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24 juillet 2016 7 24 /07 /juillet /2016 08:22
C’est Elle, pour ne pas la nommer…

« Prétérition ».

Œuvre : André Maynet.

C’est Elle, pour ne pas la nommer…

C’était un étrange dénuement qui se dégageait de Prétérition dans cette attitude de modestie dont elle paraissait affectée en son intime. Jamais elle ne levait les yeux pour regarder le monde, pas plus qu’elle ne considérait la course arquée du soleil, la déflagration blanche du goéland dans l’air chargé de mystère ou bien la fuite du jour, là-bas, dans le lointain parsemé de flocons de brume. C’était un constant étonnement que de l’apercevoir ici où là, campée dans la position de la flamme, altière dans son élévation même, simple dans le grésillement qu’elle émettait le plus naturellement, tout comme la cigale cymbalise dans les meutes d’air chaud avec la plus pure candeur qui soit. D’Elle on aura encore une idée approchante, l’imaginant sur le bord de quelque toile diaphane, son orifice excréteur, tel celui de l’épeire diadème, dévidant son fil de cristal invisible dans le silence d’un ciel vide. Elle n’avait guère de mouvement à faire pour exister, guère de son à émettre afin d’être reconnue, guère de pas à engager pour ouvrir le cheminement d’un hypothétique destin. Quiconque la voyait pour la première fois cessait sa progression, patte en l’air comme le flamant rose reposant sur un unique sarment, à peine s’il touchait terre, cherchant à deviner ce qui, dans cette étrange apparition détonait le plus : la coiffe de résille blanche, le corps d’albâtre longiligne (à peine la touche de la plume sur le bord d’une cendre), le coussin retenu sur l’ombilic par une lanière de toile, la sorte de mannequin impalpable hissé en son sommet, le luxe discret des bras paraissant sonner le glas de l’être, la cambrure du golfe des reins, l’évidence de la plante des pieds épousant le sol avec la certitude d’une réalité à connaître.

C’est Elle, pour ne pas la nommer…

Alors combien les interprétations eussent été saugrenues qui se fussent hasardées à émettre la possibilité d’une apparition, quelque part, à la jonction de l’espace et du temps, en un lieu si onirique qu’il eût été impossible d’en fixer les coordonnées terrestres. Car Elle, Prétérition, qui se nommait à même son propre effacement, comment en dresser l’esquisse signifiante sinon à se réfugier dans les oubliettes d’une amnésie, à suturer le double sillon de ses lèvres d’une parole muette, à faire de ses gestes une silencieuse chorégraphie aux imperceptibles arabesques ? Eût-on souhaité la saisir qu’elle se fût réfugiée dans cette nasse d’air cotonneuse qui l’entourait à la manière du cocon d’une chrysalide ou bien des bandelettes de la momie. Car, à l’évidence, la posture somme toute hiératique de Prétérition se donnait à voir telle une défense, une fuite, sans doute un refuge à l’encontre de tout ce qui, venant à l’horizon du monde, entaillait la conscience, plantait ses mors venimeux dans le creuset souple, onctueux de la chair. Ailleurs était violent. Autre était menace. Extérieur allumait sur la peau les braises de définitives incisions. En soi, il fallait demeurer en soi. De son corps, nulle effusion. De ses pensées une conque scellée sur elle-même.

C’est Elle, pour ne pas la nommer…

Prétérition pouvait demeurer des heures ainsi, immobile, ourlée d’une neige immatérielle, à la limite du jour et de la nuit, sur le bord de quelque joie triste, sur la lisière d’une mélancolie ascensionnelle dont on ne pouvait dire si, un jour, elle retomberait à la manière d’une plume abandonnée par les caprices du vent. Les curieux, les rationalistes, les impétrants de la réflexion itérative ne cessaient de se questionner à son sujet. Etait-elle bien réelle ? N’était-elle simplement le fruit d’une imagination assaillie de néant ? Etait-elle l’à peine concrétion d’un rêve ? Ou bien l’avait-on hallucinée pour la simple raison d’un désir voulant trouver à s’actualiser ? Sa forme si pure ne signait-elle la présence d’un vers, d’un rythme échappés d’un poème ? Ou bien alors fallait-il la percevoir dans l’ordre symbolique ? Dire d’elle qu’elle était en attente d’un événement ? Que cet événement ressortissait d’une volonté de mettre au monde, de porter au devant de soi ceci qu’elle tenait dans le secret de son ombilic, cet enfantement en puissance, cette vie à donner, ce souffle à faire s’élever parmi les contingences mondaines ? L’on pouvait tout supputer, aussi bien l’influence faste d’une invisible astrologie, la phase finale d’une alchimie dont elle était la pierre philosophale, le surgissement de quelque entité ésotérique se dressant à l’horizon des visions humaines et encore bien d’autres sornettes qui, immanquablement, n’atteignaient leur but qu’à l’aune de leur insuffisance.

