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11 février 2017 6 11 /02 /février /2017 09:54
Infranchissable mur.

L'absence perpétuelle.

Œuvre : Dongni Hou.

 

 

 

 

 

   Chemin du jour.

 

   La vie est posée là devant soi, pareille à la promesse de l’aube. Il y a si peu à faire pour exister. Se lever, ouvrir la fenêtre sur le monde, regarder de ses yeux dilatés le jeu des formes, la nappe de brume qui tapisse la vallée, le trait rapide du pic-vert traversant la pliure d’air, voir le soleil écarter lentement ses rayons couleur corail au-dessus de la ligne d’horizon. Tout dans une sorte d’évidence naturelle qui adoucit le corps, régénère l’âme, ouvre le champ de la poésie. C’est à peine si l’on se rend compte de soi. C’est juste le balancement d’une palme dans un vent si imperceptible que l’on se croirait arrivé aux Pays des Songes, cette inimitable félicité qui vient à soi dès l’instant où la liberté le féconde comme un don unique. On espère. On vit dans la joie du moment à venir. On écoute le chant des oiseaux. On devine le murmure de la source entre les tapis de mousse verte. On cherche au creux de son corps ce qui voudrait bien s’éveiller à la juste mesure du jour, à tout ce qui réconforte et pénètre le coeur de son baume, de son pouvoir régénérateur. On est aux aguets, on surveille le moindre frémissement. L’irisation des picots sur la plaine ouverte de l’épiderme. L’infime mélodie suintant de l’ombilic pour dire le précieux de l’instant, son inimitable présence. On est au bord de soi comme l’onde sur le luxe du rivage, en attente de ses propres flux, de ses dépliements desquels se lèvera un monde, la possibilité d’un voyage, le singulier tremplin par lequel connaître les choses, en tutoyer la tunique de soie, en sentir les ailes de velours.

 

   Un fragment de réalité.

 

   Cela fait, à l’intérieur de sa membrane de peau, ses rapides ondoiements, ses allées et venues qui fécondent et portent dans le sillage de l’heure la multiplicité des significations, le langage harmonieux disant sa propre figuration, mais aussi celle de ce qui n’est pas nous, vers quoi nous tendons nos bras, ouvrons nos mains de somnambules. Parfois nous saisissons dans la stupeur des doigts, un fragment de réalité, une bribe d’altérité. Parfois nous demeurons sur le bord d’un abîme et nos yeux s’emplissent de ces gouttes de résine qui n’en finissent pas de faire leur lac d’incomplétude, leurs crochets d’interrogations. C’est ceci dont il faut tisser la toile du temps : chercher à témoigner de soi afin que, comblés de cette certitude d’être, nous puissions sortir de notre demeure, en franchir le seuil et aller en direction de l’inimitable spectacle des choses, s’y enliser tel le ver dans son cocon de soi, s’y reconnaître comme l’une des parties de l’exister dont les phénomènes de l’univers ne sont qu’un écho, une vibrante réverbération.

 

   Chemin de nuit.

 

