Œuvre : Marc Bourlier.
Mais pourquoi donc ces petits personnages nous fascinent-ils tant ? Ils sont si modestes pourtant. De simples débris jonchant les plages, que personne ne regarde. Sauf les enfants pour en faire les fortifications de leurs châteaux de sable. Autrement dit de leurs rêves. Le regard des enfants est toujours plus imaginatif que celui de leurs aînés. Tout simplement parce que plus naïf, davantage lié à la lecture d’une vérité simple, évidente. Comment pourrions-nous, en dehors d’un pur jeu intellectuel, échafauder de grandes théories à leur sujet ? Parler de leur esthétique, raisonner en termes de visée plastique, oser un discours métaphysique, les situer dans les arcanes d’une philosophie ? Cependant tout ceci demeure possible pour la simple raison que tout objet, fût-il modeste, est toujours investi d’un sens, ne serait-ce que celui que nous projetons en lui.
Mais regardons seulement et confions ces aimables figures à notre seule sensibilité. Soyons d’emblée en eux, dans la fibre chaude de leur mémoire de résine. Ce qui, au premier abord, se présente, c’est, à la fois, un genre de sérénité, mais aussitôt se profile cette « inquiétante étrangeté » par laquelle Freud voulait nous dire ce que le quotidien recelait d’inquiétude, d’angoisse, dès l’instant où se produisait une césure de la rationalité. Or, c’est bien ce revers du monde que nous dévoile l’œuvre de l’artiste. Si, d’emblée, nous sommes sous le charme, nous prenons vite conscience que ces gentilles figurines sont le creuset d’un conflit, d’une tension interne, comme si, soudain, pouvait surgir cette inquiétude à même de mettre en danger les êtres qu’ils sont, dont l’équilibre est précaire, ceci étant inscrit dans la nature même des choses.
Mais cessons la rhétorique et regardons. Ces « Petits Boisés » sont sagement rangés dans leurs cases respectives, assemblés en boules siamoises, apeurés comme si pouvaient survenir, du monde alentour, une menace, une possible dissolution de ce qu’ils sont, à savoir de minces parutions qu’une simple étincelle menacerait de réduire à néant. Etat de sidération que reflète leur immobilité, attitude figée en attente d’un déroulement du destin. Les catégories qui permettent à l’être de paraître, l’espace et le temps, sont réduits à la taille d’une peau de chagrin. En dehors de leur cadre de bois il n’y a aucune spatialité faisant signe. Quant à leur temporalité elle est engluée dans un bien énigmatique présent. Hier, le grand arbre auquel ils participaient, n’existe plus. Demain, la possibilité de s’inscrire dans le praticable du monde est une hypothèse lilliputienne qui les cloue au fond sur lequel ils se détachent, comme ils le feraient d’un néant à s’extraire pour pouvoir énoncer leur propre lexique.
Leurs corps pareils à des élévations monolithiques, leurs faces rondes à l’expression cosmique, les trois trous par lesquels voir, parler ; les trois éclisses commises à entendre, humer, tout ceci incline fortement vers un genre de suspens, de halte jouant à la manière d’une énigme. Insondable comme toute énigme - Que peut-on savoir du Sphinx ? -. Ils sont semblables en tous points à ces étranges moaïs de L’Île de Pâques, leurs yeux vides interrogeant le ciel - attendent-ils la décision de quelque aruspice ? -, lèvres scellées sur leur destin de bois, - sont-ils recueillis sur le silence de leur origine ? -, cernés d’un vent qui ne les atteint pas, soudés sur le secret qu’ils tiennent au creux de leur densité de pin ou bien de saule.
« Petits Boisés », c’est parce que vous êtes fragiles que nous vous aimons et vous prenons en garde dans l’anse ouverte de notre vision. A simplement vous regarder, nous vous protégeons des vicissitudes du monde. Continuez à nous émouvoir, ceci est si précieux dans la lutte des jours et l’indifférence des hommes. Si précieux !
« AhuTongariki » par Ian Sewell.
IanAndWendy.com Photo gallery from Easter Island.