C’est Elle, pour ne pas la nommer…

La réalité était bien plus simple en même temps qu’entachée de complexité. Prétérition, Elle qui se disait tout en se dissimulant dans une étrange mutité, il fallait l’approcher dans l’innocence, la deviner dans l’ombre bleue des feuillages, l’apercevoir dans sa nudité même. Ce mannequin blanc qu’elle avait perché tout en haut de son coussin était, SIMPLEMENT, NATURELLEMENT, dans une sorte d’EVIDENCE, l’archétype de la BEAUTE. La fuite dans la gorge étroite du jour, le modelé discret d’un désir, l’abondance du luxe partout répandu, la disposition de soi à s’inscrire dans l’avènement des choses immédiatement perceptibles. Cela avait la légèreté de l’intuition, la prévenance d’une forme essentielle, la sensation aboutie d’une esthétique. C’était comme de voir la mésange dans la levée de l’aube, d’apercevoir le fin voilier sur le dos de la mer, d’écouter la mélodie du vent au milieu des branches de l’olivier, de deviner l’entaille noire de l’hirondelle dans le ciel chargé d’orage. C’était comme de vivre en avant de soi, à la pointe aiguisée de la conscience avec, pour unique spectacle, la ligne infinie de l’horizon, la persistance légère de la colline, le flottement vert de la canopée, la poussière d’or de la dune touchée par les dernières vagues du couchant. Alors il n’y avait rien d’autre à faire qu’ouvrir la dalle de son corps au flux de l’univers et de nager, loin, là-bas, au milieu du fleuve des étoiles avec les yeux emplis d’un étonnement originel. Les choses laides, la violence, les meutes acharnées au combat, commises à la destruction, tout comme Prétérition, on les laissait derrière le paravent de son anatomie, on ne les regardait pas, on les ignorait à la façon de toutes les apories qui habitaient le monde de leurs haillons délétères. On ouvrait la conque de ses oreilles au chant de la mer, au clapotis des galets dans l’eau chargée de bulles, aux douces mélodies qui, partout naissaient du modeste : la voix d’un enfant dans le moutonnement de la prairie, le fouet du cerf-volant faisant vaciller les lames d’air, le nectar d’une parole d’où s’échappe le merveilleux poème. Sa peau, on en faisait le parchemin sur lequel inscrire le beau chiffre de l’humain, graver les signes de la connaissance, les lettres, les alphabets, faire naître des nuées de lignes complexes pareilles aux gribouillis d’enfants. Ses yeux, on les métamorphosait en de simples miroirs où se réverbérait la courbe de l’infini. Ce qu’il fallait faire, c’était l’apercevoir dans la dimension d’une pure pensée, dans l’inclination à être auprès des choses avec la grâce d’une brume d’eau s’élevant d’une tourbière, se fondant dans la coulée grise du ciel, simple dissolution de soi dont nul ne pouvait décrire le phénomène, circonscrire la venue. C’est ainsi, toute beauté se dispense d’être énoncée pour paraître et allumer des flammes dans les yeux des Attentifs.

C’est Elle, pour ne pas la nommer, BEAUTE, qui nous a accompagnés tout au long de cette dérive songeuse. Songeuse, oui, car elle est de la nature du rêve éveillé, cette disposition de l’être à se porter hors de soi tant en demeurant dans sa citadelle. C’est Elle pour ne pas la nommer. La Beauté !

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