Photographie : Nadège Costa.
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Tout dans la souplesse énonciatrice. Tout dans la simple rumeur s’élevant de la chair, de la peau infiniment lissée de lumière. Le jour est une décision encore dans les limbes et les choses sont closes, réduites à n’être que pures distractions. Jambes gainées de soie pareilles à un poème en train d’émerger du silence. Quelques ombres ont posé ici et là un semis si peu visible qu’il aurait pu aussi bien ne pas paraître. Mais, s’absentant de la scène, il eût ôté à notre naturelle curiosité cet affrontement qui nous tient en haleine et nous met en demeure d’exister. Non en nous-mêmes, mais dans la relation à l’image, dans l’immersion dont elle est la sublime annonciatrice. Nous parlions d’affrontement, mais alors quel est-il ? Cette photographie inclinant au calme, à la sérénité.
Une tension est là. D’abord dans notre âme inquiète de découvrir ce qui, pour l’instant, ne s’y est pas encore inscrit. A savoir une mise en scène de l’amour. Cette pure abstraction, l’amour, ne s’actualisant qu’au plein de la nuit, dans la densité d’une encre profonde. Car certains modes d’exister ne peuvent vivre en pleine lumière, seulement dans une manière de complexité labyrinthique, là où plus rien ne s’énonce qui pourrait reconduire à l’exactitude d’une réalité. Il y faut du mystère, il y faut de l’inconcevable, il y faut de l’incompréhensible. Il y faut l’innommable, cette faveur insigne dont la Mort est porteuse, qui jamais ne se révèle au peuples des existants, uniquement aux âmes dépouillées de leurs corps.
Une tension est là, qui s’appelle « érotisme ». Elle n’apparaît pas d’elle-même, dans le genre d’un papillon surgissant de sa chrysalide. Des conditions en créent les nécessaires fondements. Mais il est nécessaire de se rapprocher d’une vision concrète afin que, de l’expérience que nous avons des rencontres, quelque chose naisse et nous éclaire. Nous disons : « Une femme nue n’est pas érotique ». Et nous disons encore : « Une femme habillée n’est pas érotique ». Et nous disons enfin : « Une femme partiellement dévêtue est érotique ». Mais où se loge donc la nuance qui fait se métamorphoser Eve en un Eros conquérant auquel nous sommes prêts à vouer un culte ? Où la subtile alchimie d’une étrange transformation dont l’heureuse récipiendaire est la première étonnée ? Où la clé de l’énigme. Ici encore le recours à la métaphore nous permettra de nous saisir correctement du problème. Si, par la pensée, nous voyons une bêtise de Cambrai, que se passe-t-il ? Avant même d’en découvrir les petits coussins aux bandes blanches que sépare le sucre caramélisé, c’est le papier cristal qui l’enveloppe qui est notre premier interlocuteur. Et, ce n’est qu’après avoir enlevé la vêture, que la petite bêtise commencera à aiguiser nos papilles, l’inondant d’un délicieux plaisir anticipateur. Ceci, le dépliement, c'est-à-dire le passage de ce qui était caché à ce qui se dévoile, ceci donc porte le nom « d’érotisme », tout comme le suggère cette belle image dont le discret ourlet de la jupe s’arrondit sur un irrésistible mystère.
Et, si nous poursuivons un tant soit peu notre investigation, nous nous apercevrons vite que du corps à la vêture, il y a le même rapport, la même distance que celle qui sépare la nature de la culture. C’est parce que les jambes gainées de soie - la nature - jouent en mode dialectique avec ce qui est censé les dissimuler au regard, la jupe, - la culture -, que notre désir d’en savoir davantage est fouetté jusqu’au sang. Car c’est toujours ce qui se réserve à la vision, s’efface, se dissimule et finalement disparaît qui aiguise notre envie de connaître. Plus qu’une simple pulsion désirante qui nous jetterait sur la pulpe juteuse de quelque fruit, c’est bien plutôt notre désir d’en savoir plus au sujet de l’enjeu de notre curiosité qui justifie le fait d’être aiguillonné et de demeurer dans ce suspens comme si notre être en son entier se réservait à l’intérieur de parenthèses spatiales et temporelles. A vivre dans la fascination, nous en oublions le lieu qui nous accueille aussi bien que la date de l’éphéméride. C’est ainsi, nous ne nous appartenons plus vraiment face à l’énigme quelle que soit sa nature : l’étrange question posée par le Sphinx, aussi bien celle à laquelle nous convie Eve dans le trouble qu’elle suscite à la manière d’une aimantation. Nous ne serons pas libres tant que nous n’aurons pas résolu le problème qui nous préoccupe, à savoir : qu’en est-il de l’amour puisque, en définitive, l’érotisme n’en est qu’une hypostase, une sorte de porte d’entrée ? Mais ici, le sujet est trop vaste pour être abordé simplement.
Il nous faut maintenant, après avoir rapidement exposé le conflit nature-culture, nous interroger sur la valeur du fragment en lui-même. Le style de cette artiste est de nous proposer, du réel, des esquisses aussi rapides que précises, fragments de corps, bribes de vêtures, toute une économie de la proposition plastique. Or ces images partielles d’une réalité sont précieuses pour nous introduire dans les arcanes d’une possible réflexion. Mais que nous apporterait donc de plus la vision d’une femme en son entier, sinon de la situer dans un cadre, de la contextualiser en quelque sorte ? En réalité, procéder ainsi conduirait tout simplement à diluer la texture érotique dans un environnement qui la dépouillerait de son acuité existentielle. Etrécir le cadre à l’essentiel, prendre le parti de focaliser sur des jambes que recouvre à peine la nervure de la jupe, c’est nous guider jusqu’au bord de ce qu’il y aurait à connaître - l’amour -, si seulement une telle chose était possible. Cependant le fragment a une force à laquelle ne saurait prétendre la totalité. Isolant, comme sous l’œil du microscope, un site bien déterminé, nous, les voyeurs, n’avons de cesse de nous évader des contours de l’image dans une manière d’activité « fantasmatique », ce dernier prédicat devant être perçu comme le travail qu’accomplit l’imaginaire dès l’instant où se pose une question qui devient essentielle. Or, nul ne pourrait reconduire l’amour à une contingence parmi d’autres. C’est bien parce que nous sommes acculés à cette représentation qui nous préoccupe et nous enjoint de la constituer comme souci que nous sortons de nos propres limites de manière à ce que quelque chose s’éclaire, ce sens qui toujours s’efface alors que nous progressons en sa direction. Toute compréhension est mobilité. De la nature à la culture, du fragment signifiant à la totalité signifiée. De ce chemin nous ne pouvons nous exonérer. Cette belle photographie nous ouvre ce genre de sentier sur lequel il convient d’avancer avec une vision exacte.
Nous disons : « Cette image est belle parce qu’elle est érotiquement vraie : elle fait signe vers la seule chose qui soit, l’amour qui est l’autre nom de la vie. »