Cependant « la mondo » tourne et sa giration est une ivresse, un tourbillon de feu et de sang, une permanente explosion, un craquement de ses jointures, un déchirement de ses plus belles passementeries. Cependant « la mondo », dans sa rubescente effectuation, moissonne des millions de têtes, creuse dans le derme affligé de la terre ses mille sillons où pourrissent les chairs de Ceux qui se sont risqués à vivre, de Celles qui, voulant honorer la Nature, ont mis au monde de fragiles et innocentes vies, certaines condamnées avant même d’avoir pu exister. Partout sont les rivières d’humeurs pourpres, les lacs de lymphe, les cathédrales ossuaires, les nœuds livides de ligaments, les tissus entrecroisés d’aponévroses qui battent dans le vide, tels d’inutiles drapeaux de prière.  

 

    Et ce qui, ici, devant nos yeux enduits de cataracte, se donne pour une chevelure, avec ses boucles, ses plis, ses dépressions, ses anfractuosités, ne serait-ce l’image de ces grottes primitives, antédiluviennes dont les Hommes et les Femmes d’aujourd’hui ne seraient encore sortis, leurs ombilics soudés à la germination primitive de « la mondo », leurs oreilles emplies de la rumeur des rhombes, os, métal, cordelette, qui vrombissent dans l’air tendu, torturé, rouet de Magicien chargé de la séduire, « la mondo », puis de la violenter, de la posséder dans la suprême exultation des corps ? Un corps dominant l’autre et le plaçant sous la férule d’une implacable servitude. Partout des remous de glaise jaune Soufre, des sentiers au bord des ravins, d’étranges Silhouettes décharnées, font mouliner au-dessus de la broussaille de leurs têtes les lames étincelantes des shurikens, nul ne doit échapper à leur soif de vengeance héréditaire, à leur appétit de violence atavique, à leur volonté de puissance congénitale. Ces Caricatures humaines n’ont de présence qu’à tuer l’Autre, d’autre justification qu’à détruire (« Détruire, dit-elle »), qu’à réduire à néant les prodiges que d’habiles civilisations ont mis des siècles à construire.

   

   Partout on abat des « Murs de Jéricho », partout on lacère des toiles de Maître, partout on descelle les pierres monumentales du Peuple Inca, partout on scalpe les tribus des Navajos et des Comanches, partout on incendie la forêt, on abat les colonnes millénaires des Menaras, ces arbres géants de plus de cent mètres de haut. Partout on creuse de larges entailles dans la terre pour y capturer ces précieuses gemmes qui brillent, fascinent et tuent, aussi bien Ceux qui les cherchent que Ceux qui les possèdent. Partout, comme dans la chevelure bigarrée, chamarrée du Modèle de l’image, sont les convulsions de l’hubris, les soubresauts de l’envie, les ébranlements de l’orgueil, lesquels se donnent comme le Mal incarné.

 

Å se demander si le Bien existe de soi,

d’une manière naturelle.

 Si, bien au contraire,

chaque parcelle de Bien

n’est la résultante d’une usure,

d’une abolition, d’une érosion

d’un Mal incurable dont « la mondo »

serait atteint de toute éternité,

traînant derrière lui,

tel un boulet de Sisyphe,

l’exténuante et irrémissible charge.

 

  Oui, métaphoriquement, ces hautes vagues spasmodiques, ces flux mouvementés, ces lames affectées de multiples distorsions sont la syntaxe distendue de « la mondo », en laquelle s’illustrent les afflictions existentielles, les tourments humains, le poids des calamités dont Chacun, Chacune ressent les violets effets à défaut d’en pouvoir maîtriser les terribles et mortifères mouvementations. Au plus profond des forêts pluviales, on creuse de noires galeries dans l’espoir d’y découvrir ce métal jaune qui rend fou, ces pépites qui sont comme les concrétions de la démence la plus paroxystique. Au plus haut des montagnes, sur la lisière revendiquée de telle ou de telle frontière par des pays antagonistes, on entend le claquement des balles suivis de cris, suivis de rivières d’hémoglobine, suivis d’une tristesse, d’une souffrance sans fin. Dans les ténébreux coupe-gorges des cités tentaculaires, des corps sont saisis sans ménagement, placés dans de mortelles encoignures, écartelés par des sexes furieux de n’être point aimés et l’holocauste a lieu loin des regards, et des existences partent en lambeaux, ventres mutilés en des gestes abortifs qui ne connaissent même plus le lieu et la raison de leur violence.

 

Violence à l’état pur,

violence pour la violence.

  

   Sous la terre, tels des rats que l’on chasserait, on gaze des peuples entiers, cohortes de cloportes ; on écrase tout ce qui vit, on mutile tout ce qui, encore entier, se donne comme menace, les bras sont armés de vengeance, les yeux sont des braises ignées, les mains des crochets venimeux tels les queues courbes des scorpions. Oui, c’est un peu ceci que suscite en nous la vision de ces boucles jaune Mimosa auxquelles se mêlent d’autres boucles brunes de Cannelle, comme une clarté, une pureté que viendraient souiller de sombres désirs de crime, une Humanité ne se levant qu’à s’euthanasier, à détruire la partie opposée, ce qui n’est nullement soi.

 

Principe de Mort excédant

le Principe de Vie.

 

   Partout des charniers, des lambeaux de chair, des fosses communes où, telles les flèches de la désolation, de l’ultime souffrance, du supplice gratuit, les intelligences sont réduites à zéro, les consciences élimées, les sentiments vendangés par des hordes sauvages.