   Nous voyons Absence comme une efflorescence en quête de son propre devenir, mais sous la lame de quelque supplice, sous l’inconcevable d’une décision qui la reconduit dans la geôle de son propre corps, dans la citadelle d’un esprit qui échoue à paraître. La tunique est de lin blanc qui laisse transparaître en maints endroits cette rumeur de la chair, cette teinte de rose en bouton, cet essai d’ouvrir une corolle alors que tout résiste et semble vouloir reconduire à un en-deçà de l’être, dans l’étrange configuration d’une avant-parution. Alors nous visons l’image, médusés comme s’il s’agissait de nous, de notre propre simulacre qui s’ingénierait à figurer quelque part dans une nature hostile, fermée, reconduisant tout essai de profération à la gangue étroite d’un silence, d’une non-parole antérieure à tout essai de signification. La boule de la tête semble frappée de stupeur alors que la chute des tresses paraît indiquer une proche perdition, la reconduction à un abîme originaire dont l’être semblerait issu tel le papillon s’extrayant avec douleur du cachot de son étrange chrysalide. Un bras, un seul - l’autre n’est-il encore parvenu à s’extraire du bitume dense de sa matière ? -, un bras donc dans son apparition de spectre blanc s’essaie à l’ascension de la paroi verticale et nous pensons à la lutte de l’alpiniste lancée face à ce mur antagoniste qui le met au défi de le vaincre. Comme une fatalité irréversible qui placerait l’homme en regard de son destin dans une manière de combat à l’issue duquel il trouverait sa liberté seulement au terme de cette immémoriale lutte par laquelle dépasser sa condition afin de mieux l’assumer. Eternel Sisyphe n’assurant sa survie qu’à repousser constamment cette pierre de l’absurde qui menace de l’écraser à chaque mouvement, à chaque respiration, peut-être même à chaque idée proférée car cette énergie semble vécue par le Nihilisme comme une entrave à sa puissance de destruction. Alors tout est suspendu, en attente de ce qui pourrait s’illustrer comme le gain d’une licence, la possibilité de figurer quelque part sur la ligne d’horizon ou sur la plaine des migrations humaines, sorte d’interminable procession dans l’avenue de l’être. Il est si tentant d’exister lorsque les nuées sombres parcourent le ciel, inclinent notre être désemparé vers le sol, réduisent notre marche à la progression laborieuse des chenilles en cortège. Longue plainte orangée étoilée de blanc, antenne des poils érigés vers ce qui, peut-être l’air, peut-être le soleil, se montrerait comme une forme ouvrant un dialogue, une lumière faisant sa tache blanche qui écarte les ombres.

 

   Angoissante verticalité.

 

   Mais maintenant il faut sortir de la pure description pour tâcher d’accéder aux significations latentes de l’œuvre. L'absence perpétuelle nous dit l’Artiste comme commentaire à sa proposition picturale. Mais absence de quoi ? Mais de quel perpétuel s’agit-il donc ? Ce syntagme est heureux car il nous laisse libres de nous livrer au jeu infini des interprétations. Manière d’énoncer ce qu’un imaginaire a produit sous la forme d’une abstraction qui peut recevoir l’éblouissant rayonnement d’une pensée en charge d’en décrypter la nature polymorphe. Ce qui nous interroge ici, au moins autant que la confrontation d’Absence à la paroi cernée d’ombres, c’est l’impossibilité du Sujet de connaître la nature de cette angoissante verticalité, d’en éprouver la juste emprise, d’en saisir la profondeur ontologique. Car il y a échec absolu à vouloir confronter le Néant, à tâcher de lui arracher son mystère, à le contraindre à parler. Jamais le Néant n’est parole. Seulement le contraire, à savoir s’emparer de l’essence de l’homme, la réduire d’abord à l’état de simple exister, ensuite la soumettre au phénomène de la corruption afin qu’affaibli, vaincu, l’être de l’homme puisse réintégrer le territoire néantisant dont il provient. Comme une vérité pariétale, un signe obscur et illisible, une nuit immatérielle, impalpable, anonyme voulant reprendre en son sein le surgissement de l’être à même la lumière. Car les forces des ténèbres sont si fortes, car le mystère est si dense qui toujours nous accule à lancer nos bras contre la toile infiniment tendue de l’angoisse qui toujours résiste afin que nous demeurions en-deçà de son secret, là où les hommes avancent sur la scène ambiguë du monde sans jamais en épuiser le sens.

 

   L’homme est question.

