Adagio.
L’été touchait à sa fin
Non mon désir d’en découdre
Avec la nature
La beauté des paysages
Cette mer qui fuyait
A l’horizon du temps
Ces lacs qui scintillaient
A perte de vue
Au milieu des embruns de sel
Des bruissements légers de l’eau
Le plus souvent
Au lever du jour
Ou bien au crépuscule
Ces moments bénis des dieux
Je me rendais au bord de l’Etang
M’asseyais sur quelques pierres
Que dissimulait une touffe de tamaris
Ainsi voyant sans être vu
Je pouvais tout à loisir
Profiter d’un spectacle
Dont je pensais être
Le SEUL
A pouvoir
Jouir
Depuis la rive
Une passerelle de bois
Flottait au dessus de l’eau
Dont je ne connaissais la destination
Peut-être une amarre pour les bateaux
Peut-être simple architecture
Pour les nomades et les curieux
Assurément j’appartenais
Aux deux catégories
Moi qui avais la bougeotte
Moi dont le regard fouillait
Le moindre recoin
A la recherche
D’une esthétique
D’une émotion
D’un prétexte d’écriture
Le premier jour
Où TU t’offris à ma vision
TU étais vêtue d’un léger caraco
D’une jupe longue
Et j’apercevais ton doux profil
Etais-TU Italienne de Toscane
Ou bien Sicilienne
J’inclinais pour la Toscane
Il y avait
En TOI
Une sagesse visible
Un bel ordonnancement
TU aurais pu être
Le Modèle
Peut-être d’un Botticelli
Peignant la Naissance de Vénus
Peut être d’un Raphaël
Esquissant le portrait de
La Muette
Ou bien encore
D’un Agnolo Bronzino
Posant sur la toile
Le délicat visage
De Marie de Médicis
Cette grâce en suspension
Que rien ne semblait
Pouvoir ramener au cadre
Etroit
Des réalités terrestres
Pour dire court
TU étais une réplique
De cette Italie Renaissante
Digne des plus riches éloges
J’apercevais
Comme dans un rêve
A la belle subtilité
La nappe lisse
De tes cheveux
Châtains
Le lisse régulier
De ton visage
L’amande
Rose
Des lèvres
Ce cou si gracieux
On l’aurait dit pareil à l’abricot
Dans son inimitable teinte
Cette chair nacrée
Qui semblait se dissoudre
A mesure que
L’on s’en approchait
Mais c’était
Je crois
Ce que je préférais
Cette distance
Ce recul
Ce retrait
Qui laissaient libre cours
A mon imaginaire
A mon insu
Des phrases s’écrivaient
A bas bruit
Des mots faisaient
Leur inimitable clapotis
Sur la margelle de mon front
Ils ressortiraient
Bientôt
Métamorphosés
Agrandis
Multipliés
Par la puissance
De la nostalgie
Je t’observais
(J’avais opté pour le tutoiement
Je savais pouvoir être pardonné)
A la dérobée
Entre les vols bleus des libellules
Les coups de fouet des martinets
La douce insistance
De la huppe
A ne pas paraître
Sans doute étais-TU semblable
A ces oiseaux de la garrigue
Qui venaient s’abreuver là
Dans la grande nappe d’eau
Puis repartaient d’un vol léger
Comme s’ils n’avaient existé
Qu’à l’orée d’un songe
Allegro.
A mesure que le temps passait
Je m’habituais à TOI
Et c’est comme si j’avais été
Un Amant
De passage
Un Observateur attentif
De ta naturelle beauté
Un Archéologue en quête
D’un motif ancien
Posé sur le flanc
D’un céladon
D’une jarre
Aujourd’hui le vent a forci
Il n’est plus ce souffle marin
Qui
Il y a peu
Poissait nos vêtements
Lustrait nos cheveux
Enduisait nos visages
D’un glacis pareil à ceux
Des peintures Renaissantes
Maintenant
Comment dire
TU es plus lointaine
Réfugiée dans un blouson
De cuir noir
Dont les fermetures de métal
Brillent à chacun de tes mouvements
Ta jupe légère a laissé la place
A une robe de laine plus foncée
J’en devine la sourde caresse
La souplesse
Le moelleux
Combien elle TE rend
Mystérieuse
Précieuse
Je vois sa texture
Minutieuse
L’entrecroisement subtil des fils
(sont-ils des modes visibles du Destin
Une figure apparente de La Moïra)
Mais déjà je sens que
TU m’échappes
J’avais trop tôt rêvé
D’une possession qui n’était
Qu’une hallucination
L’envie impérieuse
D’un Gamin observant
Son jouet dans la vitrine
Où brillent les feux acérés
Du désir
Voilà que le jouet échappe
Se confond avec l’écrin qui l’abritait
TU sembles plus soucieuse
TU fumes de longues cigarettes
Dont la vapeur se mêle
Aux premières brumes
TU lis un livre
Serait-ce Paulina 1880
Cette belle et triste
Chronique italienne
Où alternent
Amour charnel
Et
Amour mystique
Jouissance
Et
Pulsion de mort
Mais non je vais trop loin
Mon caractère naturellement
Fantasque TE précipite dans
Un abîme
Dans lequel je m’empresse
De TE suivre
Double aliénation
