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19 décembre 2017 2 19 /12 /décembre /2017 09:56
Du creux de la Dune

         « Essaouira depuis les dunes de Diabat »

                    Photographie : Hervé Baïs

 

***

 

 

  

   Flamme blanche

 

   Le soleil est haut dans le ciel, immense flamme blanche qui entame la vue, gerce les lèvres, incise la chair trop fragile. Il faut chausser ses yeux de verres noirs, longer les murs de chaux blanche, faire siennes les ombres décolorées, en vêtir son corps ourdi de chaleur. Mince ruissellement. L’eau est une immédiate aventure qui glace le dos, en fait une cohorte de fins ruisselets.

 

   Médina

 

  Médina en sa rutilante présence. Quelques hommes assis devant leurs échoppes. Rides profondes, solaires qui lézardent leurs fronts. Signes d’appartenance à la rudesse, à la verticalité, à la lumière qui envahit tout, déclôt tout ce qui se réfugie dans les recoins, les failles profondes entre les dalles de briques. Le Bleu monte des portes, fait ses clartés marines. Dures, abyssales, s’imposant aux regards fussent-ils les plus distraits. Murs d’ocre et de neige où crépite l’intense rumeur de l’heure.

    

   Mythiques contrées

 

  Tout autour la large enceinte de briques roses et de moellons gris, la plaque vert émeraude de la mer qui s’enfuit là-bas, loin, vers de mythiques contrées. Des pluies de goélands fous, des rafales de cris dans l’air qui file à la vitesse des comètes. Blanc vertige de ce qui se donne dans la joie, sans retenue aucune. Les yeux s’embrument, les lèvres sont humides, un fin brouillard colle contre les corps ses mains pareilles à un baume, à une dilution de l’angoisse dans les volutes infinies de ce qui est sans mesure.

 

   Flottille bleue

 

   Port. Eau tranquille. Abri. Flottille bleue aux étraves levées. Elles disent le pur bonheur de voguer sur les barres d’écume, de franchir le roulis, de gagner le large, là où frétillent les bancs d’argent des poissons. Lourds sont les filets où se débat le peuple multiple des nageoires, des queues brillantes, des dos semés d’écailles turquoise, les yeux sont de simples trous noirs. Des pertes que jamais l’on n’interroge. La mort donne la vie qui donne la mort. Eternel cycle des parutions/disparitions.

 

   Une grotte s’ouvre

 

   On est loin, maintenant, au grand large, sur les îles Purpuraires semis de rochers bruns flottant sur la dalle d’eau. Le vent souffle continûment, traverse les vêtements, fait sa petite musique sur la peau qui se hérisse de points illisibles. On est régénérés de l’intérieur. Une grotte s’ouvre avec son luxe de stalactites, de concrétions, de bourgeons de calcite. Ça y est. La lumière est entrée dans la nasse de chair. Elle fait son grésillement, elle ouvre ses ramifications, elle pullule tout contre le réseau du sang.

   Elle a déserté la couleur. Elle est monochrome, semis de noirs profonds, glacis de blancs duveteux, taches grises qui courent d’un bout à l’autre de la vision. Ce qui surgit alors : le mellah d’Essaouira dans les années usées d’un temps ancien. Des silhouettes fantomatiques, djellabas, murs lépreux, rigoles en pavés, fentes de lumière entre les abris de torchis. On n’est plus au présent. Seulement dans ce passé qui tutoie une origine. On se tait. Seul le silence. Murs éventrés. Colonnes supportant des ogives mauresques aux indéchiffrables motifs, fours de briques à la gueule largement ouverte.

 

   C’est un haschisch

 

   Là seulement on est prêts pour le grand voyage, celui qui, vers le Sud vous emporte au Pays des mirages et des somptueuses hallucinations. C’est un peyotl. C’est un haschisch. C’est un opium. Rien ne tient de ce que vous saviez. Peut-être êtes-vous-même étranger à votre propre existence ? Défenestré en quelque sorte.

 

Loin la mer

Loin les îles

Loin les mensonges

Des villes et des villages

Loin les affabulations

 

   Le réel est si loin qui fait son étrange clignotement. Ici une lentille noire, crépusculaire, qui dit le repos, énonce le silence, convoque la gratitude. Il est si heureux d’être là parmi le doux moutonnement des dunes, au creux de leur enveloppement maternel, cette quiétude qui se lève au centre de l’être pareille au déploiement d’une subtile corolle. Ici nul ennui qui ferait du temps une interminable hésitation au seuil du dire, nulle angoisse qui hisserait son dais devant la figure d’un imaginaire atterré.

