STUPORE
Œuvre : Livia Alessandrini
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Ils sont là les Masques Antiques
Ceux dont la Présence irradie
Qui viennent à nous
Dans la plus haute surrection
Ils nous disent la gloire d’être
La tâche sublime du Héros
L’agora où souffle
La puissance de l’Être
Le Temple où habite le Dieu
La Parole du Poème
En sa Vérité première
*
Ils sont là les Masques Antiques
Ils viennent à nous
Ils nous interrogent
Du fond de leur destin
Ils veulent nous forcer à connaître
Ce qu’exister veut dire
Sous la lame vibrante du Ciel
Sur la Terre que le feu des Enfers
Ronge de son implacable acide
*
Ils veulent de nos yeux
Déciller la coupable courbure
Ils veulent forer profond
Dans le tissu vacant de l’âme
Faire surgir la force
De faire face
De se dresser
Dans sa condition d’Homme
*
Mais regardez donc au centre
Dans la convergence haute du sens
Regardez ce Masque sidéré
Yeux grand ouverts
Sur le vide originel
Il demeure SEUL
Parmi la multitude
Dont la stupeur différée
Ne l’ait encore plongé
Dans un étrange sommeil
*
Demeure là en pleine ouverture
Sous le regard d’airain de Zeus
Le provoque-t-il
Le craint-il
Est-il l’UNIQUE qui ose
Toiser l’Olympe
En attirer les foudres
En allumer l’Eclair
En subir le mortel assaut
*
On ne regarde nullement un Dieu
Comme un simple Mortel
Une diversion parmi
Les confluences mondaines
On le regarde et on s’expose
Au sort tragique d’Œdipe
Celui à qui le Prophète
Dit le réel en sa cruauté
« Tu es le meurtrier
Que tu recherches »
Et alors on enfonce
Au profond de ses yeux
Les épingles d’or
De Jocaste l’Aimée
En son innocence pure
*
On tâche de s’absoudre
Du parricide
De l’incestueux
Tout ceci qu’on n’a
Nullement voulu
Que seul le Destin a fomenté
A l’encontre avec la même minutie
Que mettait Pénélope
À tisser et détisser les fils invisibles
Qui la privaient d’Ulysse
*
Et on erre longuement
Sur des chemins sans autre issue
Que la Mort
On a franchi les portes du possible
On est en déshérence de soi
En perte que seul un sacrifice
Pourra laver
D’une conduite certes involontaire
Mais offense aux Dieux
Qui veillent à l’étrange parcours
De l’Homme
A ses sauts de Charybde en Scylla
*
Ils sont là les Masques Antiques
Ceux qui signent l’Absence
Disent la mortelle amplitude
Le silence enclos dans les lèvres de pierre
Le rictus aboli dans sa gangue d’argile
En son naufrage de carton éteint
*
Mais voyez tout autour
Pareil à un maelstrom
Ces Faces défigurées
Ces visages de cendre
Ils viennent de l’Enfer de Dante
Les Cercles se referment
Sur les Semeurs de scandales
Et ceux qui ourdissent des schismes
Sur les inglorieux et ceux qui outrepassent
Les imprescriptibles lois humaines
Sur tous ceux qui sortent de l’Ordre
Du Cosmos bien agencé
*
Leurs yeux sont clos
Leurs bouches muettes
Leurs corps dispersés
Au vent cruel
Qui souffle depuis l’Achéron
Où Charron le Nocher
Fils des Ténèbres et de Nuit
Sur sa barque funéraire transporte
Les âmes des défunts
À l’ultime séjour
Là où être n’est plus
Qu’une brume illisible
Dans le Temps qui agonise
*
Du masque ouvert
Aux masques fermés
Se joue toute l’amplitude
De la tragédie
Naissance en attente de la Mort
Mort qui réclame son dû
Jamais nous ne naissons
Gratuitement
L’obole est toujours à verser
Qui attend dans l’Ombre
Dans l’Ombre
Qui éteint la Lumière
Vive étincelle
Promise à sa fin
Plus rien que cela
A l’aube des temps
Que cela