Dont nous ne pourrons ressortir
Que fourbus
Hagards
Yeux vidés de leur sens
Mains étiques
Dans la nuit qui vient
Pendant plusieurs jours
TU n’es pas venue
Et la passerelle était
Bien vide
Que même les oiseaux
Avaient désertée
Je trompais le temps
Taillant au canif
Des branches de tamaris
Dont j’entaillais l’écorce
Mille rubans flottants
S’en échappant
Comme s’ils avaient été
Ivres
De liberté
Mais sans doute projetais-je
Sur leurs minces existences
Un poids dont
Jamais
Ils ne seraient atteints
L’angoisse est
Fondamentalement humaine
L’espoir congénitalement
Rivé aux basques des
Existants sur Terre
TE voici donc
Chaudement habillée
D’un long caban noir
D’un pantalon
Il faut dire
Avec cette Tramontane
L’hiver semble arrivé
Avant l’heure
De longues lames d’air glacé
Viennent du Nord
Avec de sinistres feulements
L’eau se hérisse
De milliers de picots
De courtes vagues
Font leur clapotis
Tout contre les pilotis
De la passerelle
TU ne lis pas
TU ne fumes pas
TU bouges à peine
L’air t’enveloppe
Dans sa tunique
De glace
Vis-TU au moins
TOI l’Inconnue
Qui hante mes nuits
Qui vrille mon ombilic
Qui étoile le réseau de mes nerfs
Attise mes pensées
Et assure mes insomnies
De navigations hauturières
Sans fin
Où le port où s’amarrer
Où la demeure assurant d’un abri
Où le havre de paix
Et le sourire étincelant
De mille feux
Où la paix
Qui cingle
Vers le large
Et le repos de l’âme
Où la sérénité qui autrefois
Lançait ses oriflammes
Dans le ciel semé d’étincelles
Appassionata.
Trois jours que tu n’es pas apparue
Trois jours à attendre
En vain
A scruter l’horizon étroit
De ces planches où
Sans doute
Flotte encore
Un air de TOI
Une fragrance
Peut-être une mélodie italienne
Le rythme d’une bergamasque
Cette danse gaie
Vive
Sautillante
Qui ponctuait
La scène de la commedia dell’arte
Le vent s’est encore assombri
Il fait de longues coulées
Lacère la face de l’eau
L’entaille de grandes balafres
Grises
Blanches
Parfois teintées
De cuivre
D’étain
J’ai plongé mes mains
Dans les poches
De ma vareuse
Dissimulé ma tête
Sous un ample suroît
C’est comme si quelque
Fin du monde s’annonçait
A l’horizon de l’Homme
La lumière est basse
Semblable à un étiage hivernal
Sans doute
Dans les cabanes de pêcheurs
Brulent des falots
Identiques à des torches de résine
Dans le profond des grottes
Partout on s’amasse
Au bord de l’âtre
Partout on frotte ses mains
Aux doigts gourds
Aux jointures pâles
Partout on attise les braises
Alors que le vent cogne aux volets
Que la rumeur s’acharne
Que la tempête enfle
Pareille à un animal à l’agonie
Qui hurle à la Lune
Jette aux étoiles
Sa peur ancestrale
Trois jours sans TOI
Et l’effroi de demeurer
SEUL
Enfonce dans la spire
De ma cochlée
Ses doigts
Ravageurs
Fore mes yeux
Qui s’agrandissent
Jusqu’à
La mydriase
Serait-ce cela
La mydriase
Le comble de
La lucidité
Maintenant je suis
Sur la planche
Qui ressemble
Etrangement à
Une coupée
De quel navire
Pour quel voyage
Pour quelle destination
Inconnue
Tout au
Bout
De
La
Passerelle
Pareil à un
Pavillon
De complaisance
Flotte
Un bout
De toile noire
Faseye
Une écharpe de
TOI
Que
Sans doute
Tu as laissée
Pour dire le précieux de
TON
Passage
J’ose à peine penser
Qu’elle m’était destinée
Passager clandestin d’une
Si
Enigmatique
Traversée
Autour de mon cou
Le mince foulard
Signe
L’impossible rencontre
Le deuil avant même
Le mariage
Le retour
Avant le départ
Pour l’ile illusoire de
Cythère
Ton odeur est
Là
Troublante
Presque insistante
Comme si
Dans cette perdurance
De la mémoire
S’insinuait
La touche légère d’un
Regret
S’imprimait le stigmate
De ce qui ne peut
Jamais avoir lieu
Que
Dans le songe
Dans l’imaginaire
De la fenêtre du train
Qui file en direction de
La Toscane
J’imagine déjà
Les chandelles
Des cyprès
Levées
Dans le tumulte du ciel
Le moutonnement subtil
Des collines
La masse sombre
Des grandes demeures
Le luxe des jardins
Le calme des pièces d’eau
Où se reflète
Le jeu puéril des nuages
Je ne sais si
Le hasard TE mettra
Sur mon chemin
J’ai si peu d’indices
Sauf ce bout de papier
Froissé
Entre mes doigts
Qui tremblent un peu
Le titre de mon
Prochain livre
En lettres cursives
Andante
Afin de refaire
Le voyage depuis
Le début
Là où
Tout encore
Etait à titre
D’hypothèse
Comme un événement
A venir
Oui
A venir
Sans cela
Longue sera la nuit
Privée d’étoiles
Privée
Oui