   Cependant, à la surface de la Terre, sur de lisses rubans de bitume roulent de longues limousines chargées de la mégalomanie humaine, de la paranoïa la plus indécente. Ici, les volutes, les tourbillons, les vortex sont ceux de luxueux « Havane » répandant leur fragrance musquée sur des sièges de cuir rare, tout contre les vitres fumées derrière lesquelles s’abrite l’incroyable morgue existentielle. Une haute invisibilité synonyme de pouvoir, de puissance, de volonté, d’actes perpétrés au motif d’une polémique sanglante trouvant son explication dans le simple fait que « l’homme est un loup pour l’homme ». L’irrationnel, partout, en tous lieux, en tous temps, agitant, tel un furieux sémaphore, la vindicte de ses bras aveugles.

    

   Jusqu’ici, seule l’image de la chevelure nous a occupés. Mais, focalisant notre vision, combien cette représentation de la main, blême, livide (on dirait celle d’un cadavre), nous interroge et nous inquiète jusqu’en notre tréfonds, à l’endroit où grouillent encore des figures monstrueuses inexpliquées venant sans doute de notre haute généalogie, lorsque nos ancêtres n’étaient que de vagues moignons, de simples excroissances d’humus en attente de devenir des Sapiens, ils n’étaient alors que des genres de bêtes gorgées de frénésie, envahies du suc acide de la  véhémence, ils n’étaient que de vagues matières serties en des plis de frénésie, seulement occupées de profanations, commis à de violentes destructions.

  

   Geste de la main perçu, par nous, Hommes et Femmes à demi-civilisés, selon une agressive automutilation dont la valeur symbolique, à n’en pas douter, pose l’hypothèse que l’Homme n’a de cesse de se détruire, de semer les spores de la Mort partout où fleurit l’espoir d’une Vie. La joue de la Figure est lacérée, qu’indique une large trace de sang.

 

Main mortelle, la blanche, greffée

sur une main assassine, la rouge.

 

   Le visage en est biffé, son épiphanie totalement abolie, si bien que l’Esquisse est plongée dans une irréversible cécité. On le voit clairement, le Mal a terrassé le Bien et cette vision manichéenne que d’aucun pourraient juger simpliste, archaïque en quelque manière, éclate à la façon d’une vérité s’imposant à nous sur le mode d’une gifle, d’un camouflet, d’une flagellation.

  

Vue insupportable du vice de forme de notre Condition : sous l’apparence joyeuse, édénique, sous la peau douce et lisse, sous la soie épidermique, ce ne sont que tumultes de sang, réseaux de nerfs exacerbés, lames de canif prêtes à entailler.

 

C’est l’Enfer qui attaque à l’acide

le paysage fleuri du Paradis.

 

   Les lions affables, les licornes bienveillantes, les girafes aimables, les éléphants courtois, les tigres affectueux, les renards pleins d’attention, les singes serviables, les corbeaux pris d’amitié pour leurs ennemis héréditaires, tout ce petit monde lustré de beaux sentiments, toute cette joyeuse confrérie fêtant la félicité de la convivialité, eh bien cette noble assemblée retourne un jour sa face mondaine, ne laissant plus paraître que griffes et crocs, sabots affutés, trompes vengeresses, becs crochus tels les nez des Sorcières. Oui, c’est ainsi et c’est navrant au plus haut point, la Grande Galerie de l’Espèce Humaine est habitée d’étranges spécimens qui, sous des traits apparemment stables, immobiles, confiés aux lois éternelles du Temps, sembleraient sédimentés, reclus en un destin momifié, alors que le feu couve sous la cendre, toujours prêt à resurgir, à semer, sur la surface de la Terre, les pires cyclones et tempêtes qui soient, à répandre la famine, à assécher la gorge des puits, à diffuser la vermine à l’ensemble des territoires, à assurer la pullulation des virus, à faire de la peste et du choléra les deux seules figures possibles pour l’Homme pour la Femme.

  

   Bien entendu, ici nous arrivons à l’exténuation du sens métaphorique de la peinture, nous la désignons comme la représentation de nos pires cauchemars, nous l’envisageons sous les traits des rêves les plus délirants, nous l’abordons telle la danse de saint Guy affectant les pauvres diables atteints de cette terrible chorée de Sydenham qui, aux yeux des Quidams, des Étourdis, des Inattentifs passe pour le degré le plus haut de la folie. Certes l’état de décomposition avancée du Monde actuel est pour beaucoup dans la tonalité particulière de notre interprétation mais, pouvons-nous échapper en quelque manière que ce soit, à ce violent sabbat qui s’abat sur l’ensemble des continents et les installe au sein d’un remous dont, encore, nul ne peut voir, ni les terribles conséquences à long terme, ni apercevoir le miracle qui fera se métamorphoser le Mal actuel en Bien futur. Si quelqu’un parmi vous a la réponse, tel Zarathoustra, qu’il sorte sur le seuil de sa caverne et annonce au Peuple rassemblé, la Bonne Nouvelle. Oui, la Bonne Nouvelle !  

 

 

Au lieu de « La mondo estas freneza »

 

Bien plutôt et avant tout

 

« La mondo estas savita »

 

« Le Monde est sauvé »

 

« La mondo estas bela »

 

« Le Monde est beau »

 

« La mondo estas malavara »

 

« Le Monde est généreux »

 

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