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11 mars 2015 3 11 /03 /mars /2015 09:04
Toutes les beautés du monde.

Œuvre : Sophie Rousseau.

Nul besoin de prendre un avion, de voler de longues heures dans le ciel bleu. Nul besoin de lire dans un livre illustré les mérites de l’eau, les vertus de la terre. Nul besoin de marcher sur les flancs des collines dans l’espoir de les connaître. Seulement se disposer à … et habiter la demeure du songe. Rien ne sert de courir le vaste monde si, d’emblée, nous avons renoncé à demeurer là où nous serons toujours : dans l’étroite nacelle de notre peau. Car tout y est contenu de la même manière que la jarre recèle toujours le trésor qui fait son miracle, à savoir son galbe qui dit le monde depuis le silence de l’argile. Nous sommes notre propre lieu en même temps que le réceptacle du vaste monde. Ceci est à savoir au sein même des fibres qui tissent notre chair, au centre de l’humeur vitreuse qui fait nos yeux brillants, au plein du ruissellement qui anime nos vaisseaux de lymphe.

Cette encre, nous la regardons et, à peine perçue, nous sentons couler en nous toute la beauté du monde. Aussi bien la perle verte de l’oasis que les vagues de sable du désert ou bien le lac de montagne dans lequel se noie le ciel. C’est tout de suite une évidence. Nous sommes au monde comme le monde est à nous, dans le simple déploiement de notre conscience. Nous respirons et nous sommes l’arbre. Nous marchons et nous sommes le soleil et l’ombre portée sur le sol de poussière. Nous nageons et nous sommes l’algue infiniment mobile, la pulsation de l’anémone de mer. Nous aimons et notre corps est le flux et la marée.

Cette encre nous dit ce qu’elle est : une œuvre d’art dont nos yeux s’emparent avec simplicité, la seule manière qui soit de recevoir une esthétique et de donner vie à une forme. Il n’y a pas seulement à voir, mais à penser. Penser le microcosme que nous sommes afin que s’ouvre le macrocosme que le monde dévoile et met devant nous comme la plus belle offrande. Cette encre est d’abord elle-même dans sa proposition plastique, l’émergence du sens à partir du rien de la feuille, du silence originel qui la tisse ; ensuite elle est nous-même parce que nous nous l’approprions comme une chose à douer de vie. L’art de regarder est simplement l’art de la métamorphose. Ce qui nous fait face et demeure en soi, il faut l’ouvrir et le porter à sa dignité, à sa parution dans l’ordre du langage. Car cette image parle. Et elle parle de mille façons, elle se vêt des mille dialectes qui sillonnent la terre à la vitesse de l’éclair.

Prenons un seul de ces langages. Celui, par exemple, de l’esthétique orientale développée par Hiroshige dans le Tôkaido, ce merveilleux « Monde Flottant » si délicat, cet art du paysage porté à son acmé. Sans doute, par simple analogie, nous pourrions voir une possible parenté. Nous pensons par exemple au 24° relais du chemin, nommé « Kanaya », emprunté par les pèlerins entre Edo et Kyôto.

Toutes les beautés du monde.

« Hiroshige25 kanaya » par Utagawa Hiroshige (歌川広重) .

Source : Wikipédia.

Nous pourrions y voir des fleuves identiques, un banc de sable ménageant deux bras, une élévation de rochers, une forêt de cryptomères que le vent traverse. Certes les voyageurs y sont absents et l’encre semble vide de présence humaine. Et pourtant, cette présence y est inscrite avec autant de certitude que la tache blanche du nuage qui se réverbère à la face de l’eau. Le voyageur, l’unique, c’est nous face à cette énigme que nous propose l’art, laquelle ne trouvera de résolution que dans notre confrontation à ce qui se présente. Et ce qui apparaît c’est le monde-pour-nous qui est toujours déjà là et que nous actualisons à chacune de nos rencontres. Toutes les beautés du monde naissent du regard que nous leur portons. Elles n’existent pas en elles-mêmes. Qu’en est-il de la majesté de la canopée, la nuit, lorsqu’aucun regard ne s’applique à en faire émerger le sens ? Nous disons : « Cette encre est belle », car nous l’énonçons comme une vérité. Une vérité pour nous. Une évidence pour le monde qui en est constamment détenteur à l’aune de notre propre décret.

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