 

   Fondamentalement l’homme est question et il ne serait plus homme si, par hasard, la réponse fusait de ses lèvres inquiètes pour percer la source de l’énigme. C’est pour cette raison que Dongni Hou nous propose cette image forte d’une confrontation sans issue d’une fragile Jeune Fille, d’une Innocence en devenir que le mur du non-sens érige à son encontre comme pour dire l’impossibilité de l’être de se saisir en totalité, d’écrire sa fiction pourvue d’un prologue, d’un récit, d’un épilogue qui en clôtureraient le spectacle. Epilogue toujours hors de portée puisqu’il ne résulte jamais que de cette finitude dont nous ne pourrons nullement prendre conscience puisque notre âme aura abdiqué à poursuivre sa route à l’instant où nous trouverons l’oméga qui en clôturera l’alpha. Le cruel dilemme est celui-ci qui nous dépossède de notre être à la mesure de son accomplissement terminal. Existant, parlant, aimant, créant, nous sommes toujours des instances en devenir qui ne trouvent la clé de leur destin qu’à l’instant même où celle-ci fait ses cruels reflets, se retirant dans le mouvement de sa donation. De là la tristesse, la mélancolie, le chagrin, la fuite permanente de l’être aimé, le sentiment de l’incomplétude qui fait autour de nos têtes sa rumeur assourdissante. De là le vertige qui fait tanguer l’humanité, allume la violence, fait flamber les étranges et confondantes lueurs de la guerre sous toutes les latitudes, sous tous les ciels pris soudain d’une tragique et incontournable immanence. La cruelle déréliction dont l’art est la plus belle forme de contournement, le sublime don par lequel échapper, au moins provisoirement, à cette muraille qui s’élève devant la conscience et la menace d’une ruine définitive.

 

   Chemin du jour.

 

   Ne reste plus alors à Absence perpétuelle, cette belle allégorie destinée à déciller nos yeux, qu’à nous initier aux merveilles de la création esthétique, à nous livrer au bonheur des anthologies littéraires, aux éblouissements du sens partout où il fleurit en tant que ce baume à appliquer sur nos plaies ouvertes. Dans la faille ouverte du ciel, sur la courbure infinie des océans, sur l’aile blanche de l’oiseau de mer, dans la labyrinthe lumineux de la pensée, sur les ailes infiniment libres du cerf-volant flottant tout en haut de la canopée sous le ventre d’écume des nuages, près des feux des bivouacs des nomades du désert, dans les failles rouges des canyons qui nous disent d’une seule et même voix le bonheur de la terre, sa douleur qui lui est coalescente, au centre du rougeoiement de l’athanor qui conduit à la pierre philosophale. Il ne nous reste plus qu’à décrypter le mystère du temple grec lorsqu’il jette son chapiteau en direction des étoiles, à repérer avec le berger le point brillant de Vénus la belle étoile, de chevaucher avec les constellations, avec la belle ligne brisée de Centaure, avec la rassurante géométrie de la Croix du Sud, avec la musique en losange de Lyre. Car il ne saurait y avoir d’autre mesure de l’homme que celle de ses sensations ouvertes sur l’insondable de l’univers. Que sommes-nous donc, nous les humains, que ce fragment détaché du cosmos qui flotte infiniment au milieu des galaxies et des nuages de gaz ? Que ces boules de feu qui parcourons les espaces infinis jusqu’en ses plus obscures parutions ? Qu’en sera-t-il de nos sillages de comètes, lorsque ayant franchi ce mur noir qui se dresse comme une menace nous déboucherons peut-être ailleurs que dans notre propre compréhension terrestre ? Toujours la question se pose dont le plus grand mérite est de ne fournir aucune réponse. Pour cette raison, tout comme Dongni, il faut peindre selon la diagonale d’une Métaphysique. Diagonale puisque son invisibilité essentielle ne saurait se donner à voir selon cette verticalité qui est le domaine indivisible des dieux, pas plus que selon cette horizontalité qui est le lieu des choses en leur sidérante fermeture. Toute signification est intermédiaire, passage, mobilité d’un point à un autre. Nous voulons nous inscrire dans ce chemin diagonal qui seul nous portera dans la faille infiniment disponible du réel, dans la compréhension de ce qui se dissimule et ne tient son subtil langage que de sa dissimulation. Nous voulons le chemin du jour !

 

 

 

 

 

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