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11 avril 2015 6 11 /04 /avril /2015 07:48
Mains négatives.

« Little touch ».

Œuvre : Eric Migom.

Ces mains. Ces ongles. Ces doigts. Je les savais à l’affût. Quelque part dans l’ombre étroite de l’inconnaissance. Parfois, lorsque je dormais, ma tête habitée de songes, j’en sentais le vénéneux effleurement. Pareil au baiser d’une Veuve Noire. Et le venin s’instillait dans le réseau étoilé de mon sang et des dendrites rouges parcouraient la meute arbustive de mon cerveau. Il y avait des gerbes d’étincelles et la nuit devenait feu de Bengale. Et la nuit devenait simple rutilance et tout s’allumait dans un genre de folie. C’était une telle joie que d’être saisi de cet embrasement. L’Inconnue muriatique voulait me donner la mort. En réalité elle ne faisait que bander mon corps jusqu’à la limite d’une sublime illumination et des gerbes de mots sillonnaient le palimpseste de ma peau. Cela, que la Veuve veuille me soustraire le langage, je l’avais perçu depuis les premiers coups de griffe, les initiales lacérations. Elle était tapie dans un coin de la chambre, ses yeux inutilement globuleux, yeux de myope dardés sur la hampe de mon sexe. Le lacérant, elle pensait arrêter le flot des mots, faire geler les phrases dans la glu, happer le texte vers une manière de bonde terminale. Vous savez, celle du Néant qui aspire goulûment les êtres et les reconduit à la faille immensément ouverte de l’absence.

Etrange aranéide invertébrée, lectrice sophistique, elle s’était métamorphosée en cet insecte aux pattes immenses et sa tache rouge sur l’abdomen était le témoin du crime à commettre. Veuve déguisée en main négative, cette main qui, plutôt que de se saisir du sens adéquat des choses, n’en percevait que les supposées et les indigentes boursouflures. Lorsque, dans la journée, j’écrivais, m’appliquant à tracer comme au calame quelques lignes sur le parchemin - ma peau en vérité, on n’écrit jamais que sur la face lisse de son propre épiderme -, écrivant donc, j’en sentais la ténébreuse présence au-dessus de mon épaule. Malheureusement pour elle, elle ne percevait que l’écume, jamais la profondeur, les abysses dans lesquelles nageaient les baudroies du sens. Je sentais ses coups de griffe agacés d’être derrière la porte, d’être soustraite au spectacle. Oh, parfois, quelque démangeaison, quelque irritation de la peau, mais rien au-delà. En fait, j’étais ennuyé pour elle. Elle pour qui j’écrivais - du moins le tenté-je -, une prose poétique cherchant à nous élever l’un comme l’autre, elle ma lectrice, aussi bien que moi, le graphorétique, à nous élever donc au-dessus du pavé où se traînent les cloportes en de bien amusantes contorsions. Mais, vous lecteurs, lectrices qui avez fait l’effort de me suivre dans mes laborieuses démonstrations, regardez donc cette main faire ses pitoyables pas de deux. Mais quelle inconséquence, tout de même et quelle vanité, cette même vanité dont elle gratifie mes écrits - on ne négative jamais mieux l’autre qu’à l’aune de ses propres insuffisances - mais quelle stupides manigances qui s’abolissent aussitôt proférées. Souvent, l’antre de sa bouche ne distille que de vulgaires assertions se perdant dans les rumeurs mondaines, vent glacial, blizzard encombré des congères d’une pensée en miettes. « L’écriture, ce vice à punir », l’entendais-je proférer, paraphrasant Valéry Larbaud, mais avec la haine de ses doigts serrant ma gorge. Et, Veuve Noire, Mains Négatives, quand bien même vous réussiriez votre forfait et que je me trouve pendu au bout du gibet comme dans la ballade de ce cher Villon, eh bien sachez que mes mots vous poursuivront jusqu’en votre étique demeure et, qu’à votre tour, vous rendrez l’âme. Enfin si vous en avez une ! Ce que je vous souhaite un jour. Si belle l’âme lorsqu’elle monte vers la beauté. Si belle !

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Published by Blanc Seing - dans Microcosmos

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