Photographie : Blanc-Seing.
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Je me suis levé ce matin
Ai tendu vers l’avant les mains
Elles ne saisirent que du vertige
Et l’abîme grondait
Que je devinais
En moi
Hors de moi
Pareil à une traînée de soufre
Au large d’un volcan
Etait-ce ma vue qui m’égarait
Etait-ce la Terre qui avait changé
L’habituel je ne le reconnaissais
Le livre sur ma table souffrait
Le dessin commencé gisait
Là
Dans une mare de buée
Je me suis levé automate
Aux gestes désordonnés
Boussole à l’aiguille perdue
Sextant aux rouages grippés
Mes pas ne me portaient plus
Ni dans le passé révolu
Ni dans l’avenir sans projet
Pas plus que dans ce présent
Tout juste arborescent
Qui s’absentait
À mesure qu’il paraissait
Pourtant je criais
À gorge déployée
Présent où es-tu
Et le présent répondait
De sa voix trouée de silence
De quelle pénitence
Est donc tissé ton destin
De quelle affliction traversé
Ton infini chagrin
N’es-tu pas trop préoccupé
De Toi
De ce qui adviendra
Afin que tu deviennes Roi
Etais-je le seul homme sur Terre
Qui souffrît de ne plus trouver
Les contours de son être
J’ouvrais grand
Les battants
De ma fenêtre
Des cris montaient de la rue
Se perdaient dans les nues
En bas tout en bas les trottoirs
Se noyaient dans le noir
Que frappaient des semelles usées
On entendait leur rythme inquiet
Les clous sous les souliers
Lâchaient leurs milliers
De signes muets
Les yeux exorbités en happaient
Quelques rapides reflets
Puis se refermaient
En signe d’adversité
Les hommes
Battaient le pavé
Au rythme d’un métronome
Leurs poitrines soufflaient
Identiques à la forge
Leurs échines brumaient
Comme au sortir d’une gorge
Etroite et vouée aux nuées
Ils étaient une colonne
Sans début ni fin
Ils étaient des genres de Gorgones
Des Sthéno des Euryale
Perdus au fond de leurs dédales
Ils étaient l’humain en sa convulsion
L’humain en sa confusion
Nul ne les entendait
Perdus qu’ils étaient
Dans la vaste contrée
Des infinies supplications
Dans l’immense marais
Des incompréhensions
Ils ne vivaient que du feu
Qui de l’intérieur les brûlait
Ils ne vivaient que de l’aveu
De leurs éprouvantes destinées
Ils mouraient là
Comme jadis en Place de Grève
De n’être pas reconnus
Pour ce qu’ils étaient
Des consciences brimées
Des sommes sans rêves
Des voies sans issue
D’ordinaire ils vivent
A l’abri des ponts
Ou bien dans un étui en carton
A l’abri des regards
A l’abri des loubards
Mais ils sont sortis
Encore meurtris
De leurs vies en sursis
Ils sont sortis
Sous la Lune blanche
Dire au monde
Non leur soif de revanche
Leur droit simplement
A se dire hommes
Dans la cité des hommes
Je me suis levé ce matin
Ai tendu vers l’avant
Les mains
Elles ne saisirent que du vertige
Et quelques vestiges
D’êtres que la vie néglige
Pourtant
Ils n’attendent que
D’ÊTRE
Ce prodige
Oui ce prodige