  

 Lieu sans nom

 

   Le ciel est haut, infiniment gris, cette teinte qui aplanit, médiatise, unit dans la demeure féconde d’une harmonie. Jamais le désespoir ni l’angoisse ne sont gris. Noirs seulement. Inscrits dans une fosse de bitume, le sans fond d’une crypte, le sans fin d’une douleur. Au centre, une large île de clarté pareille à la promesse de l’Aimée : une aube se lève avec la venue du jour.  Autour est un cercle plus sombre, il délimite les bords d’une clairière et c’est en ceci, la proximité avec l’ouverture que cette ombre n’est nullement inquiétante. Seulement l’annonce de ce qui va venir, ici, depuis ce lieu sans nom, sans repère autre que celui de l’âme qui en contemple le site d’éclosion. A la limite de cet étonnant horizon fait de courbes et d’inclinaisons, d’ascensions et de chutes, la presque disparition de la Cité des Hommes, faible vibration toute d’extinction, d’exténuation, de silence. Parlent-ils les Hommes là-bas, les Invisibles ? Palabrent-ils ? Emettent-ils des serments ? Jurent-ils sur la tête de leurs enfants ? Tirent-ils des plans sur la comète ? Rusent-ils ?

  

   Immédiate liberté

 

   C’est une telle félicité d’en seulement songer, imaginer les actes. Ici, depuis l’éternel repos de ce monde minéral à l’infinie puissance, combien d’innocence, d’aimable puérilité à les placer, ces Lointains,  sur la scène de l’exister au simple motif d’un jeu, à la seule effervescence de l’imaginaire. Oui, voyez-vous, l’essence de ces espaces innommés - ces utopies -, c’est d’initier une immédiate liberté au terme de laquelle le relatif s’impose en contrepoint de l’absolu, du tenu pour sûr, du dogme érigé en principe. Là il n’y a lieu que d’être Soi, sans délai, sans tergiversation. Vérité que ce sable immaculé. Poésie directe que ce Simple de la dune aux blanches et grises déclinaisons. Sur ces monticules vierges, toute la belle cadence de la lumière pareille à une mélodie. Les rythmes s’y impriment avec la nécessité des choses exactes qui n’ont besoin que de leur propre présence : tout y est contenu dans l’évidence même. Rien à chercher qui serait dissimulé. Nul prédateur caché derrière un pli de terrain. Et puis, c’est si rassurant cette immobilité que le premier vent viendra métamorphoser afin que se dise sur un mode différé ce qui est à comprendre d’une Nature généreuse, infiniment renouvelée, cette inépuisable corne d’abondance.

  

   Lignes claires

 

   Beauté que ce croisement de lignes claires que viennent rencontrer d’autres lignes plus soutenues, mais toujours dans la concorde, nullement dans l’affrontement. Adret lumineux qui court d’un bord de la vision à l’autre. Une cimaise est là, en suspension, pour dire, sans doute, la proximité de quelque mouvement de cette matière qui n’est que pulsation retenue, hésitation avant que ne se dise une autre fable. Ici un cirque est creusé dans la blancheur qu’un cratère noir marque de sa curieuse ellipse. Infinies variations des clairs-obscurs, ces polyphonies lexicales en attente de profération.

 

   Devenir humains

 

   Jamais on ne quitte sans nostalgie l’épaulement de la dune, sa réserve de rêve, l’ineffable solitude dont elle couronne les êtres sensibles, les esthètes, les amoureux d’un univers livré à la seule royauté de cette Nature si généreuse dès l’instant où nul n’en entrave les généreux desseins. Laisser être les choses en leur naturelle propension à vivre selon la loi non encore écrite de cela même qui poudroie et se recueille dans l’invisible serment tacite dont nous les humains ferions bien de nous inspirer. La dune est là dans son immémoriale sagesse. Elle nous regarde « être humains », devenir humains en d’autres termes. Puissions-nous en imiter l’accomplie sérénité. De telles photographies nous y engagent. Qu’attendons-nous pour coïncider avec notre être ? Vraiment !

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